La grande conférence sur l’Agriculture qu’organise la Banque Africaine de Développement en partenariat avec le gouvernement du Sénégal au centre Abdou Diouf de Diamniadio (20 km de Dakar), du 21 au 23 octobre, revêt plus d’une symbolique.
L’accent est mis sur l’Agriculture, «l’Afrique doit nourrir l’Afrique»,scande le nigérian Akinwimi Adesina, président de l’institution panafricaine là où son prédécesseur, le rwandais Donald Kaberuka, appelait plutôt à combler le gap des infrastructures, préalable au développement.
Certes les deux visions ne sont pas antinomiques et se complètent même en certains endroits, l’Agriculture ne pouvant être compétitive sans des infrastructures de qualité et, répète régulièrement la rue africaine, lors de chacun de ses accès de furie, «les ponts et les routes ne se mangent pas».
Il semble toutefois que les parcours académiques de l’ancien et du nouveau président de la BAD aient beaucoup à voir dans leur ordre des priorités. Ingénieur agronome de son état, le Dr Adesina estime que le développement passe d’abord par l’autosuffisance alimentaire. Et d’appuyer ses propos par des chiffres qui résument à eux seuls le paradoxe du continent. «L’Afrique importe tous les ans 35 milliards de dollars de produits alimentaires alors qu’elle détient 65 % des terres arables en jachère dans le monde, qui pourraient répondre aux besoins alimentaires des 9 milliards d’êtres humains sur la planète d’ici à 2050».
Son prédécesseur, en bon économiste qui applique au secteur agricole la loi des rendements décroissants*, avait privilégié les infrastructures, l’eau potable et l’énergie à travers des démarches de partenariat public-privé dont le fonds Africa 50, à bientôt 1 milliard de dollars mobilisés essentiellement en Afrique, constitue le legs le plus visible.
Si l’Agriculture est à première vue la pièce maîtresse du premier mandat du Dr Adesina, il devra toutefois trouver les ressources nécessaires pour convaincre les partenaires plus enthousiastes quant il s’agit de financer des infrastructures au retour sur investissement juteux. D’ailleurs, le nigérian appelle les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales à changer leur perception de l’Agriculture en Afrique, un marché qui atteindra un volume de 1000 milliards de dollars à l’horizon 2030. (*).
En attendant, il faudra trouver les moyens d’augmenter l’appétit du système financier africain dans son ensemble pour le risque de agricole. Partageant le même point de vue que le nigérian sur la primauté de ce secteur dans les questions de développement, le président du Sénégal, Macky Sall, invite les banques commerciales à adopter une nouvelle approche vis-à-vis d’un monde agricole qui constitue sans conteste le premier employeur sur le continent.
C’est sans doute sur la question de la rentabilité que la BAD doit créér des architectures financières nouvelles combinant fonds de refinancement, mécanismes de garantie, assurance récolte, opérateurs de préfinancement, lignes de crédit dédiées aux banques commerciales, leasing, tiers détentions et, entre autres, bourses agricoles. Car le risque arribué au secteur n’est en définitive que le résultat d’une approche financière encore incomplète. S’il crée cette architecture, le nouveau président de la BAD aura réussi à apposer ses marques sur une institution encore largement orientée vers le financement des infrastructures rentables.
En dix ans, de 2005 à 2015, son prédécesseur avait réussi à mobiliser 3 milliards de dollars pour financer 60 projets d’infrastructures d’une valeur de 32 milliards de dollars. Certes, l’aversion du risque des investisseurs n’est pas le même des infrastructures à l’Agriculture. Mais quelque soit la difficulté qu’il engendre, le concept « l’Afrique doit nourrir l’Afrique» d’être replacé au coeur des priorités, au nombre de cinq selon le nouveau président de la BAD: Éclairer l’Afrique et la doter en énergie. Nourrir l’Afrique. Intégrer l’Afrique. Industrialiser l’Afrique. Améliorer la qualité de vie des populations africaines. Tout un paradigme de développement sous le regard attentif de l’économiste américain Jeffrey Sachs qui participe par visioconfèrence .
*Cf David Ricardo, «Des principes de l’économie politique et de l’impôt»
*Selon un rapport publié en mars 2013 par la Banque mondiale, les agriculteurs et le secteur agroalimentaire africains pourraient générer un marché de 1 000 milliards de dollars à l’horizon 2030, s’ils parvenaient à élargir leur accès à des fonds supplémentaires, à l’électricité, à une meilleure technologie et à des terres irriguées.