A l’image de son chef d’Etat Major, le général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah, octogénaire, l’armée algérienne reste la grande muette, celle qui ne commente pas. Celle qui détient le vrai pouvoir aux côtés du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) dirigé depuis 20 ans par l’inamovible général de corps d’armée Mohamed Lamine Médiène. Ces deux généraux constituent la clé de voûte d’un système suspendu à la maladie de son président.
Il y a eu cette hospitalisation soudaine, le 27 avril 2013, du président Abdelaziz Bouteflika au Val-de-Grace (France). Puis ce transport précipité du Val-de-Grâce aux Invalides, le 21 mai, sans que la cause du mal ne soit connue de l’algérois moyen. Ulcère, AVC, angine? Depuis, Alger a basculé dans l’après Bouteflika dans une ambiance de non communication digne de l’ère soviétique. A l’image de son chef d’Etat Major, le général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah, octogénaire, l’armée algérienne reste la grande muette, celle qui ne commente pas. Celle qui détient le vrai pouvoir aux côtés du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), une officine plutôt « FLNISTE » qui joue parfois le rôle de cour des comptes (la vraie ne dispose pas de moyens), mais qui doit composer avec un ministère de l’Intérieur réputé inconditionnel de Bouteflika.
Sous la chape de plomb qui a recouvert la scéne politique du pays depuis 35 jours, l’on assiste à un marchandage subtile entre l’Armée et les derniers des moujahidines du FLN (Front de Libération Nationale). La subite hospitalisation du président aux trois mandats (il en préparait un quatrième en 2014) a pris le système au dépourvu. Et pour cause, il n avait pas un plan « B » arrêté. N’ayant jamais été à l’aise avec le dauphinat, Bouteflika a écarté ses successeurs les plus en vue les uns après les autres. Tous tombés naturellement en disgrâce ou atteints par la limite d’âge quand ils ne sont pas, comme Chakib Khelil, broyés par la machine à scandale.
Si bien que tout porte à croire que la succession de Bouteflika sera tout sauf pacifique ou consensuelle. L’armée a le pouvoir, tous les pouvoirs, mais devra composer avec les contingences du moment, en reportant son suffrage sur une figure potable du dernier des Moujahid, suffisamment populaire pour passer la délicate épreuve des urnes. Et suffisamment malléable pour poursuivre l’oeuvre de Bouteflika, à savoir conduire le système à bon port, en évitant les écueils des printemps arabes.
Fort d’un niveau de réserves de change dépassant les 200 milliards de dollars, créditrice nette du FMI, l’Algérie de 2013 est stratégiquement plus puissante que celle d’octobre 1988, alors endettée et menaçant ruines. D’aucuns diront que les déterminants du pouvoir sur la baie d’Alger se sont policés pour prendre la forme d’un jeu à la Chinoise. Plus question d’un pouvoir direct en képi, les militaires préfèrent veiller sur la stabilité du pays de loin en passant de temps en temps de grosses commandes pour renouveler un arsenal militaire resté russe contre vents et marrées. Ce n’est pas un parlement réduit à son rôle le plus symbolique qui ira fouiner dans les faramineuses commandes de l’armée algérienne.
Bref, le successeur (forcément civil en comparant le désastreux bilan du gouvernement des généraux entre 1991 et 1999 et la relative stabilité apportée par Bouteflika depuis 1999) qui sortira du « PC » algérien, devra, dans tous les cas, composer avec une demande sociale explosive, une paradoxale courbe de chômage constamment en hausse dans une atmosphère de boom économique qui a renvoyé plus d’un expert du FMI ou de la Banque mondiale à ses chères études. Ces deux instances se posent une seule question: une éventuelle succession de Bouteflika préservera-t-il un modéle social et républicain du dirigisme éclairé qui s’est difficilement imposé sur celui proposé par les islamistes durant la décennie noire (1990-2000)? Le pays pourrait-il longtemps tenir comme un ilôt laïcisant dans un Océan islamiste qui va de l’Egypte en Tunisie en passant par la Libye? Dans quelle mesure, le système actuel pourrait-il tenir face à de fortes revendications, voire à des soulèvements à l’égyptienne? Les logiques militaires tiendront-ils toujours, y compris quand le cours du baril de pétrole retombera vers les 90 dollars?
Mohassine Warrak, Alger