Par Mamadou Aliou Diallo
La préfecture de Boké, ville minière d’environ 100 000 habitants, située à 300 kilomètres de Conakry est en ébullition depuis plus d’une semaine. Tout est parti d’un mouvement spontané de ras-le-bol, provoqué par un camion transportant de la bauxite qui a percuté un jeune conducteur de taxi-moto qui a succombé à ses blessures le lundi 24 Avril dernier.
La rage et la frustration des habitants de Boké accumulées durant des années ont explosé d’un coup. Pour exprimer leur exaspération face à la perte d’un des leurs, causée par une société minière, les jeunes s’en sont pris aux édifices publics. Le siège d’électricité de Guinée, la mairie ont entre autres été la cible des manifestants. Les jeunes ont ensuite investi durant quatre jours les rues de la ville et se sont affrontés aux forces de l’ordre. Le bilan est lourd : 29 blessés dont 9 par balles, selon les statistiques de l’hôpital régional, avec au moins une victime tuée dans les accrochages avec les forces de sécurité. Se sentant menacés, le préfet, le gouverneur et le maire se sont réfugiés à Kamsar une sous-préfecture de Boké abritant l’usine de traitement de la CBG.
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Les populations hostiles envers les sociétés minières, exigent un meilleur traitement
Ce mouvement de revendication qui a démarré de façon spontanée s’est organisé petit en petit autour de plusieurs points de revendications soumises aux autorités par les meneurs de la manifestation. Les protestations contre les délestages d’eau et du courant électrique en ville se sont au fil des heures et des jours muées en manifestations généralisées contre les sociétés minières évoluant dans la région, en première ligne la SMB, GAC-EGA, la CBG etc… cette manifestation d’une ampleur et d’une violence inédites paralyse la ville et contraint les activités des sociétés minières au ralenti. Les manifestants ayant décidé de bloquer tout engin roulant appartenant aux sociétés minières. Une situation qui laisse transparaitre un malaise général dans cette région en proie à la surexploitation minière, dont les retombées ne sont pratiquement pas perceptibles par les pauvres populations
Malgré un retour au calme précaire, la tentative de négociation des autorités de Conakry qui ont dépêché sur place le gouverneur de Conakry, puis le ministre des mines, n’a pas réussi à faire infléchir la détermination de la jeunesse du kakandé, qui n’entend céder pour rien jusqu’à la satisfaction de la totalité de sa plateforme revendicative.
Une semaine après le début du mouvement, les autorités locales n’ont toujours pas réussi à faire infléchir la population de Boké, en première ligne la jeunesse qui demeure pour l’heure intraitable sur sa trentaine de points de revendications parmi elles : l’emploi des jeunes de Boké dans les sociétés minières; la fourniture d’eau et d’électricité; la nomination des ressortissants de la région aux fonctions administratives, le bitumage de toute la voirie urbaine et la construction d’une contournante pour les camions chargés du minerai de bauxite pour éviter les accidents et la poussière, etc….
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Mais pour comprendre la complexité de la situation, il faut remonter à la genèse de l’implantation des sociétés minières dans cette région.
Née de la défunte Compagnie des Bauxites du Midi qui a effectué les premiers forages sur les plateaux de Sangarédi (Boké) en janvier 1955, la Compagnie des Bauxite de Guinée (CBG), est fondée le 1er octobre 1963 et devient à l’époque la plus grande société productrice de bauxite dans le monde et la pionnière en Guinée. Elle appartient alors à 49% à l’Etat Guinéen et 51% à Harvey Aluminium of Delaware, pour développer les réserves de Boké à Sangarédi.
Quatre ans plus tard, en 1967, la CBG s’élargit et Harvey Aluminium s’adjoint 5 autres sociétés d’envergure internationale qui sont : Alcan (Canada, 33%), Alcoa (USA, 27%), Martin Marietta (14%), Pechiney (France, 10%), Vaw (10%), et Montecani (6%).
L’Office d’Aménagement de Boké (OFAB) est créé en 1965 par la Guinée, pour construire et gérer les infrastructures de la CBG. C’est seulement 10 après sa création, soit le 2 août 1973, que la CBG commence à exporter la bauxite. Le CORONIA, premier navire chargé par la CBG, est parti du Port minéralier de Kamsar, avec à son bord 19.000 tonnes de bauxite ordinaire.
Depuis 1973, la CBG détient les droits exclusifs d’extraction de bauxite sur le site d’une concession minière de 1.292 Km2 comprise entre les Préfectures de Boké Télimélé et Gaoual. De société mixte à sa fondation, la CBG est devenue une société anonyme en juin 1999 à la faveur d’un protocole d’accord signé entre le gouvernement de la République de Guinée et Halco Mining Inc. Les partenaires étrangers de la CBG regroupés dans HALCO MINING sont aujourd’hui: Rio Tinto-Alcan, Alcoa et Dadco. La CBG et d’autres multinationales comme Global Alumina Corporation (GAC) détenu par EGA (Emirates Global Aluminium), SMB, etc… évoluant tous dans le même corridor placent la Guinée aujourd’hui au 5 ème rang des producteurs mondiaux de bauxites.
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Une politique du contenu local non appliquée
Cette politique permettant de développer un tissu industriel dans la localité impactée par l’exploitation et de faire valoir les compétences locales, qui est imposée à la lettre dans les autres grands pays miniers à toutes les sociétés minières est à la traine en Guinée, malgré tout le potentiel de son sous- sol. Malgré plusieurs Mégas projets en perspective dont celui du Simandou au Sud-ouest du pays, évalué à 20 milliard de dollars, celui de GAC-EGA de 5 milliards de dollars, etc…la Guinée durant toutes ces années d’exploitation des substances comme l’or, la bauxite, le diamant, etc… n’a toujours pas atteint son autonomie énergétique permettant à ces multinationales de procéder à la transformation sur place. Toute chose qui aurait favorisé un effet d’entrainement et créé un écosystème industriel porteur et stimulant pour l’économie du pays.
Malheureusement durant toutes ces années, les gouvernements successifs sont restés dans l’expectative sans aucune vision globale. Misant sur les revenus générés par les taxes et redevances versées à l’État par des sociétés minières qui ne respectent ni les clauses du contenu local, ni le code minier et dont l’impact n’est ni certain, ni visible sur l’amélioration des conditions de vie des localités concernées, parce que tout simplement ces ressources sont mal utilisées.
En quarante-quatre ans d’exploitation, la région abritant les plus importants gisements bauxitiques du pays qui détient les deux tiers des réserves mondiales ploie encore sur le poids de la misère. Pas d’électricité, pas de routes, pas d’écoles et d’hôpitaux dignes de noms, pas d’emplois pour les jeunes et ces sociétés minières sont entrain, en violation flagrante du code minier, de provoquer un scandale écologique, un véritable désastre environnemental dans la zone de Boké. Des dizaines de camions traversent le centre-ville chargés de la terre rouge en destination des ports minéraliers de la région en déversant une bonne partie de la poussière sur les habitants, c’est justement l’un de ces camions qui, en tuant un conducteur de Moto-taxi, a embrassé la ville.
Plus de quatre décennies que les Bokékas sont bercés par les klaxons des locomotives et tout récemment des gros camions chargés de bauxite, qui traversent la contrée, des mines aux différents ports minéraliers où accostent en eau profonde de gros bateaux , venus charger et transporter la bauxite vers le reste du monde pour être transformée en alumine puis en aluminium, avant de se retrouver sur le marché guinéen en produit fini. Plus de quarante ans que cela se répète sans aucun changement notaire pour les populations de cette région en proie à la destruction très poussée du couvert végétale…