Par Adama Wade, envoyé spécial à Lomé.
L’ambiance était surchauffée lors des dernières assemblées générales d’Ecobank tenues vendredi 17 juin à Lomé. Les discours structurés du PCA, du CEO et des membres du conseil d’administration ont rencontré les complaintes légitimes des petits porteurs. Les premiers avaient la lourde tâche d’entretenir la flamme de l’espoir sur une reprise à moyen terme de la courbe de rentabilité d’une institution qui a vu son bénéfice net fondre à à 61 millions de dirhams en 2015, «année plus difficile que prévue à bien des égards» selon les propos de l’imperturbable Emmanuel Ikazoboh, Président du conseil d’administration qui a conduit les débats de bout en bout avec le tact d’un lord anglais.
Les seconds, accrochés au marché, exigeaient un dividende plus conséquent que les 0,2 cents proposés par le conseil d’administration et appelaient de ce fait à un train de mesures dont un programme de rachat d’actions pour soutenir un cours historiquement bas.
Problème, la finance qui encadre étroitement les rachats d’action, rappelle souvent qu’on ne peut avoir raison des tendances du marché. Un programme de rachat s’avérerait coûteux pour la trésorerie d’une banque qui a décidé d’affecter 93% de son bénéfice distribuable aux dividendes. Dans ce contexte, la proposition de regroupement des actions, à raison d’une action nouvelle pour quinze anciennes, s’est d’abord heurtée au refus des petits porteurs.
En dépit des explications du secrétaire général, rappelant fort à propos, que cette consolidation ne diminuait en rien à la valeur intrinsèque du portefeuille des détenteurs d’actions, il a fallu passer au vote électronique (une innovation) pour départager les uns et les autres. Cette résolution, finalement adoptée, après débat et vote, permet de restructurer l’actionnariat éclaté et de réduire les divers frais de cotation souvent calculés selon le nombre d’actions. Pour rappel, Ecobank compte 50 milliards actions ordinaires en circulation et 1,07 milliard actions préférentielles d’une valeur unitaire de 2,5 cents. Le regroupement permettrait entre autres de réduire les frais de reporting. Au final, la décision a été adoptée au forceps.
Ces échanges vifs par moment mais globalement courtois entre le management et les petits investisseurs font état de l’immensité de la tâche qui attend Ade Ayeyemi, nommé en septembre 2015. Il faut le dire, cette question globale du rendement et de la rentabilité de l’action Ecobank domine les débats au sein de la banque depuis cinq ans. D’ailleurs, la tenue, l’année dernière, des Assemblés générales en Afrique de l’Est (pôle émergent qui a contribué plus que l’Afrique de l’Ouest francophone dans le bénéfice de l’exercice 2015) avait été interprétée comme une tentative de se soustraire des exigences des petits porteurs et non une volonté de la banque de réaffirmer son caractère panafricain en tenant ses assises en dehors de sa sphère ouest-africaine.
Mais, même à Dar Es Salam, la pression n’a pas faiblit. Les administrateurs avaient proposé un versement de dividende sous forme d’une action nouvelle pour 15 de détenues tout en s’engageant de verser un dividende au titre de l’exercice 2015. Promesse tenue mais non sans conséquences . Ainsi, quelque 1,6 milliard d’actions ont été émises et attribuées aux actionnaires.
Ce procédé de verser des dividendes sous forme d’actions nouvelles est coûteux de l’avis de certains analystes. L’opération comporte une part de dilution des actions anciennes et dégrade certains ratios comme le bénéfice par action (BPA, tombé justement de 1,6 à 0,28 cents ) entre les exercices 2014 et 2015. S’il a reçu les feux verts des régulateurs ghanéens et nigérians, l’engagement de Tanzanie n’a pas encore était validé au niveau du Conseil régional de l’épargne et du marché financier (CREPMF) . Ce retard non argumenté par le gendarme financier de l’UEMOA(Union économique et monétaire ouest-africaine) vient s’ajouter aux nombreux griefs des petits porteurs contre les administrateurs d’Ecobank.
Les promesses pour le futur proche
Au terme de ces assemblées générales transparentes, tenues sous le regard attentif et sans restriction d’une trentaine de journalistes, venus de toutes les zones de présence d’Ecobank, il est clair que la solidité du contrat du nouveau CEO reposera sur sa capacité à faire gagner de l’argent à un réseau présent sur 36 pays. La banque qui a lancé une campagne promotionnelle tournée vers les consommateurs (banque de détail ), le 16 juin, à la veille des assemblées, consacrera une grande partie de ses efforts à fructifier son réseau.
Les canaux du digital et du mobile seront privilégiés sur ce segment banque de détail qui fonctionnera avec une stratégie recentrée sur le client. Les succès, mesurés pendant longtemps au rythme d’ouverture de nouvelles filiales-pays, se rapporteront désormais à la profondeur du compte d’exploitation, à la robustesse de la trésorerie et à la capacité de la banque à rémunérer ses actifs (ROA), ses capitaux (ROE) et ses actionnaires, grands comme petits. L’une des cartes maîtresses dont dispose justement Ecobank repose sur la confiance que lui accorde les grands actionnaires et leurs solidité dans leurs marchés respectifs . Et Qatar National Bank et Nedbank ou encore le fonds sud-africain PIC semblent attentifs à l’évolution de l’institution mais tout en exigeant une rationalisation des charges.
À l’instar d’Ecobank Nigeria, plus importante filiale de la Banque, qui a organisé un vaste plan de licenciement, Ade Ayeyemi a les soutiens nécessaires pour mener à la fois une véritable politique de cost killing, indispensable au vu du niveau du coût d’exploitation, une chasse aux créances douteuses pour infléchir le coût du risque, tout en maintenant la pression commerciale sur les objectifs de rentabilité. Cela rassemble à s’y méprendre à la quadrature du cercle mais c’est un passage obligé. « Quoi qu’il en soit, le Conseil d’administration s’engage à verser aux actionnaires le dividende maximal disponible que pourront permettre les bénéfices de ETI », promet le PCA.
Ecobank fermera les agences non rentables
Le nouveau CEO, Ade Ayeyemi, a fait le tour du propriétaire depuis sa nomination en rencontrant ses collaborateurs à différents échelons et le conseil d’administration. Le nigérian de 53 ans n’a pas failli au réflexe de tout banquier qui prend fonction: provisionner pour se couvrir des risques antérieurs. «Nous avons été conduits à comptabiliser de nouvelles provisions au quatrième trimestre, à hauteur de 357 millions dollars, ce qui porte au total ces provisions à 532 millions $EU sur 2015. Pour cette rubrique, 80 % du montant (427 millions $EU) concernent les encours de créances douteuses, le solde portant sur d’autres actifs, dont 80 millions $EU liés à notre activité Titres. Ce niveau élevé de provisions a fortement pesé sur notre résultat avant impôt et provisions de 738 millions $EU, qui reflète mieux notre potentiel bénéficiaire sous-jacent», déclare-t-il aux actionnaires.
Le nouveau CEO a présenté un plan quinquennal baptisé « Sur la voie du leadership » et approuvé par les administrateurs. Il s’agit, sur le plan opérationnel, d’une réorganisation de la banque en trois pôles :la Banque de Particuliers, la Banque Commerciale et la Banque de Grande Entreprise et d’Investissement. La rationalisation est aussi géographique avec quatre divisions que sont le Nigéria (région à lui seul compte tenu de sa taille), l’Afrique de l’Ouest Francophone (UEMOA), l’Afrique de l’Ouest Anglophone (AWA) et l’Afrique Centrale, de l’Est et Australe (CESA). « Cette organisation géographique reflète les principales opportunités commerciales que nous identifions actuellement dans nos zones d’activité », a précisé M. Ayeyemi. Le patron de la banque panafricaine compte se positionner en leader au Nigeria. Les coupes dans les effectifs concerneront le back office grâce à des centres de traitement basés au Nigeria et en Côte d’Ivoire qui couvriront les services des autres filiales.
Sans remettre en cause l’expansionnisme des années passées, le nouveau CEO a clairement défini ses priorités«Nous entendons optimiser notre réseau d’agences, soit en le revoyant à la baisse, soit en fermant les agences non rentables. Ces mesures, associées à des initiatives stratégiques de gestion de crédit, visent à promouvoir la discipline et le sens des priorités».
Le pôle CESA (Afrique centrale, de l’Est et australe), qui n’a pas encore atteint la taille critique, se verra appliqué un leadership axé sur la rentabilité.«La nomination de Samuel Adjei, qui a été l’artisan du succès de Ecobank Ghana, au poste de Directeur général de Ecobank Kenya et de Directeur régional CESA, reflète notre volonté de développer fortement nos activités dans la région», abonde M. Ayeyemi qui ne fait plus mystère de possibles restructurations voire de fermetures d’agences non rentables. «L’optimisation de notre plateforme panafricaine nécessitera inévitablement de faire des compromis. Il faudra donc adopter une approche rigoureuse de gestion de portefeuille, centrée sur l’exploitation des atouts de Ecobank. Par exemple, nous abandonnerons les marchés, produits et activités qui ne sont plus stratégiques ou qui ne présentent pas une trajectoire claire de rentabilité».
Soutenu pleinement par son conseil d’administration, Ade Ayeyemi va encadrer la politique d’octroi de crédit, rationaliser le parc immobilier de la banque et regrouper certaines agences pour faire de substantielles économies de charges d’exploitation.
Un réseau en phase de rééquilibrage
Présente dans 36 pays, Ecobank est un réseau de 1368 agences et bureaux et 2773 GAB qui servent 11 millions de clients répartis sur les segments particuliers, entreprises et grandes entreprises. Problème, la banque rencontre des difficultés pour gagner de l’argent. Ecobank Nigéria qui a absorbé Océanic Bank durant la période 2011-2012, présente un total bilan de 9,1 milliards de dollars, soit presque 50% du total bilan du groupe (23,6 milliards).
L’énorme filiale nigériane a dégagé un bénéfice 2015 de 57 millions de dollars, inférieur de loin aux 90 millions dégagés par l’Afrique de l’Ouest anglophone (Liberia, Sierra Leone, Gambie et Ghana) laquelle région a un total bilan de 2,1 milliards de dollars. La faible rentabilité des actifs nigérians ferait oublier les performances mitigées du pôle des 9 pays de l’ Afrique de l’Ouest francophone qui présente un résultat net de 85 millions de dollars pour un total bilan dépassant 7 milliards de dollars.
En comparaison, les 18 pays de l’Afrique centrale, de l’Est et Australe (CESA) ont versé 50 millions de dollars dans la corbeille commune pour une taille de moitié à celle de la filiale nigériane. A noter qu’un groupe de 7 pays a accusé des pertes de 28 millions de dollars.
Ces chiffres font état du déséquilibre du réseau concentré sur des zones encore peu rentables et parfois budgétivores. Avec à son actif la moitié des effectifs des salariés, soit plus de 9000 employés, le Nigéria est le principal foyer des charges d’E obank. C’est certainement pour réconcilier l’institution bancaire panafricaine avec les ratios de rentabilité que l’ivoirien Charles Kié, nouvellement porté à la tête d’Ecobank Nigeria, s’est séparé de 40% de son personnel de direction. Cette mesure inédite permettra sans doute au groupe en entier de réduire un coefficient d’exploitation qui reste élevé (64,9%) en dépit d’un léger fléchissement constaté entre 2014 et 2015.
L’autre inquiétude relevé est l’augmentation du taux de créance douteuse qui a atteint 8,2% en 2015 contre 4,4% en 2014. D’autre part, le faible rendement des fonds propres (ROE) établi à 4,4% contre 16,5% en 2014 pose la question de leur emploi efficient. La banque qui a enregistré un taux élevé de créances douteuses a subi de plein fouet la dépréciation des monnaies africaines face au dollar. » Notre produit net bancaire ressort en baisse de 8 % en 2015, alors qu’à taux de change constants il enregistrerait une hausse de 9 % »,rappelle le CEO. Un contraste qui appelle de lui-même à la mise en place d’instruments d’anticipation des risques de change des monnaies africaines.
En 2015, le total bilan d’Ecobank a atteint 23,6 milliards de dollars pour des fonds propres évalués à 2,5 milliards de dollars. Pour 2016 et les autres années à venir, les priorités de la banque sont résumées par le PCA dans son discours. Il s’agit de mettre le client au coeur de l’activité, de générer un rendement des fonds propres régulièrement supérieur au coût du capital, d’assurer une gestion prudente des risques et des coûts, améliorer la gestion du capital et veiller à la transparence de la gouvernance d’entreprise, de la rémunération des dirigeants et de la communication avec les interlocuteurs.