Les chefs d’Etat africains réunis en fin de semaine dernière à Lomé ont rendu un vibrant hommage à une personne qui participe au renouveau du continent par ses idées transformatrices. «Compte tenu du fait que M. Carlos Lopes a sans doute écrit l’un des plus beaux chapitres de l’histoire de la Commission économique pour l’Afrique, (nous) exprimons notre profonde gratitude à M. Carlos Lopes, un illustre fils de l’Afrique, un diplomate et économiste émérite, et nous lui adressons nos félicitations les plus chaleureuses et les plus sincères», peut-on lire dans la déclaration des chefs d’Etat en marge de l’adoption de la charte de Lomé sur la sécurité maritime.
L’économiste Bissau guinéen, tout nouveau récipiendaire du prix « Rebranding Africa » de l’Africa Rebranding Forum (trophée qui fut décerné aussi à Donald Kaberuka), quitte ses fonctions de secrétaire exécutif de la Commission économique à la fin octobre. Catalyseur d’idées et intellectuel engagé, Carlos Lopes a réussi le pari de mobiliser les leaders politiques et économiques du continent autour de trois objectifs stratégiques: intégration, industrialisation et transformation. Entretien.
Pourquoi cette démission plutôt inattendue et quel message en saisir ?
La démission me permet de garder mon droit à la parole dans un contexte de turbulences institutionnelles provoquées par différentes transitions tant à l’ONU que dans les organes de l’Union Africaine. Autant de changements risquaient de brouiller les pistes. Parfois , il faut savoir faire le bilan et prendre du recul.
Y-a-t-il u vie après la CEA?
Oui, il y a bien une vie après la CEA et elle sera active, plus axée sur l’académique.
Mais je ne me ferme aucune porte. Je suis versatile (rires), on verra bien. Le plus important pour moi c’est de poursuivre les travaux et d’explorer cette voie forte sur la transformation structurelle du continent.
La « transformation structurelle » est pour nous le mot clé à retenir de votre passage à la tête de la CEA. Est ce que le système des Nations Unies vous a suivi dans cette voie? Votre démission ne s’explique-t-elle pas finalement par les lourdeurs et les inerties « onusiennes »?
Comme toutes les grandes institutions internationales, les Nations Unies sont une machine devant obéir à un certain cadre, à une certaine construction de consensus et à des processus de décisions inter-gouvernementaux. Mais même avec toutes ces limites, il est possible de relever le niveau d’ambitions. Il y a toujours une possibilité de faire quelque chose. Si les uns et les autres nous reconnaissent une certaine réussite ( et il y a lieu de dire qu’il y a réussite, c’est parce que nous avons pu repousser les limites. Je crois fort que la CEA est une boite à idées avec des propositions novatrices, différentes et alternatives.
Vous partez alors qu’il y a les négociations sur la zone continentale de libre-échange qui viennent de commencer. C’est un projet qui vous tenait particulièrement à coeur ? Quel message avez-vous à transmettre aux leaders africains par rapport à cet enjeu?
Il faut que nos leaders se pressent. Nous avons beaucoup de temps à rattrapper. Je crois que s’il y a un seul domaine prioritaire à mettre en avant pour permettre à l’Afrique de faire un bond de géant dans les deux à trois prochaines années, c’est la zone économique de libre échange continentale. À partir de cette ZELC, la donne de notre potentiel économique va changer fondamentalement. Nos orientations et nos manières de concevoir nos politiques économiques seront différentes.
Nous dépendons trop, en ce moment, du commerce extérieur. Nous sommes donc victimes de la demande extérieure et de la fluctuation des matières premières. Or nous savons que la croissance économique provient en partie et de plus en plus de la demande interne. Nous devons rendre son dû à cette croissance interne par des réformes fiscales profondes permettant d’élargir l’assiette fiscale en interne pour mieux contrôler notre destin et diminuer cette forte dépendance aux matières premières.
Force quand même est de constater que l’industrialisation du continent n’a pas tellement avancé sur ces dernières années. Doit-on en conclure que les forces de l’inertie sont plus fortes que celles du mouvement ?
Je suis plus optimiste que vous sur cette question. La part de l’industrie dans le PIB, en constante amélioration, dépasse désormais celle de l’Agriculture. À titre d’illustration, nous avons plus de 500 milliards de dollars d’exportations de produits manufacturiers à partir de l’Afrique. La photographie n’est pas si mauvaise même si nous sommes encore, et je vous le concède, à un niveau d’industrialisation bas. Nous avons quant à nous, à la CEA, réussi à replacer cette nécessité au centre du débat. Il y a quatre ans on n’en parlait pas. Aujourd’hui, c’est une nécessité réaffirmée dans l’agenda continental. Mais l’on ne peut, en dépit de cette mobilisation, faire de l’industrialisation en pensant que c’est l’affaire du ministre de l’industrie. L’industrialisation est la résultante de la convergence des politiques économiques parvenues à un certain degré de cohérence et de raffinement. Au delà du fait d’avoir des usines, l’industrialisation suppose la transformation profonde de la structure de l’économie et du tissu économique et social. Cela va de l’Agriculture aux services et concerne aussi la protection sociale, la santé et l’éducation. Quand on aura compris que ce n’est pas l’affaire du ministre de l’industrie, alors on aura compris le processus d’industrialisation.
Vous avez déclaré récemment que le Franc CFA est désuet. Pouvez-vous préciser votre pensée?
Moi, je ne suis ni contre le Franc CFA ni contre les zones monétaires. Je suis contre la façon dont on gère actuellement cette monnaie. C’est une gestion désuète qui ne tient pas compte de l’évolution macroéconomique des pays des deux zones. Le niveau de transactions commerciales n’est pas nécessairement lié à l’euro, au taux de parité fixe. Il y a des mécanismes associés à la zone qui n’ont rien à voir avec le marché. Cas par exemple la façon dont on gère les réserves avec l’obligation de déposer une bonne partie au niveau du Trésor français. Nous invitons à un vrai débat sur cette question.
Au final, si vous devez résumer votre passage à la CEA?
Nous avons passé quatre ans d’une extrême richesses à la CEA. Nous avons orienté l’agenda vers différentes directions en mettant l’accent sur la transformation structurelle, l’intégration et l’industrialisation de l’Afrique. Nous avons mis en place une nouvelle manière de présenter l’Afrique avec confiance et défiance.
Directeur de publication de Financial Afrik. Dans la presse économique africaine depuis plus de 20 ans, Adama Wade a eu à exercer au Maroc dans plusieurs rédactions, notamment La Vie Industrielle et Agricole, La Vie Touristique, Demain Magazine, Aujourd'hui Le Maroc et Les Afriques. Capitaine au Long Cours de la Marine Marchande et titulaire d'un Master en Communication des Organisations, Adama Wade a publié un essai, «Le mythe de Tarzan», qui décrit le complexe géopolitique de l’Afrique.
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