Vous connaissez les films de Sergio Leone ? J’ai eu l’occasion de revoir récemment plusieurs de ses films à l’occasion du « Festival de cinéma de quartier du Surmelin ». Une des méthodes qu’utilisait Leone pour surprendre ses spectateurs m’a fait penser à l’ambiance qui a régné dans les salles de marché de Londres, qui traitent des contrats sur le pétrole Brent.
Pendant de longues minutes (qui paraissent des heures pour certains), les scènes d’action se passent justement d’action. La musique entêtante d’Ennio Morricone accompagne le regard de brute de Lee Van Cleef ou les mains poussiéreuses de Charles Bronson… jusqu’à créer une sorte d’engourdissement chez le spectateur. Et d’un coup, la rafale de plombs part et un ou plusieurs hommes s’effondrent dans le coin de l’écran. S’en suit de nouveaux coups de fusils jusqu’à ce que l’équilibre des forces soit retrouvé.
Ce scénario m’a conduit à faire un parallèle avec le marché du pétrole de ces derniers mois.
Un premier trimestre « mort pour nous »
C’est par cette expression qu’un responsable matières premières d’une banque d’investissement cité par le Financial Times aujourd’hui a décrit le marché du Brent au premier trimestre. Depuis le début d’année, les évolutions des cours du Brent nous avaient effectivement habituées à un faux rythme. Ce marché autrefois si volatile évoluait dans un canal 110-115 $ le baril depuis l’été 2012. Au mieux avions nous vu une approche des 120 $ en février dernier, sur fond de tensions avec l’Iran. Le baril était très vite revenu vers les 115 $.
Et puis la Chine a publié sa croissance du premier trimestre 2013, en baisse de 0,3% comparé aux attentes. Toute de suite, les salles de marchés ont shorté (shooté) le contrat Brent sur l’InterContinental Exchange, pour le faire s’effondrer sous les 100 $. Ce premier coup de feu la semaine du 15 a entraîné une riposte tout aussi vigoureuse, avec un record d’échange sur le marché du Brent cette semaine. Résultat, le Brent est repassé au-dessus des 100 $ aussi vite qu’il était descendu.
La torpeur dans laquelle étaient plongés les marchés depuis 6 mois s’est d’un coup évanouie. Nous reprenons à peine nos esprits. N’avions-nous pas vu les signaux baissiers sur le Brent ? Pourquoi est-il remonté si vite ? Le Brent a-t-il réellement une direction ?
La réaction de l’OPEP a donné les premiers indices.
Fusillade tragique à Londres, un mort : Le Vénézuela
Le ministre vénézuélien de l’Energie et du Pétrole Rafael Ramírez a, dès la chute des prix, plaidé pour une réunion extraordinaire des pays de l’OPEP afin de faire remonter les prix au-dessus des 100 $. En pleine campagne, et alors que la production de pétrole décline depuis 10 ans, Caracas a senti le sol se dérober sous ses pieds devant la chute des prix.
La demande affolée du Vénézuela a toutefois été vite écartée par les autres membres de l’OPEP. « Le marché est équilibré », lui a rétorqué le ministre de l’Energie émirati Suhail Mohammed Al Mazrouei. Même l’Iran, considéré comme un des faucons du marché partisan de prix pétroliers toujours plus hauts, et qui partage d’ailleurs avec le Vénézuela ses difficultés à vendre son or noir, n’a pas suivi Caracas. Le ministre du Pétrole iranien a rappelé que « les prix du pétrole ne sont pas passés sous les 100 $ pour longtemps ».
Une alliance Vénézuela-Iran n’aurait eu aucun impact, sachant que seule l’Arabie Saoudite, et plus modestement le Koweït et Abu Dhabi, sont capables de réduire leur production grâce à leur budget équilibré et leurs réserves monétaires.
Or plusieurs raisons expliquent pourquoi l’Arabie Saoudite est restée inflexible.
L’Arabie Saoudite gère le pétrole d’une main de maître
Ryad a démontré ces dernières années son pouvoir sur le marché du pétrole. En 2012, l’Arabie Saoudite avait augmenté sa production au-dessus des 10 millions de barils par jour, *afin de compenser la baisse des exportations de l’Iran et les troubles dans le monde arabe. En début d’année, le royaume a réduit sa production, afin de compenser la baisse de la consommation américaine. C’est cette politique qui a assuré la stabilité du Brent.
Pourquoi l’Arabie Saoudite n’a-t-elle pas décidé de réduire à nouveau sa production afin de compenser la baisse des prix ?
D’abord, une explication très technique a été avancée par plusieurs officiels de pays du Golfe. Plusieurs importantes raffineries asiatiques, notamment chinoises et sud-coréennes, ont effectué des travaux de maintenance, réduisant les achats de brut. « D’ici l’été, la demande mondiale de pétrole sera remontée« , a pronostiqué un délégué de l’OPEP.
Mais au-delà de cet épiphénomène, trois autres explications peuvent expliquer la sérénité de la quasi-totalité des membres de l’OPEP, au premier rang desquelles l’OPEP :
- L’OPEP vit très bien avec un baril à 100 $
Le maintien de prix à « trois chiffres » suffit aux membres de l’OPEP pour équilibrer leur budget. Ils n’interviendront qu’en cas de baisse durable sous les 100 $.
- L’OPEP a trop peur d’une réaction de Washington
Washington a publié plusieurs indicateurs négatifs la même semaine que la publication chinoise. Ce n’est pas le moment de renchérir le pétrole alors que la reprise américaine cale.
- L’OPEP joue le long terme
L’organisation pétrolière connaît les équilibres du marché, et ne croit pas à un passage durable sous les 100 $.
Ces trois propositions sont bien évidemment conciliables. Toutefois la dernière supposition mérite qu’on s’y arrête quelques instants tant elle déterminera notre futur.
Qui sont les nouveaux acteurs du marché du pétrole ?
Notre expérience des marchés nous fait dire que le ralentissement de l’activité économique américaine pourrait aussi expliquer la chute du pétrole de ces derniers jours. C’est peut-être là qu’il est bon de revoir nos vieux schémas classiques.
Les Etats-Unis ne sont plus l’alpha et l’oméga du pétrole, et encore moins dans le Golfe. Ce n’est pas un hasard si l’armée américaine a décidé cette année de réduire le nombre de porte-avions dans le Golfe. Les Etats-Unis importent de moins en moins de pétrole, au profit de leur production intérieure. Pour plus de détails sur cette tendance, je vous renvoie à cet Edito.
Un autre pays en revanche accéléré ses importations, la Chine. Elles sont tellement fortes que pour la première fois, en décembre dernier, l’empire du Milieu a importé davantage de pétrole que les Etats-Unis. Ses importations se sont élevées à 6,12 millions de barils par jour, contre 5,98 côté américain.
La croisée des courbes intervient dans un marché global où, selon l’Agence internationale de l’énergie, les pays émergents consommeront plus de pétrole que les pays de l’OCDE au prochain trimestre. Elle s’élèvera à 44,9 millions de barils par jour contre 44,7 côté pays développés.
Ainsi sur mes trois propositions, une reste en suspens, une est infirmée et une est probable. Si l’on ne sait pas ce que ferait l’Arabie Saoudite en cas de chute des prix durable sous les 100 $, il est avéré que le poids de Washington dans la région va s’alléger dans les années à venir. Surtout, l’OPEP s’attend à un rebond rapide des prix du fait de la demande asiatique. Déjà ce matin, les prix du Brent ouvraient proche des 102 $.
Mon conseil
Pour les plus réactifs des investisseurs, je conseillerai de guetter tout passage du Brent sous les 100 $ pour rentrer sur les valeurs qui sont directement corrélées au pétrole. Les révolutions de l’électrique ou du gaz en Chine ne sont pas prêtes de réduire la demande chinoise de pétrole.
Pour les investisseurs qui préfèrent investir dans une tendance de plus long terme liée au pétrole, je leur conseille de se diriger vers les sociétés parapétrolières. Le maintien des prix au-dessus des 100 $ le baril garnit les poches des compagnies, qui sont alors capables d’investir dans les gisements plus complexes, en offshore ou en Arctique par exemple. D’ici 2016, les investissements des compagnies pétrolières devraient ainsi augmenter de 36%. Matières à Profits s’est positionné à l’achat sur une des rares valeurs parapétrolières françaises parmi les leaders de son secteur. Engagée depuis 2007 dans un vaste plan de modernisation de son matériel, la société vient d’annoncer qu’il était temps désormais de récolter le fruit de ses investissements. Retrouvez plus de détails dans Matières à Profits.
Par Florent Detroy, rédacteur de Matières à Profits