Un vieux routier de la politique togolaise.
Aimé Tchabouré Gogué, septuagénaire, arrivé troisième lors de l’élection présidentielle du 25 avril 2015, est professeur agrégé en économie. Ministre du plan de 1991 à 1993 pendant la transition politique au Togo, son arrivée au parlement depuis 2013 ne rend pas toujours tendres les discussions budgétaires – l’actuel ministre des Finances, Sani Yaya, en a eu pour son grade le 27 décembre 2016-. Dans cet entretien exclusif accordé à Financial Afrik à son domicile à Lomé en décembre 2016, le leader de l’Alliance des démocrates pour un développement intégral (Addi) analyse la loi des finances gestion 2017, sa structuration et ses manquements. Occasion pour lui de revenir sur l’endettement du Togo et les mécanismes mis en place destinés à le réduire. Entretien exclusif.
Votre parti a introduit une proposition de loi au parlement pour vote. En quoi consiste-t-elle ?
Notre proposition de loi porte sur la déclaration du patrimoine des autorités publiques et administratives du pays. Il est prévu par la constitution que chaque personnalité nommée à tel ou tel poste doit procéder à la déclaration de son patrimoine. Mais la constitution prédispose qu’il faut une loi d’application. Et c’est cette proposition de loi que nous avons faite.
Croyez-vous que votre geste puisse faire changer la donne ?
Même si nous sommes de la minorité, nous espérons que nous bénéficierons du soutien de nos collègues de la majorité, dans la mesure que c’est déjà prévu par la constitution. Nous avions d’ailleurs approché les collègues avant de faire notre proposition.
Vous avez voté mardi 27 décembre, un budget qui s’équilibre en recettes et en dépenses, à 1.227,4 milliards de F CFA. Quels sont les points forts de ce budget ?
Notre parti a voté contre. Pas parce que tout est mauvais, bien évidemment. D’abord, nous reconnaissons que pour cette année, le gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale le projet de budget un peu plus tôt. Ce qui a donné plus de temps à l’assemblée d’examiner, d’amender et de faire des propositions conséquentes.
Deuxième aspect, c’est l’accroissement des recettes. Nous arrivons à remplir des conditions relatives à la pression fiscale, selon les critères de convergence de l’UEMOA. Nous avons aussi remarqué que des efforts se font pour mieux maitriser les coûts de transferts des multinationales. C’est par ces pratiques que se fait l’évasion fiscale. Donc, si on arrive à une bonne connaissance des coûts de transferts, cela réduit les profits des multinationales, ce qui permet d’augmenter les recettes fiscales.
Par ailleurs, nous avons trouvé que le ministre a fourni des informations qu’on lui demande. Le tout dans un esprit collaboratif à saluer.
Ce budget consacre 46,8% des dépenses aux secteurs sociaux. Les Togolais peuvent ils espérer le mandat social promis par Faure Gnassingbé au lendemain de sa réélection en 2015 ?
C’est des histoires. C’est surtout l’un des aspects négatifs de ce budget. Comme toujours, une des plaies de ce gouvernement, c’est de ne pas respecter les orientations définies par la Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi (SCAPE). C’est des dispositions qui ont été prises. On peut dire, à priori que, c’est un accord entre les Togolais d’allouer des ressources à des secteurs prioritaires.
Prenons surtout deux (2) secteurs. L’axe 1 qui est le secteur porteur de croissance, et l’axe 3, secteur du développement du capital humain. Ils devraient bénéficier de plus de ressources, mais ce n’est pas le cas. Tout le monde sait que le secteur de la santé est peu développé dans ce pays. Pourtant, on parle de « social ». Malheureusement, même les ressources allouées à ces secteurs n’ont pas significativement augmenté. Il a fallu d’ailleurs l’intervention des députés pour qu’on les augmente légèrement.
Vous voyez les crises sociales dans le pays. Les enseignants sont en grève presque toutes les semaines. Nous avons passé un trimestre, et nous ne pouvons pas dire que dans l’enseignement dans le secteur public, qui le plus est le plus important, s’est déroulé normalement. Et au niveau du budget, on n’a pas prévu nécessairement quelque-chose pour faire face à la crise sociale qui prévaut. En principe, le gouvernement est en négociation avec les syndicats. On ne présage pas d’issues à ces négociations, mais le gouvernement ne peut pas adopter une attitude comme s’il n’y aura rien à faire. Ce n’est pas possible. Si vous entrez en négociation, il est possible que vous soyez obligé de dépenser plus et de satisfaire les attentes de vos interlocuteurs. Quelque chose devrait être prévue, ce qui n’est pas le cas. Donc, pour nous, nous ne sommes pas encore dans ce mandat social.
Pour mobiliser les ressources externes, le Togo compte mettre l’accent sur, entre autres facteurs, les emprunts à des taux concessionnels auprès des partenaires techniques et financiers pour prendre en charge les investissements dans les secteurs porteurs de croissance.
C’est un aspect positif. Depuis que nous sommes arrivés au parlement, la politique d’endettement constitue l’une des critiques sévères que nous avons formulées à l’endroit du ministère des finances. Vraiment c’était très sérieux entre le ministère des finances (avec l’ex-ministre, M. Adji Otèth Ayassor) et nous-mêmes. Nous leur disons que la stratégie adoptée pour le financement des infrastructures allait nous couter très cher. Que ça allait alourdir l’endettement du pays, et vraiment ce sont des discussions très sérieuses surtout en 2013, 2014, et 2015 pour l’adoption des budgets.
Mais maintenant, le gouvernement est revenu à de meilleurs sentiments. Ils ont compris effectivement que c’est mauvais. L’endettement du pays est passé de 45% du PIB en 2011 à près de 75%. Aujourd’hui, nous ne remplissons pas du tout le critère de convergence de l’UEMOA, et nous sommes le seul pays dans le cas parce qu’on vient d’ailleurs de bénéficier de l’initiative PPTE.
Le recours à l’endettement concessionnel a été l’un des points chauds de discussion avec le ministre Sani Yaya. Nous ne disons pas que les interventions du Fonds monétaire international (FMI) sont nécessairement bonnes, mais elles permettent au pays d’avoir une discipline budgétaire. Pour pouvoir avoir accès à des ressources concessionnelles assez importantes, il faut que le pays ait un programme avec le FMI (NDLR: nous avons rencontré le professeur avant l’annonce et l’arrivée de la mission du Fonds qui séjourne à Lomé jusqu’au 18 janvier prochain ). Ce que le gouvernement n’avait pas. Donc, ce n’est pas des déclarations qu’il faut faire. Il faut d’abord avoir un programme. Mais pour l’avoir, il faut montrer une bonne manière de gérer les finances publiques. Et il y a des critères qu’il faut remplir.
Ensuite, pour que ces ressources concessionnelles soient importantes et avec de périodes de grâce allongées, il faut aussi régler le problème de la bonne gouvernance et de la démocratie. Ça contribue à améliorer les critères de performance de l’administration (gestion financière et économique) pour avoir accès à ces ressources. Nous espérons que le pays fera des efforts nécessaires dans ce sens. Le cas échéant, ils vont toujours avoir recours à des emprunts à taux d’intérêt élevé, ce qui aura tendance à améliorer la dette.
Une dette qui, comme vous venez de le mentionner, est passée de 48,6% du PIB en 2011, à 75,4% du PIB en 2015. Commentaires ?
Avoir une dette n’est pas le problème. C’est comme un individu. Si vous vous êtes endetté pour réaliser quelque chose qui va rapporter dans l’avenir et vous permettra de rembourser ce que vous avez emprunté dans le passé, c’est une bonne chose. Mais ce qu’il faut éviter, c’est que l’endettement ne devienne non soutenable, et que vous ne soyez pas en mesurer de rembourser. Et pour ça, il y a des critères. On tient compte du taux d’intérêt sur la dette, et des performances économiques du pays. Ici, nous avons des problèmes. Si vous voyez, le taux de croissance économique du Togo diminue depuis 2014. Non seulement ça diminue, mais il est plus faible que la moyenne des pays de l’UEMOA. Or, nous avons traversé une crise économique sévère pendant plusieurs années. D’autres pays nous ont devancés. Actuellement, nous devons faire l’effort pour avoir des croissances économiques que ces pays. Mais nous avons malheureusement des chiffres en deçà. C’est dangereux pour l’avenir.
De deux, avec ces taux de croissance faible, nous faisons des prêts commerciaux à des taux d’intérêt élevés. C’est ce qui explique cette forte explosion de l’endettement du pays. Le gouvernement a pris une décision, c’est le remboursement de la dette. Il propose de faire des emprunts à des taux d’intérêts relativement concessionnels, pour effacer les dettes à des taux d’intérêt élevés. C’est une bonne stratégie, mais la conséquence c’est qu’à court terme, il ne pourra pas investir, ce qui va impacter négativement sur les investissements.
Ne pensez-vous pas que les projets qui ont été financés par ces prêts « anciens » soient en mesure de générer de revenus pour le remboursement ?
Ce n’est pas certain. Prenez en exemple la route Lomé – Anfoin – Vogan. Pensez-vous que ça va apporter ? On ne sait pas où est passé le financement. Ce qui est encore très dangereux, c’est que là où il y a beaucoup de corruption, c’est dans les infrastructures routières. Ici, 1 km de route coûte 600 millions FCFA en moyenne. Il faut savoir si ces routes sont construites au nord, et si elles vont rapporter. C’est pourquoi on dit que pour ces genres d’investissements, il faut avoir recours à des prêts sur long terme, et à période de grâce élevée.
Là où ces investissements se font pose problème. Depuis, la route Lomé-Dapaong-Cinkassé (qui rallie Ouagadougou) n’est toujours pas en bon état en totalité. C’est elle qui devrait être en priorité réalisée, ce qui permettra de rentabiliser le Port de Lomé, et avec les activités du port, on pourra financer les rues qu’on a. Nous sommes tous d’accord pour avoir de belles rues, des routes transversales, etc., ce qui devra favoriser le développement de l’agriculture, mais il faut avoir une stratégie de financement. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le niveau de la dette est très élevé. Ils ont développé une stratégie pour la réduire. On peut s’endetter, mais il faut investir dans des secteurs qui vont permettre de générer de revenus. C’est ce que le gouvernement n’a pas été capable de faire.
Au rang des recettes, on annonce une poursuite de la politique fiscale, notamment l’élargissement de la base fiscale. Est-ce une bonne option pour un pays dont le secteur privé peine à décoller ?
L’élargissement de la base fiscale est une bonne chose. Si vous voulez augmenter les recettes fiscales sans handicaper l’activité de ces entreprises, pour un pays comme les nôtres, où les entreprises fiscalisées ne pas nombreuses, vous êtes obligé d’augmenter le taux d’imposition, ce qui n’est pas porteur pour les opérateurs économiques. Donc, l’idéal serait d’élargir la base fiscale, de trouver des nouvelles taxes pour pouvoir créer de nouveaux imposables, pour que tout le monde puisse payer.
Mais le problème à ce niveau, c’est aussi les entreprises publiques. C’est aussi l’une des faiblesses de ce budget. Je ne dirai pas de ce budget, mais des lois des finances qu’on nous soumet pour vote. Nous avons toujours eu des problèmes à évaluer les performances de ces entreprises, et à évaluer leur contribution au financement. Parce qu’elles sont également imposables. S’il y a beaucoup de fuites, ça veut dire que la base se réduit. C’est très sérieux et vrai. Il y a des entreprises comme les phosphates, la LONATO, etc., qui contribuent peu. Nous avons suggéré au gouvernement d’y envoyer la Cour des comptes ou l’Inspection générale des finances pour voir la gestion. Ce n’est pas possible qu’elles contribuent si peu aux recettes fiscales. C’est important et nous insistons sur cela.
Croyez-vous qu’en 2017, et avec ce budget en hausse de 21% par rapport à 2016, le Togo puisse maitriser les grands équilibres macroéconomiques ?
Etant membre de l’UEMOA, le taux d’inflation est généralement bien maitrisé. Cette année aussi, il y a des efforts pour réduire le déficit budgétaire. Mais pour la balance courante, je crois qu’il y a encore de lacunes. Le taux de croissance reste stable à 5% entre 2016 et 2017, et je crois qu’il y a des efforts à faire. L’important est que l’instabilité macroéconomique permette de promouvoir l’investissement et d’améliorer le taux de croissance économique plus tard. Il y a des débats pour le niveau du taux d’inflation qui serait optimal. A mon niveau, je ne pense pas qu’un niveau d’inflation à moins de 3% contribue à la croissance. Un taux d’inflation trop élevé n’est pas bon.
La SCAPE qui échoit en 2017 est annoncée pour être remplacée par un Plan national de développement. Quel bilan tirez-vous de cette stratégie ?
C’est un problème. Comme je l’ai soulevé, ce budget ne respecte pas les allocations qui doivent être allouées à la SCAPE. A priori, il est évident que les résultats attendus par la SCAPE ne peuvent pas être atteints. Maintenant on pense à l’élaboration d’un autre plan. Il faut noter qu’il est nécessaire de décliner une vision sur le long terme pour le pays. Ça donne une orientation dominante, et à partir de là, vous pourrez avoir des plans de 5 ans, et le budget qui vient en dernière position. On n’a pas de vision actuellement. Le professeur Kako Nubukpo (ancien ministre de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques, Ndlr) devrait le faire, mais ne l’a pas fait. Il n’a fait qu’une communication. Vous ne pouvez pas faire une politique économique sans une vision. Et la grande responsabilité incombe au gouvernement qui a seulement alloué 50 millions pour le budget, ce qui est largement insuffisant. Peut-être qu’ils se sont dit qu’ils vont trouver des ressources et partenaires à partir de là.
Propos recueillis par Nephthali Messanh Ledy