La CEMAC est née en 1995 dans les décombres de la dévaluation du Franc CFA. Presque au même moment que l’UEMOA, constituée en 1994 et portant encore aujourd’hui le stigmate du traumatisme monétaire qui a frappé les anciennes colonies françaises d’Afrique au milieu des années 90. Il semble que, 20 ans après ce big bang, les deux sous zones ont pu se constituer un bel espace monétaire avec, cependant, peu d’échanges. Et c’est là le problème.
Certes, comparaison n’est pas raison ! Mais de prime abord, la CEMAC, plus riche sur le papier en raison de ses ressources pétrolières et minières, accuserait un immense retard par rapport à sa grande sœur, l’UEMOA, réputée bonne élève en matière d’intégration. En effet, les citoyens des huit pays membres peuvent circuler librement à l’intérieur de la zone avec une simple carte d’identité. Pendant ce temps, le passeport et le visa sont de rigueur en zone CEMAC. Dans le fond, les opérateurs économiques des deux zones font face aux mêmes entraves et barrières non tarifaires pour déplacer un camion ou un bateau d’un pays vers l’autre.
Les frais d’escorte sur le corridor Dakar-Bamako limitent les retombées escomptées de toutes les convenions bilatérales et communautaires entre le Sénégal et le Mali.
Ainsi, pendant que le port d’Abidjan se repositionne avec le système de balises permettant le suivi des camions d’Abidjan à Bamako (1000KM), le port de Dakar évolue dans une approche de maximisation des taxes qui ne va pas dans le même sens qu’un encouragement des échanges commerciaux.
En réalité, c’est la structure des recettes budgétaires des pays de l’UEMOA comme ceux de la CEMAC (35% de leurs recettes proviennent de la Douane) qui constitue le premier facteur d’inertie expliquant la faiblesse de leurs échanges. Il faut noter que dans la zone UEMOA, les échanges commerciaux représentaient environ 11,3% des échanges globaux en 2013. C’est un peu plus que la CEMAC où ils se chiffraient à moins de 8% des échanges commerciaux globaux en 2010. Cette faiblesse du commerce intra-communautaire, en zone CEMAC comme en zone UEMOA, est imputable aux différents facteurs tels que les tracasseries administratives que subissent les opérateurs économiques durant le transport des marchandises d’un pays à l’autre de la sous-région. «Il faut, expliquait Thibaud de Lardemelle, directeur général de Necotrans-Congo, lors de la réunion de l’Union des chargeurs africains en 2015 à Brazzaville, quelque «23 jours, 21 documents et 28 signatures pour un conteneur transitant par Pointe-Noire contre «trois jours et zeo signature en France». La bureaucratie n’est pas la seule entrave au commerce dans les pays de la zone Franc.
Le manque d’infrastructures de base renchérit aussi les coûts de facteurs de production. Le coût de la logistique a de quoi décourager tout échange quand on sait qu’entre Pointe-Noire, ville pétrolière du Congo, et Brazzaville, capitale de ce pays membre de la CEMAC, le transport d’un conteneur coûte 7 fois plus cher que le fret sur le trajet Shangaï-Pointe-Noire.
Flux financiers : des barrières invisibles
Dans la zone UEMOA, les produits d’intérêts sont soumis à l’application des dispositions réglementaires adoptées par le conseil des ministres de 2008 sur l’adoption des règles de non-double impositions des flux financiers qui stipulent que les dividendes, les intérêts et les redevances sont soumis aux taux variant de10% à 15% avec crédit d’impôt.
Les prestations de services sont imposables exclusivement dans l’Etat de résidence du bénéficiaire en l’absence d’établissement stable dans l’Etat d’exécution du service. En zone CEMAC, les dividendes distribués sont soumis également à une retenue à la source variant entre 10 à 20% selon les pays.
S’agissant de l’impôt, chaque pays conserve une certaine souveraineté fiscale qui a le défaut de relativiser les dispositions communautaires selon les cas. Ainsi, l’impôt sur les sociétés (IS) est de 30% dans l’ensemble des pays membres de l’UEMOA, exceptés la Côte d’Ivoire et la Guinée Bissau, pour lesquels l’IS est de 25%. Dans la zone CEMAC, le taux de l’IS est fixé dans une fourchette comprise entre 20 à 40% par la loi de finance de chaque pays membre.
En attendant l’harmonisation fiscale
Les sociétés non-implantée dans la zone CEMAC sont soumises à des retenues à la source selon des taux qui varient de 10 à 20%, sur la base des services fournis.
En matière de taux, les Etats membres de l’UEMOA n’ont pas opté pour un taux unique applicable dans toute l’union. Ils ont seulement limité le nombre de taux de TVA, à savoir le taux nul applicable aux produits exonérés et le taux normal, qui doit nécessairement être compris entre 15 et 20%. Les Etats qui appliqueraient un taux réduit étant ténus de se conformer à cette marge dans un délai de quatre ans après l’entrée en vigueur de la directive, promulguée depuis le 31 décembre 2003. Rappelons que le taux de la TVA dans la zone UEMOA est de 18% contre 15 à 20% pour la CEMAC.
Droit d’établissement dans les deux zones
Dans le cadre de l’UEMOA, la liberté d’établissement des acteurs de la vie des affaires a été également consacrée dans les limites du respect des lois internes. Ainsi une combinaison des lois uniformes de l’OHADA et la liberté d’établissement de l’UEMOA feraient de l’espace UEMOA un cadre viable pour le développement économique. Dans une deuxième modalité, le transfert d’activité n’est pas total. L’entreprise demeurant dans le pays d’origine se contente de créer une entente stable dans un pays d’accueil. Ainsi la notion d’établissement vise l’exercice permanent ou du moins stable d’une activité économique non salariée à un endroit déterminé. Les sociétés qui veulent exercer dans la zone CEMAC doivent respecter un ensemble des règles claires qui régissent le droit de société et les autres domaines les plus importants du droit des affaires.
La monnaie : XOF, XAF ?
Un véritable facteur de blocage
La CEMAC et l’UEMOA partagent une même monnaie : le franc CFA. Mais si cette monnaie est commune, elle n’est pas pour autant échangeable entre les deux zones qui lui donnent d’ailleurs un même sigle aux significations totalement différentes. Dans la zone CEMAC, le franc CFA signifie «franc de la Coopération Financière en Afrique centrale» avec comme code XAF. Tandis que dans la zone UEMOA, le franc CFA signifie «franc de la Communauté Financière Africaine», avec le code XOF. A titre d’exemple, si un commerçant nigérien veut se déplacer juste chez ses voisins du Tchad, il serait dans l’obligation de convertir ses FCFA de l’Afrique de l’Ouest (XOF) en FCFA de l’Afrique centrale (XAF), et paiera une commission de change. Cette barrière entre les deux CFA s’expliquerait par le retard accusé par les deux banques centrales dans la mise en place d’un système de compensation.
Il faut noter qu’en plus de l’entrave monétaire, les différents pays parviennent à maintenir des barrières douanières ou autres. Si bien que le fait d’appartenir à un même espace monétaire n’ est pas synonyme de franchise. L’on se rappelle à cet effet de la guerre des huiles entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire ou de la rudesse des contrôles douaniers entre certains pays de l’UEMOA . Une intégration complète suppose une libre circulation des personnes et des biens, un droit d’établissement et des avantages clairs pour les entreprises des pays membres. Ces conditions ne peuvent être satisfaites avec les nombreuses barrières non tarifaires qui limitent l’efficacité des traités communautaires.
Une seule Bourse pour l’UEMOA contre deux pour la CEMAC
Un autre point de divergence assez important entre les deux zones CFA est
la restriction sur les placements (les compagnies d’assurance d’Afrique centrale en paient le prix) et la circulation des capitaux. L’existence d’une seule et unique bourse pour la zone de l’UEMOA à savoir la BRVM (Bourse régionale des valeurs mobilières) est à opposer à la zone CEMAC. En effet la cohabitation de deux bourses dans cette zone de 40 millions d’habitants limite la le potentiel de développement du marché des capitaux. Douze ans après la création de la bourse de Douala (DSX) et dix ans après celle de la BVMAC (commune aux pays membres), les résultats de ce bicéphalisme sont plutôt mitigés. A titre d’exemple, la capitalisation boursière des deux bourses combinées ne dépasse pas la barre de 1000 milliards de FCFA pendant que la BRVM, le marché boursier de la zone voisine, culmine au delà des 7 500 milliards de FCFA et compte une quarantaine des sociétés cotées, occupant ainsi la 6 ème position sur l’échiquier des bourses africaines. Pour dépasser le face-à-face pesant entre la BVMAC (Libreville) et la DSX, ne faudrait-il pas élargir la perspective et envisager une fusion de ces deux places avec la BRVM? Techniquement, cela ne poserait aucun problème, nous indique -t-on du côté des acteurs des sociétés de Bourse qui relèvent une quasi-similitude des règlementations des capitaux entre les trois gendarmes de ces places financières (CREMPF en Afrique de l’Ouest, COSUMAF en Afrique Centrale et AMF au Cameroun). Le grand obstacle reste lié aux restrictions sur la circulation des capitaux et à la réglementation de change, ce qui revient quelque part à reparler de l’anachronisme des deux CFA. En levant tous ces obstacles, le marché financier composite de la zone CFA gagnerait en profondeur et tirerait vers le haut l’épargne, les placements des compagnies d’assurance et des ménages. Sans parler de l’accélération des échanges commerciaux qui en résulterait. Ces réformes vitales ne nécessitent pas le soutien des bailleurs. La volonté politique en suffirait.
Abakar Mahamat
Ahmat Abderamane