Propos recueillis à Tunis par Dia El Haj Ibrahima
Ancien ambassadeur de Tunisie en Inde, en Espagne et en Chine, Dr. Mohamed Sahbi Basly, après cette longue expérience diplomatique, préside aujourd’hui le conseil de coopération Tuniso-chinois lancé il y a quelques mois par de grandes figures du monde des affaires et de la culture en Tunisie. Rencontre exclusive.
Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs
Permettez-moi tout d’abord de remercier Financial Afrik, de l’intérêt qu’il porte au développement des relations économiques en général et celui de la Chine avec notre continent en particulier. Je suis médecin de la Santé Publique de formation, spécialisé dans la médecine sociale, la santé et la sécurité au travail. Une formation qui a vite développé chez moi la notion du service public d’une part et l’amour du prochain d’autre part; puisque, sauvegarder la santé des travailleurs, ce capital humain très cher à la philosophie Bourguibienne, de la Tunisie indépendante, constituait un sacerdoce et une manière de servir son pays et de contribuer à son développement . Cette proximité des travailleurs et du milieu syndical ouvrier, mais aussi celui des patrons, m’a également donné un statut privilégié, qui me permettait, dans le cadre de mes activités, de réaliser le compromis nécessaire grace à la culture du dialogue en vue d’huiler la machine de production et de garantir le climat social pour que nous soyons tous au service du développement et du progrès. C’est dans cette culture que j’ai grandi et ce sont les mêmes motivations qui m’ont toujours guidées dans mes fonctions ultérieures, que ce soit au service de la santé, lorsque j’étais directeur général de l’institut de santé et de sécurité au travail, et expert de l’OMS et du BIT. Puis quand plus tard j’ai servi l’Etat Tunisien en tant que Gouverneur ou Ambassadeur.
Vous avez lancé il y a quelques semaines le conseil de coopération Tuniso-chinois. Que représente pour vous cette initiative et quelles sont ses priorités ?
Après un long séjour diplomatique de près de quinze années, alors que j’ai successivement servi mon pays en temps qu’ambassadeur de Tunisie en Inde d’abord, ensuite en Espagne, puis en Chine, je fus particulièrement fasciné par la rapidité avec laquelle la Chine communiste avait évolué vers la modernité et la compétitivité économique qui furent initiées par le parti communiste chinois omniprésent et mis en œuvre par les gouvernements en place. Pendant six années durant, j’ai pu apprécier la métamorphose sociale et sociétal de ce géant économique dont le taux de croissance se trouve être le moteur de l’économie mondiale . De retour en Tunisie, il était nécessaire de maintenir ce lien indispensable avec ce pays ami, d’autant que la Tunisie qui s’était engagée dans de profondes réformes politiques et structurelles suite aux événements du 14 janvier 2011 a perdu au passage son potentiel économique déjà fragilisé par la conjoncture internationale et la crise financière de 2008, n’arrivant plus à enclencher son rythme de croissance et ne pouvant compter sur ses bailleurs de fonds habituels, embourbés eux mêmes dans leurs propres difficultés financières.
En effet, la Tunisie qui a signé un accord d’association économique avec l’Union Européenne en 1995 ne pouvait plus espérer de ce voisin du Nord un appui financier probant, alors que l’union européenne tente d’éteindre des incendies multiples dans les pays du sud, et de l’est de l’Europe qui ont fini par rejoindre graduellement l’espace économique et politique européen durant les vingt dernières années. La rive sud, laissée pour compte, est le théâtre aujourd’hui de vagues successives d’immigrations illégales qui ne sont en fait que les conséquences inévitables d’une myopie européenne sur la question du dialogue euro- méditerranéen qui stipulait pourtant une charte de paix et de co-développement entre la rive Nord et la rive sud de la Méditerranée. Il n’en fut rien et lorsque le printemps Arabe a soufflé dans la région, ces même pays n’avaient d’autres alternatives que de se diriger vers les nouveaux maîtres du monde, en tous les cas économiques, qui se trouvent être l’Asie et principalement la Chine . La Tunisie n’a pas su coopérer avec la Chine ces dix dernières années, pourtant un potentiel de sympathie existe et des relations traditionnelles avec le pays du soleil levant n’ont pas à ce jour été exploitées à bon escient. Pis encore, il n’existe aucune structure au département des affaires étrangères, ni à la présidence du gouvernement, ni même à la présidence de la république, une sorte de cellule Asie, capable de constituer une sorte d’interface entre le monde Asiatique et la Tunisie, alors que tous les observateurs avertis s’accordent à dire que le centre de gravité du monde ne cesse de se déplacer vers l’est du globe. C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé, avec une poignée d’amis convaincus du bien fondé de ma démarche, de créer le conseil de coopération Tuniso-Chinois, dans un espoir de combler ce vide institutionnel existant à ce jour, en vue de promouvoir les relations bilatérales entre les deux pays et permettre du même ressort de consolider l’œuvre du gouvernement à ce propos .
Le continent Africain, en dehors de ses potentialités naturelles considérables, affiche aujourd’hui de bons taux de croissance économique et un bon dividende démographique. Quelles leçons pourra-t-il apprendre de la Chine pour rendre cette croissance inclusive ?
Lorsque la Chine en 2006 a organisé son premier sommet Chine-Afrique, suite à l’appel du président Hu Jintao à l’époque à la tribune de la conference annuelle de l’ONU, en septembre 2005, tous les chefs d’Etat africains avaient répondu présent à l’appelpour un partenariat gagnant-gagnant avec l’Afrique. A cette conférence, il y avait plus de chefs d’états présents que dans un sommet africain ordinaire. Cette nouvelle dynamique Sino-Africaine avait déjà suscité plusieurs interrogations chez les bailleurs de fonds traditionnels, (et néanmoins exploiteurs des richesses de ce jeune continent Africain), que sont l’Europe et l’Amérique. Cependant, cette euphorie du départ n’a pas été suivie de succès éclatants. Plusieurs projets, notamment régionaux, ont connu des difficultés et la Chine venait de découvrir les maux dont souffre le continent africain depuis des décennies. Cependant, la Chine avec sa politique de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats, et sa puissance financière, a pu engranger quelques succès indéniables dans différents pays africains où elle a pu s’implanter de manière irréversible. Cet espace économique africain conquis par la Chine a également permis à ces mêmes pays africains d’apprendre du modèle Chinois: la philosophie du travail, le partage et dans les faits un exemple de coopération sud sud. C’est d’ailleurs en partie grâce à cette coopération tout azimuts avec la Chine que certains pays africains ont sensiblement amélioré la qualité de vie de leurs concitoyens, améliorer leurs infrastructures et maintenu un rythme de croissance économique honorable.
Comment la Tunisie pourra-t-elle jouer le rôle de catalyseur d’investissements Chinois en Afrique subsaharienne à travers ce conseil de coopération Tuniso-chinois ?
La Tunisie, terre africaine de premier ordre, alors que Carthage régnait en Empire sur la région géographique dénommée à l’époque «Ifriquia», donna par la suite le nom D’Africa puis Afrique en français a tout le continent Africain. C’est dire la profondeur africaine de la Tunisie. A cet égard, il est tout à fait naturel que la Tunisie puisse jouer le rôle de Gateway des investissements Chinois vers l’Afrique du Nord et l’Afrique sub-Saharienne. Son positionnement géographique hautement stratégique, puis qu’à égale distance de l’est à l’ouest et du Nord au sud, fait de la Tunisie depuis la nuit des temps un passage obligé de toute les civilisations et les culture, et donc des échanges économiques et commerciaux entre l’est et l’ouest. La Tunisie se doit d’utiliser cette stratégie de pont et d’accès aux marchés Arabes et Africains à partir de l’Asie et plus particulièrement de la Chine. Elle peut le faire si elle s’y emploie intelligemment, c’est en tous les cas l’un des objectifs fondamentaux que le conseil de coopération Tuniso-Chinois se propose de faire dans les années à venir avec l’appui du gouvernement Tunisien et celui de la Chine, à travers l’Ambassade de Chine à Tunis qui ne cesse de manifester son intérêt et ses encouragements à l’activité de ce jeune conseil .
Propos recueillis par Dia El Hadj Ibrahima-Tunis