Les initiatives prises jusqu’ici par le Conseil du coton et de l’anacarde (CCA) n’ont pas mis un terme au phénomène. Le directeur général de l’organe de régulation avait sillonné, du 13 au 18 mars 2017, les régions de l’Est (Indénié-Djuablin, Gontougo et Bounkani) pour sensibiliser sur les conséquences dommageables de la fuite de l’anacarde vers le Ghana voisin par voie routière. Adama Coulibaly avait parcouru les villes d’Agnibilékrou, Transua, Tanda, Bouna et Bondoukou. Rien n’a changé depuis.
Des chiffres qui donnent le tournis
Le phénomène de l’exportation illicite des noix de cajou a pris de l’ampleur. Conséquence : les tonnages officiels de ces régions productrices baissent d’année en année. Au préjudice de l’État ivoirien. Le Gontougo (Bondoukou) illustre bien la situation. Fournissant le quart de la production nationale il y a quelques années, le volume de cette région dans le circuit normal de commercialisation a drastiquement baissé. De 136.000 tonnes en 2014, il est passé à 83.000 tonnes en 2016. Puis à 17.472 en 2019. Presque 118.530 tonnes sont rentrés au Ghana par des moyens détournés. Idem pour la région de Bounkani (Bouna) dont les volumes sont passés, comme par enchantement, de 28.080 tonnes à 7.081 tonnes en 2019. La production de l’Indénié-Djuablin (Agnibilékrou) est passée de 10.800 tonnes à 1.800 tonnes.
Dans le seul département de Tanda, de 14.530 tonnes, les chiffres officiels ont chuté à 1.600 tonnes. Même tendance baissière à Assuéfry où de 1.300 tonnes, le volume de production est descendu à 45 tonnes en 2019. Le manque à gagner est énorme. Déjà en 2016, la fraude dans la commercialisation de l’anacarde a occasionné une perte de 17 milliards de francs CFA pour l’économie ivoirienne. Mais ce sont les régions et départements d’où l’anacarde part vers les pays frontaliers qui sont les perdants immédiats. Dans ces localités de grande production, le constat de la baisse des volumes sur des campagnes successives n’est pas de nature à attirer de potentiels investisseurs à y implanter des usines de transformation, vœu cher de l’État ivoirien à travers le Projet de promotion de la compétitivité de la chaîne des valeurs de l’anacarde (PPCA) doté d’un budget de 141 milliards de francs CFA.
La baisse du tonnage national – avec le risque de fragilisation de toute la filière – est l’autre inconvénient de l’exportation illicite du cajou. La production ghanéenne qui avoisine à peine les 70.000 tonnes est gonflée à plus de 330.000 tonnes par les énormes quantités qui viennent frauduleusement de la Côte d’Ivoire. Sur le marché international, cela donne également au Ghana une surcote au niveau du label qualité, au détriment du 1er producteur mondial.
« Tolérance zéro » en 2020
Pour la traite 2020, aucun kilogramme de noix de cajou ne doit sortir de la Côte d’Ivoire par ses frontières terrestres pour être indûment vendu chez les voisins. C’est le pari que veut tenir le 1er producteur mondial d’or gris. Et c’est un défi personnel pour Kobenan Kouassi Adjoumani, porté à la tête du ministère de l’Agriculture et du développement rural en septembre 2019. L’enjeu en vaut la chandelle pour lui. Pour cause, il est lui-même de l’Est du pays, précisément de Gontougo, la région d’où fuit le plus les noix de cajou vers le Ghana.
Le ministre est monté au créneau. Accompagné du directeur du CCA, c’est au pas de course qu’il a sillonné, du 30 janvier au 1er février, les 3 régions productrices de l’Est : Indénié-Djuablin, Gontougo et Bounkani. Et 6 villes visitées : Agnibilékrou, Koun-Fao, Bouna, Assuéfry, Bondoukou et Tanda. L’objectif étant le même : sensibiliser les populations et les acteurs locaux de la filière anacarde sur l’interdiction d’exporter les noix brutes par les voies terrestres, conformément à l’article 10 du décret 2013-810 du 26 novembre 2013. Cette loi est complétée par l’ordonnance 2018-437 du 3 mai 2018 portant répression de la commercialisation et de l’exportation illicites des produits agricoles.
À chaque étape de la tournée, Kobenan Kouassi Adjoumani a sifflé la fin de la récréation en tenant un langage de fermeté. Non sans relever les sanctions encourues par les trafiquants. « Il y a une loi sous forme d’ordonnance qui a été prise. Elle dit que celui qui sera arrêté en train de faire du trafic d’anacarde sera mis en prison et sa cargaison va être vendue », a-t-il martelé. « Je suis venu vous parler. À partir d’aujourd’hui, faisons attention ! Il y a une loi qui est derrière nous », a insisté le ministre de l’Agriculture.
Du corps préfectoral aux forces de sécurité (gendarmes, policiers, douaniers, etc.) en passant par les populations, chacun a eu sa dose de vérité de l’envoyé du gouvernement. « Regardons tout ce que le président de la République accomplit dans notre région en termes de développement. Presque tous les villages sont électrifiés et d’autres grands projets sont prévus. Mais pour les réaliser, il faut de l’argent, alors que nous continuons d’acheminer frauduleusement nos produits vers le Ghana. Cela cause un gros manque à gagner aussi bien pour la région que pour l’économie ivoirienne. Je vous exhorte à abandonner cette pratique et le gouvernement fera sa part », a appelé le ministre, à Assuéfry, ville sise à quelques encablures du Ghana. « Cette année, ça sera tolérance zéro pour tous les acteurs », a renchéri le directeur général du Conseil du coton et de l’anacarde. Adama Coulibaly a exhorté au « patriotisme économique » de tous.
Dans les localités visitées, les producteurs ont exprimé leur souhait de voir à la hausse cette année le prix bord champ du kilogramme d’anacarde que ceux des années précédentes.
OSSÈNE OUATTARA