En raison de leur essor démographique, les villes africaines sont vouées à jouer un rôle capital dans la croissance de leurs pays, souligne un nouveau rapport de la Banque mondiale qui paraît aujourd’hui. Afin d’accélérer la croissance économique, de créer des emplois et d’améliorer la compétitivité des villes, il est indispensable d’améliorer la vie des citadins et des entreprises en investissant vigoureusement dans les infrastructures et en réformant les marchés fonciers.
Pour que leur essor rime avec croissance économique, il faut « ouvrir les villes africaines au monde », comme le met en avant le titre de la publication. La population urbaine en Afrique s’élève actuellement à 472 millions d’habitants, mais elle va doubler au cours des vingt-cinq prochaines années, pour atteindre un milliard d’habitants en 2040. Et, dès 2025, les villes africaines abriteront 187 millions d’habitants supplémentaires, soit l’équivalent de la population actuelle du Nigéria.
« L’Afrique a besoin de villes moins chères, mieux desservies et plus vivables, indique Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique. Il est essentiel d’améliorer les bénéfices économiques et sociaux qui découlent de l’urbanisation, car la clé de la transformation des économies africaines réside notamment dans un développement urbain mieux maîtrisé. »
Le rapport compare le processus d’urbanisation en Afrique à celui observé auparavant dans d’autres régions en développement et montre qu’il ne s’accompagne pas des mêmes niveaux de revenu. Ainsi, quand les régions du Moyen-Orient/Afrique du Nord et de l’Asie de l’Est/Pacifique ont atteint un taux d’urbanisation de 40 % (soit la proportion de citadins que compte actuellement l’Afrique), leur PIB par habitant (mesuré en dollars constants de 2005) s’élevait respectivement à 1 800 dollars (en 1968) et 3 600 dollars (en 1994). En Afrique, il se situe à 1 000 dollars seulement. Par conséquent, chaque dollar d’argent public investi dans les villes doit l’être dans un souci d’efficacité maximum, tandis qu’il faut également mobiliser autant que possible d’autres sources de financement, auprès du secteur privé comme des partenaires internationaux et de la population.
Ce phénomène d’urbanisation rapide couplé à un niveau de richesse inférieur signifie que le montant des investissements productifs dans les villes africaines est resté relativement bas au cours des quatre dernières décennies (autour de 20 % du PIB). Au contraire, les pays d’Asie de l’Est (Chine, Japon et République de Corée) ont intensifié ces investissements durant leur essor urbain.
En Afrique, souligne le rapport, le processus de concentration de la population dans les villes n’a pas donné lieu à des investissements suffisants dans les infrastructures urbaines et autres structures industrielles et commerciales, ni dans une offre appropriée de logements abordables. Avec des investissements coordonnés dans les infrastructures et les structures résidentielles et commerciales, les villes africaines seront en mesure d’accroître les économies d’agglomération et de rapprocher les habitants des emplois.
De fait, parce qu’elles sont mal desservies, les villes africaines sont aujourd’hui parmi les plus chères du monde, tant pour les ménages que pour les entreprises, ce qui les rend, selon les termes du rapport, « hors service » et « fermées au commerce ».
Les cités d’Afrique sont en effet 29 % plus chères que celles des pays à niveau de revenu similaire. Les ménages urbains africains ont, proportionnellement au PIB par habitant, des coûts plus élevés que ceux d’autres régions du monde, sachant que ces coûts sont surtout grevés par les dépenses de logement, supérieures de 55 % à celles observées dans d’autres régions. À Dar es Salaam, par exemple, 28 % des habitants vivent à trois au moins dans une pièce, et à Abidjan, ils sont 50 %. À Lagos, au Nigéria, deux habitants sur trois vivent dans des bidonvilles.
À cela s’ajoute le coût des denrées alimentaires, environ 35 % plus chères dans les villes d’Afrique que dans celles d’autres pays à revenu faible ou intermédiaire ailleurs dans le monde. Globalement, par rapport aux autres pays en développement à niveau de revenu similaire, les biens et services coûtent entre 20 et 31 % plus cher aux ménages urbains africains.
En outre, les frais de transport quotidiens pour ceux qui travaillent sont élevés, voire prohibitifs, sachant par ailleurs que les systèmes de minibus informels sont loin d’être économiques. Pour ceux qui sont contraints de se déplacer à pied, l’accès à l’emploi est donc limité. Parce qu’elles ne font pas l’objet d’un développement planifié suffisant, les villes connaissent une expansion continue des implantations sauvages, qui se trouvent plutôt dans le centre et donc plus près des emplois (à l’instar de Kibera à Nairobi et de Tandale à Dar es Salaam).
Le niveau plus élevé du coût de la vie a aussi un impact sur les entreprises, puisqu’il les oblige à verser des salaires plus élevés, ce qui nuit à leur productivité et leur compétitivité, et leur ferme les portes de l’exportation. Le résultat, c’est que les villes africaines n’attirent guère les investisseurs régionaux ou mondiaux et partenaires commerciaux potentiels.
Les gains considérables d’efficacité et de productivité que celles-ci pourraient réaliser sont à la mesure de ces coûts, et ils pourraient permettre aux agglomérations d’Afrique de jouer un rôle de catalyseur déterminant pour le développement économique des pays.
Selon le rapport, les villes africaines sont aujourd’hui prisonnières d’un mode de croissance qui entrave le développement économique. La solution, pour les libérer de cette « trappe de sous-développement », est de faire en sorte qu’elles grandissent en se densifiant économiquement et physiquement, avec le souci de les connecter pour accroître leur efficacité et, à la clé, des perspectives de rentabilité plus élevées pour les investisseurs :
• la première priorité consiste à régulariser les marchés fonciers, clarifier les droits de propriété et instituer des politiques efficaces d’aménagement urbain afin de rassembler les territoires ;
• en second lieu, il faut investir tôt et de manière coordonnée dans les infrastructures, afin de relier ensemble tous les éléments du développement urbain : résidentiel, commercial et industriel.
« Les choix faits maintenant ne seront pas seulement déterminants pour les années qui viennent : ils décideront de la physionomie d’une ville et de sa performance pour les décennies voire les siècles à venir, insiste Ede Ijjasz-Vasquez, directeur principal du pôle Développement social, urbain et rural, et résilience de la Banque mondiale. Du point de vue des politiques publiques, il s’agit de résoudre les problèmes structurels auxquels sont confrontées les villes africaines. L’Afrique doit renforcer les institutions qui régissent les marchés fonciers et coordonner l’aménagement du territoire et la planification des infrastructures. La fragmentation du développement urbain en Afrique, qui est 20 % supérieure à celle observée en Asie ou en Amérique latine, porte préjudice à la productivité et aux conditions de vie dans les villes. »
Pour Somik Lall, économiste principal à la Banque mondiale spécialisé dans le développement urbain et auteur du rapport, « les dirigeants et responsables publics africains doivent s’attacher en priorité à investir tôt et de manière coordonnée dans les infrastructures. Faute de quoi, les villes d’Afrique resteront des villes “locales”, sans échange avec les marchés régionaux et mondiaux, cantonnées dans la production de biens et services pour le marché local et limitées dans leur expansion économique. Les villes d’Afrique doivent développer une activité exportatrice compétitive sur les marchés internationaux pour offrir un environnement propice aux affaires. Pour y parvenir, les responsables municipaux doivent de toute urgence se doter d’une approche nouvelle et solide pour le développement urbain en Afrique. »