En marge du lancement, le 10 mai dernier, du rapport Africa Progress Panel à Cap Town où se tenait le Forum économique mondial sur l’Afrique, Michel Camdessus s’est prêté au jeu des questions-réponses de Financial Afrik. L’ancien directeur général du fonds monétaire international (1987-2000), gouverneur honoraire de la Banque de France, commente le rapport de l’Africa Progress Panel présidé par Koffi Annan et dont il est membre éminent.
Au-delà des conclusions assez éloquentes du rapport de l’Africa Progress Panel, quels changements espérez-vous de l’Afrique dans la gestion de l’industrie extractive?
Les richesses du sous-sol de l’Afrique ne sont plus un secret pour personne. Elles ont contribué pendant des décennies à la croissance économique du continent mais bien moins qu’elles ne l’auraient pu le faire, et les revenus créés ainsi ont échappé aux populations qui auraient dû en bénéficier. Prenez l’exemple de la RDC, grande puissance minière et pourtant dernier pays au classement de l’indice de développement humain du PNUD de 2013. Tournons-nous vers la Guinée Équatoriale : son revenu national par habitant (RNB) est au 45e rang mondial mais ce pays se range au bas du classement du PNUD (136e sur 187).
Nous espérons, avec ce rapport, suggérer aux dirigeants africains les mesures qui s’imposent pour améliorer les conditions de vie de milliers de leurs concitoyens. Utiliser à bon escient les recettes d’exploitation des matières premières permettrait en effet d’assurer un meilleur accès aux services de santé, d’éducation, de protection sociale, d’assainissement de l’eau ; des emplois pourraient être créés grâce à la croissance dynamique et inclusive qui pourrait ainsi être déclenchée. Un immense potentiel de transformation sociale peut résulter de l’augmentation des revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles et favoriserait une croissance dynamique et inclusive. Nous espérons donc que les gouvernements africains l’utiliseront au mieux.
Tout cela cependant exige un engagement très ferme des gouvernements africains, de la communauté internationale et des compagnies minières, gazières et pétrolières et de la société civile pour plus de transparence. Tous ces acteurs ont un rôle à jouer pour faciliter la mise en place d’une norme internationale de transparence et de publication des revenus de chaque projet, sur le modèle de la loi américaine Dodd-Frank ou de la législation de l’Union européenne. Ils doivent également lutter contre les régimes fiscaux trop complaisants et pour une meilleure taxation des minéraux, du pétrole et du gaz. Ils doivent enfin s’engager à combattre les paradis fiscaux et les systèmes de sociétés-écran qui permettent aux entreprises étrangères de réduire leurs revenus imposables. La réalisation de ces divers objectifs permettra à l’Afrique d’avancer vers les changements urgents auxquels ses populations aspirent.
Y a-t-il aujourd’hui un écart entre la vision de votre Panel sur les industries extractives et celle du FMI et de la Banque mondiale ?
Je ne le pense pas. On peut même dire que ces deux institutions ont joué un rôle pionnier dans ce domaine. Le Panel et ces institutions financières s’accordent largement sur le fait que plus de transparence dans les contrats et la publication des revenus sont des éléments importants. On a d’ailleurs vu le FMI suspendre un prêt à la RDC en décembre dernier pour manque de transparence dans la publication de ses contrats miniers. C’est pourquoi le Panel suggère que le FMI et la Banque mondiale, gardiens de la bonne gouvernance, participent à la définition des critères internationaux de transparence. Ils devraient également fournir l’assistance technique nécessaire aux pays dans la rédaction des différents codes de taxation nationaux.
Le Panel et ces institutions financières soutiennent de plus qu’il est important aussi de renforcer la diversification des économies nationales du continent en encourageant la transformation sur place des ressources naturelles. Cela créerait de la valeur ajoutée aux matières premières ; cela réduirait les importations de biens de consommation et de produits agricoles et contribuerait enfin à créer des emplois.
Que pensez-vous des vagues de révision des codes miniers africains en faveur d’une participation accrue de l’État ?
La question de la compétitivité de l’Afrique est ici en cause. Ces révisions doivent être prudemment menées pour que les investisseurs n’en soient pas découragés. La révision des codes miniers doit permettre aux États africains de mieux redistribuer aux populations la manne tirée de l’exploitation des ressources naturelles à travers notamment une fiscalité plus équitable et mieux adaptée. Elle doit aussi inciter les compagnies minières à investir davantage dans la création de valeur dans ce secteur. Il faut évidemment que ces révisions ne rendent les investissements sur le continent moins attractifs et plus risqués du point de vue du secteur privé. Les compagnies minières investissant en Afrique connaissent les avantages fiscaux dont elles peuvent bénéficier. Elles n’attendent finalement des États que la garantie d’une stabilité politique qui rende les investissements moins risqués et continue à améliorer l’environnement des affaires.
Le Panel a une position tout à fait claire sur ce point : tous les pays africains doivent mettre en place des mesures fiscales justes et transparentes, adopter une législation appropriée pour protéger leurs intérêts nationaux et mettre en œuvre des plans nationaux de lutte contre la pauvreté et pour le développement économique et social des populations.
Cela implique que les États africains, notamment, renégocient les contrats qui ne sont pas à leur avantage et s’assurent que ces contrats de concession ne soient pas entachés de sous-évaluation, ce qui contribue à les spolier au profit d’entreprises étrangères. Le rapport de notre Panel relève quelques exemples récents de telles sous-évaluations. Nous les soulignons pour donner l’alerte : les pays africains peuvent tirer avantage de ces renégociations et de reventes de concessions équitables. Ceci est d’autant plus vrai que l’exploitation du sous-sol africain ne fait que commencer. Il n’est pas trop tard pour mettre en place des mesures fortes.
Le regard de Michel Camdessus sur l’Afrique est-il différent de ce qu’il était il y a quinze ans ?
Oui et non. Fondamentalement, je garde une grande confiance dans l’avenir de l’Afrique et je crois, autant qu’hier, au devoir impérieux pour toute la communauté internationale de contribuer plus vigoureusement et sans délai à lever tous les obstacles -commerciaux notamment- au développement. Je pense aussi que pendant bien des années encore, une aide au développement humain -en commençant par la réalisation des objectifs de développement du millénaire- sera encore nécessaire. En cela, mon point de vue n’a fait que se renforcer. Au vu des progrès de l’Afrique au cours des quinze dernières années, je pense qu’aujourd’hui, les priorités se sont déplacées. Avec mes amis de l’Africa Progress Panel, j’estime que, dans nos échanges avec les leaders africains et mondiaux, nous devons mettre un accent particulier sur deux impératifs :
– la réduction des inégalités croissantes dans la distribution des revenus qui constituent l’obstacle numéro un à un développement soutenable et
– la transparence et l’équité dans les contrats de concessions minières pour que les peuples d’Afrique en soient les premiers bénéficiaires.