Le président Mohamed Abdel Aziz de Mauritanie appartient à la tribu guerrière des Oulad Bousbaa (littéralement « Fils de lions »). Son prédecesseur et recordman de la longévité au pouvoir (1984-2005), Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya, aujourd’hui en exil studieux au Qatar (il a repris la lecture du Coran, écrit sa biographie, conseille l’émir et, paraît-il, le Pentagone) est d’extraction smasside, une tribu maraboutique et commerçante qui dispose de territoires identifiés en Mauritanie contrairement aux Oulad Bousbaa, qui revendiquent avec orgeuil des origines marocaines (El Haouz). Malgré un mandat placé sous le signe de la « lutte contre la gabégie et de la restauration de l’Etat, le général Mohamed Abdel Aziz est vu par la plupart des mauritaniens comme un « Oulad Bousbaa » déterminé à distribuer le butin (c’est la définition tribale de l’Etat) à ses fréres et cousins.
Par Dia Ibrahima
Qu’il ait fait exiler l’homme le plus riche du pays, en l’occurrence Mohamed Ould Bouamatou, son cousin et patron de la banque GBM, aujourd’hui au Maroc, ne constitue pas un gage suffisant aux yeux d’une opinion publique dont les leaders, bardés de diplômes, restent toujours prisionners du prisme tribal. Qu’il ait, dernièrement, demandé des comptes au maire de Nouakchott, son autre cousin – trés populaire, n’a pas changé l’approche des leaders, qui voient dans cette instrusion dans les comptes de la commune une manière de priver le principal parti d’opposition du pays, le RFD d’Ahmed Daddah, de son principal poulain lors des municipales prévues en octobre de cette année et déjà boycottées par l’opposition historique (RFD, UFP).
Face à ces critiques récurrentes sur la main invisible de l’Etat dans l’ascension fulgurante des Oulad Bousbaa, nous avions consacré un dossier dans l’édition 31 du magazine Mauritanies1, en nous focalisant sur les rivalités entre la supposée tribu élue et la présumée déchue. Il s’agit d’un travail journalistique qui a été unanimement critiqué et par la tribu guerrière dont l’un des rejetons préside actuellement aux destinées de la République islamique et par la tribu commerçante dont la figure emblématique profite des charmes du Qatar pour exercer un enchantement permanent sur ses supporters. Qu’avions nous dit dans notre enquête?
Que les Smassides avaient construit leur temple sur l’import-export. Les Oulad Bousbaa semblent s’intéresser d’abord aux mines. Les intérêts des premiers et des seconds trahissent cette évolution de la Mauritanie mais, à nos yeux, réaffirment cette même stratégie de construction d’une élite économique inféodée au pouvoir.
Une tribu sans territoire
Depuis la chute du président Maouiya Ould Taya, l’on assiste à un changement du rapport de force au sein de la grande famille maure qui contrôle totalement l’économie du pays. Longtemps privilégiés, les smassides d’Atar « subissent » aujourd’hui l’inéluctable montée des Oulad Bousbaâ, dont les illustres rejetons ont pour nom Ely Ould Mohamed Vall, Mohamed Ould Abdel Aziz,ou encore Mohamed Ould Bouamatou. Originaires de la région d’El Haouz Tensif ( Maroc )et souvent établis à Louga (Sénégal), les Oulad Bousbaa ont la particularité d’être une tribu sans terre en Mauritanie. Numériquement peu importants, ce sont par contre de redoutables stratèges.
Trois cultures et un fusil: un avantage décisif
Leur avantage décisif sur les arachaïques tribus maures remonte au début des années 20 quand ils arrivèrent en Mauritanie par vagues successives. A l’époque, ils avaient la puissance du feu et maîtrisaient les transactions entre les colons blancs et les mauritaniens. Plus tard, les Oulad Bousbaa complèteront leurs avantages décisifs en apprenant les langues locales. Le Wolof, parlé du Trarza au Sénégal, devient quasiment leur seconde langue. Cette appartenance à trois cultures allait donner une ouverture d’esprit à cette tribu de lettrés aux positions modérées sur la colonisation et sur l’incessant appel au Jihad contre l’envahisseur qui rythme le quotidien de la Mauritanie des années 20 aux années 1935, date officielle de la pacification du pays.
C’est ce sens du compromis qui explique leur montée silencieuse dans le dispositif politique, sécuritaire et économique de Taya. Au point de le renverser. Succédant aux Smassides qui eux-mêmes ont succédés auxOulad Biri (liés à Mokhtar Ould Daddah), les Oulad Bousbaaa incarnent-ils aujourd’hui une nouvelle classe du capitalisme mauritanien au détriment des Smassides, des Idouali, et des négro-africains (quoique ces derniers, il faut le dire, sont écartés du dispositif économique du pays).
Disons le tout de suite, ce n’est pas avec le fusil que cette tribu a assis son influence, c’est par la stratégie. Les descendants d’Abu Siba, le chef de la tribu des Idrissides au 16e siécle, ont été vaincus dans de nombreuses batailles par les Regueibat qui règnent sans partage au Sahara Occidental et qui constituent encore aujourd’hui, la référence suprême en matière de tenacité et de bravoure. Pendant que les Regueibat se décimaient dans des batailles perdues d’avance contre un adversaire à la supérioité technologique écrasante, les Oulad Bousbaa, se reconvertissaient en excellents négociateurs dans la vente d’arme, puis dans le commerce du thé (qu’ils auraient introduit en Mauritanie), lequel va réveler leur génie et consacrer l’efficacité de leurs tactiques.
Plutôt que d’opter pour des affrontements meurtriers pour agrandir leur espace tribal en Mauritanie, la tribu arrivante va opter pour la dispersion et la constitution de noyaux durs à l’extérieur. Pendant un siècle, les Oulad Bousbaaa feront de Touba et de Daar Moustik (deux localités sénégalaises) leurs centres de ralliement, loin du regard des autres tribus rivales. Sur la rive gauche du fleuve, leur commerce prospère. Ils sont les intermédiaires dans la vente des grains, de la gomme arabique, des peaux de mouton. Ils profiteront largement du retrait de la Mauritanie de la zone CFA pour se transfomer en cambistes spéculant à volonté, tantôt exportateurs tantôt importateurs. Leur écartélement entre trois pays, sur plus de 3000 km, leur donne la notion de l’espace et les poussent à rompre l’alliance millénaire avec le dromadaire.
Ces voyageurs hors pair sont les premiers maures à avoir compris que l’ère du chameau a pris fin avec le premier camion 1924 arrivé en Mauritanie. Ils vont investir dans le secteur du transport. Quand les autres tribus, découragées par la sécheresse des années 70, viendront investir dans le créneau, les Oulad Sbai étaient sur une avance incompressible, commercialisant des pièces détachées et pensant représenter les grandes marques.
Au Sénégal, les Oulad Bousbaa introduiront le pain dont ils détiendront le monopole de fait pendant plusieurs années. Les Oulad Bousbaa reprendront naturellement la maison Lacombe, entreprise coloniale de transport. A son arrivée au pouvoir en 1984, Maouiya Ould Sidi’Ahmed Taya se méfiait de l’Est du grand Nord et du fleuve. Il s’alliera avec cette tribu inoffensive au fil des coups d’Etat déjoués pour en faire des confidents.
A l’époque, la suprématie smasside dans les grands milieux d’affaires était incontestable, à peine troublée par la montée en force de Mohamed Ould Bouamatou, un homme d’affaires qui a réussi à passer entre les mailles du filet durant les 20 ans de régne de Taya grâce à des alliances stratégiques. Aujourd’hui, le tout Mauritanie scrute les milieux d’affaires. Une guerre Oulad Bousbaa –Smasside, si elle fait rage en ce moment, sera toujours atténuée en raison, indique-t-on des intérêts croisés entre les deux groupes, de leurs alliances matrimoniales et de leur conviction profonde que tous y perdraient.
La nouvelle élite
Pendant ce temps, des groupes puissants prennent de la hauteur aux côtés des groupe MOA ou AON, d’obédience smassides. Cas du groupe de l’homme d’affaires Ahmed Baba Ould Aziz Ould Mamy, consul d’Italie et président de la Confédération patronale de la Mauritanie, assez visible dans le secteur stratégique des mines. Contrairement à ce que le tout Nouakchott murmure, l’homme ne serait pas en odeur de sainteté avec le président Mohamed Ould Abdel Aziz. Il n’en demeure pas moins que l’intérêt premier des Oulad Bousbaa s’oriente avant tout vers le secteur stratégique des mines. Ainsi, Ahmed Salem Ould Tekrour, ancien de la société mauritanienne des hydrocarbures (SMH) n’est-il pas nommé directeur des hydrocarbures au sein du MPEM ? Il est vrai que ce ministère est sous les commandes de Taleb Ould Abdivall, un Idouali moderne. Quand à Mélanine Ould Towmy, également Oulad Bousbaa, homme réputé intègre et discret, ancien directeur de cabinet du président Taya, il est nommé président du conseil d’administration de Kinrosso. Pour sa part, Kemal Ould Mouhamedou, cousin du chef de l’Etat, est le représentant de l’Etat chez Tullow Oil, la société qui développe le gaz de Banda.
Quel que soit sa force, cette tribu « au pouvoir » pour reprendre l’inconscient du mauritanien, ne peut triompher quar par une alliance arithmétique et politique. Comme Taya, le président Aziz mise sur Néma et les hods pour rallier les tribus de l’Est, grenier électoral, à sa cause. Ceux-ci, étenels chambellans, se contenteront-ils de leur rôle d’arbitre?
Ibrahima Dia
Source :
-Mauritanies1, numéro 31
-Ali Bensad, «Réseaux diasporiques des commerçants maures »
-Africa Mining Intelligence