par José Graziano da Silva, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
L’Afrique est la seule région du monde où la faim s’est aggravée entre 1990 et 2012. Pendant cette période, le nombre de personnes souffrant de la faim est passé de 175 millions à 239 millions. Aujourd’hui, un Africain sur 4 est sous-alimenté.
Ces chiffres masquent néanmoins les progrès accomplis par beaucoup de pays africains dans leur lutte contre la faim.
Dix-sept pays d’Afrique ont déjà atteint ou sont en passe d’ atteindre le premier objectif du Millénaire pour le développement, qui consiste à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim d’ici 2015.
Si les raisons de ce succès diffèrent, un facteur essentiel est la volonté politique: celle d’adopter des mesures concrètes en faveur de la sécurité alimentaire, d’établir des plans d’investissement et d’investir dans ce domaine.
Globalement, les pays qui ont accompli le plus de progrès sont ceux qui sont parvenus à consacrer 10 pour cent de leur budget au secteur agricole, conformément à la Déclaration de Maputo, et qui ont pris des mesures s’inspirant du Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA).
Les conditions sont réunies pour que les progrès se poursuivent. D’après les estimations du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, la croissance économique au sud du Sahara devrait atteindre 5,5 pour cent en 2013 et 6,1 pour cent l’année prochaine, chiffres bien supérieurs à la moyenne mondiale.
La croissance économique seule ne suffira pas à mettre un terme à la faim, mais elle peut favoriser un développement social plus inclusif et, ainsi, renforcer la sécurité alimentaire.
Aujourd’hui, notre objectif ne doit plus être de réduire le nombre de personnes souffrant de la faim, mais d’éradiquer la faim dès que possible, en une génération, comme l’a proposé le Secrétaire général de l’ONU M. Ban Ki-moon dans le cadre de son Défi Faim zéro (Zero Hunger Challenge).
Ce défi, les pays d’Afrique sont prêts à le relever. Je suis très encouragé par ce que j’ai vu et entendu dans près de 15 pays africains où je me suis rendu au cours des 18 derniers mois .
Les responsables avec lesquels je me suis entretenu m’ont tous beaucoup impressionné par leur détermination à éradiquer la faim.
J’ai aussi constaté l’implication résolue de la société civile et du secteur privé, de la société dans son ensemble. C’est essentiel, parce que la décision d’éradiquer la faim doit être prise par toute la société.
Une preuve de l’engagement sincère de l’Afrique dans sa lutte contre la faim est la création du Fonds de solidarité pour la sécurité alimentaire en Afrique, par le biais duquel les pays africains les plus riches s’engagent à financer des mesures en faveur de la sécurité alimentaire et de l’agriculture sur le reste du continent.
La tenue prochaine de la réunion de haut niveau des leaders africains et internationaux à Addis-Abeba, le 30 juin et le 1er juillet, est un autre signe. Cette réunion se penchera sur les approches nouvelles, unifiées, à mettre en œuvre pour éradiquer la faim dans la région. Elle est organisée par l’Union africaine et par la FAO, avec le concours de l’Institut Lula et d’autres acteurs du développement. Elle vise à renouveler et à élargir les partenariats et à faire converger les différents efforts vers notre but commun: une Afrique débarrassée de la faim.
Ce partenariat renouvelé est déjà mis en œuvre dans quatre pays – l’Angola, l’Éthiopie, le Malawi et le Niger.
Un principe essentiel aux nouvelles approches consiste à appliquer à plus grande échelle les solutions éprouvées , à lier les politiques de production et les programmes sociaux et à profiter de la vaste expérience que les pays, en Afrique et au-delà, sont disposés à partager dans le cadre de la coopération Sud-Sud. Enfin, toutes ces approches sont animées par la conviction que la sécurité alimentaire n’est pas un objectif caritatif, mais un droit fondamental des peuples.
L’éradication de la faim en Afrique s’appuiera sur le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique de l’Union africaine et son PDDAA. En d’autres termes, la solution sera africaine.
L’éventail de mesures déployé variera d’un pays à l’autre, mais cinq éléments sont jugés essentiels:
1. la volonté politique. C’est le point de départ, la condition sine qua non de tout progrès contre la faim;
2. l’amélioration de la coordination et de la gouvernance. Pour agir efficacement et concrétiser l’engagement politique, les pouvoirs publics doivent agir de manière unifiée, en coordonnant et en complétant les politiques pour une meilleure efficacité, en s’appuyant sur la société civile et le secteur privé;
3. les programmes centrés sur les petits exploitants sont au cœur même du développement durable local. Cela suppose de relier les petits producteurs aux marchés locaux et régionaux. Beaucoup de pays africains importent des aliments depuis d’autres continents, alors que l’Afrique peut satisfaire l’ensemble de ses besoins ;
4. le lien entre la protection sociale et la production locale. La hausse de la production agricole ne peut seule tirer les populations de la pauvreté. Les personnes vulnérables ont aussi besoin d’une protection sociale, y compris de filets de sécurité et de programmes de travail contre rémunération pour les aider à faire face aux situations critiques qui sont les leurs. Relier la production locale et la protection sociale peut avoir un effet doublement positif, générant une croissance inclusive et réduisant la pauvreté dans les zones rurales défavorisées. De cette façon, les revenus supplémentaires dégagés peuvent servir à acheter des aliments produits localement par les petits exploitants de la communauté;
5. il faut construire une résilience à long terme afin de prévenir les crises au lieu de devoir répondre à des situations d’urgence. Nous ne pouvons pas éviter une sécheresse, mais nous pouvons empêcher qu’elle provoque une famine.
Le premier pas pour éradiquer la faim est de croire que cela est possible, et que la sous-nutrition chronique, qui touche encore 870 millions de personnes dans le monde, peut bientôt appartenir au passé.
J’ai la conviction que cela est possible en Afrique, aujourd’hui. Unissons nos efforts pour saisir maintenant cette opportunité historique.
* M. José Graziano da Silva est Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.