Par Adama Wade, Ahmedabad, Inde
Les différents bruits de départs et d’arrivées au sein de la Banque Africaine de Développement (BAD) ne sont pas nouveaux. La soeur utérine de l’Union Africaine est engagée dans un tunnel que la théorie du Management résume par le terme usité de la «conduite du changement». Ce processus qui a valu à Carlos Gohsn le surnom de «cost -killer» lors de la phase post-acquisition Renault-Nissan, pèse sur la lagune Ébrié. Les enjeux ne sont pas sans rappeler l’épreuve de l’actuel président de la Banque Mondiale, Jim Yong Kim, qui, dès sa prise de fonction, a sacrifié de hauts profils que l’on croyait indéboulonnables, à l’instar du français Bertrand Badré, son directeur financier, auteur d’un Plan de restructuration de 400 millions de dollars. A la réduction des charges, préalable à toute réorientation, s’ajoute le renouvellement des instances dirigeantes.
En son temps, le Sénégalais Babacar Ndiaye, qui présidera l’institution panafricaine de 1985 à 1995, a été confronté, peu avant son départ, au fameux rapport Knox qui préconisait une coupe drastique dans les effectifs. La restructuration sera conduite plus tard, au forceps, par le marocain Omar Kabbaj. Le rapport Knox défendu par les administrateurs américains et français avait recommandé notamment de réduire le nombre de secrétaires, à l’époque tout un régiment, pour anticiper l’informatisation croissante. Mais, sur plus de 217 postes, seuls 17 furent libérés. La solidarité africaine fut reculer la volonté du changement.
La banque retomba dans son statu quo. Quand il arriva aux manettes, le rwandais Donald Kaberuka fut, lui aussi, confronté à la résistance du vieux bois mort africain. L’ancien ministre rwandais des Finances n’hésitera pas, en mâle dominant, de marquer son territoire, en coupant des têtes pour imposer sa vision. Aujourd’hui, la BAD est de nouveau dans une étape essentielle. Conseillé par le cabinet Mackinsey, le nouveau président, Akinwumi Adesina, parce qu’il n’est pas financier, parce qu’il n’a jamais été gouverneur de la banque avant d’en devenir président, fait de facto sortir l’institution d’une routine instaurée à la longue par des profils puisés en général dans le même sérail.
Sa volonté de faire de l’Agriculture la mère des priorités rencontre, on le voit bien, des réticences au sein du conseil d’administration. Lors des assemblées générales qui se tiennent ce mois de mai à Ahmadebad (Inde), les gouverneurs devront approuver les orientations générales. Selon nos informations, la question du déblocage du fonds FAD (Fonds africain de développement) et celle d’une nouvelle augmentation de capital, rejetée par les administrateurs, pourront s’inviter dans les discussions.
A la fin de ces rencontres , des réaménagements sont prévus dans le corps des vice-présidents. La Banque devrait sauf surprise conserver son triple A tant auprès de Moody’s que de Fitch.
A l’instar de la Banque Mondiale, qui a enregistré de grands divorces lors de l’arrivée de l’actuel président, l’institution sise à Abidjan, voit des profils de premier rang quitter le navire. Quelques uns sont du bois mort car non utilisés et ne répondant pas aux besoins du moment. D’autres sont en revanche des feuilles vertes qui peuvent encore donner de beaux fruits. Dans l’ensemble, 350 profils sont sur le départ négocié et, dans certains cas, provoqué. C’est dire de l’urgence de la remobilisation des troupes.
Parallélement, sur le front externe, la BAD poursuit sa mue organisationnelle orientée désormais vers les cinq priorités du président Adesina. Dans ce contexte tendu où enjeux collectifs et calculs individuels s’entrechoquent, l’on assiste à la montée en force de certains profils, appelés dans le cockpit aux côtés du président pour piloter les super départements de l’Agriculture ou encore de l’Energie. Dans le même temps, le pôle secteur privé, autrefois florissant, se réduit comme peau de chagrin, vidé de sa substance par un département «Grands projets» aux allures de mastodonte.Peut-on reprocher au président, en tant que dépositaire suprême de la volonté des actionnaires, de ne pas choisir ses hommes? Certainement non.
Cependant, il convient de le souligner, les changements en cours devraient, autant que possible, préserver les acquis du passé. L’ingénieur agronome nigérian hérite d’une banque performante et notée triple A. A son arrivée en septembre 2015, le rwandais Donald Kaberuka lui a remis les clés d’une institution qui venait de dépasser la Banque mondiale en tant que premier bailleur de fonds du continent. La BAD venait de mobilier en dix ans la bagatelle de 32 milliards de dollars au service des infrastructures. Qui plus est, monsieur Adesina a pris les commandes de la banque à un moment où le fonds Africa 50, doté d’une personnalité indépendante, venait de procéder à son premier closing.
Promu à un avenir fécond, cet instrument est aujourd’hui occulté par l’omniprésence des «High Five» dans le discours officiel et, il faut bien le dire, par le style d’un certes excellent CEO mais plus à l’aise dans la gestion des fonds que dans leur mobilisation. Après avoir réussi la phase de souscription ex-nihilo et convaincu des chefs d’Etat et de grandes instittutions, le fonds Africa 50 marque désormais le pas, noyé qu’il est dans son siège de Casablanca Finance City.
C’est certain, cet instrument ne fait pas partie des nouvelles priorités de la Banque. Convaincu de sa vision, le président Adesina le sait mieux que quiconque: le changement est un saut d’obstacles. Auteur d’une success story dans son pays où il est parvenu à tenir tête au lobby des importateurs de riz, l’ancien cadre de l’AGRA (Alliance pour la révolution verte) embrasse une nouvelle mission qui demande de la doigté, de l’équilibre dans les nominations et, surtout, de la force de persuasion pour convaincre les bailleurs. Au final, ce ne sont pas les départs et les arrivées que la postérité retiendra de l’ère Adesina mais plutôt son apport dans la consolidation et la pérennité des acquis d’une banque qui doit rester au service véritable du développement de l’Afrique.