Le coût économique du Printemps arabe a été le plus élevé en Libye, Syrie, Tunisie et Egypte. Ces pays ont connu de fortes récessions.
Par Jawad Kerdoudi,
Président de l’IMRI
(Institut Marocain des Relations Internationales)
On s’accorde à considérer que le déclenchement du Printemps arabe a eu lieu le 17 Décembre 2011 avec l’immolation par le feu du jeune tunisien Mohamed Bouazizi. Il s’en est suivi des manifestations partout dans les pays arabes, mais avec une intensité différente. Certains pays arabes ont connu de véritables révolutions avec chute du régime en Tunisie, Egypte, Libye, et Yémen. D’autres pays arabes ont connu des réformes politiques sans changement de régime tels que l’Algérie, le Maroc et la Jordanie. Les pays arabes du Golfe n’ont pas connu de changement, alors que la Syrie vit toujours une atroce guerre civile avec plus de 90.000 morts.
La région arabe a connu de 2011 à 2013 des tensions politiques, des troubles et des risques sécuritaires qui ont évidement une répercussion sur le plan économique. Sur le plan intérieur, les désordres à l’ordre public notamment les sit-in et les grèves causent une baisse de la production et de l’activité économique en général. Sur le plan extérieur, toute situation d’insécurité entraîne une baisse du tourisme et des investissements directs étrangers. Le coût économique du Printemps arabe a été le plus élevé en Libye, Syrie, Tunisie et Egypte. Ces pays ont connu une récession en 2011 respectivement de 53,9%, 3,2%, 1,8%, 0,5%. La Libye en effet après la chute de Kaddafi, a vu son secteur pétrolier et gazier complètement désorganisé, ce qui a réduit considérablement ses exportations d’hydrocarbures principales richesses des pays. La Syrie du fait de la guerre civile et de l’embargo qu’elle subit a connu une récession encore plus importante en 2012 (30%) et en 2013 (10%). La Tunisie du fait des troubles et des grèves a vu son PIB diminuer de 3% en 2010 à -1,8% en 2011, étant donné que son économie est basée principalement sur le tourisme et l’export de son industrie manufacturière. L’Egypte enfin a vu son PIB chuter de 6% en 2010 à -0,5% en 2011 du fait d’une baisse considérable du tourisme et de l’activité industrielle. Pour ces quatre pays, la récession de l’économie s’est accompagnée en 2011 par une détérioration du compte courant de la balance des paiements : -7,4% du PIB pour la Tunisie, -2,3% pour l’Egypte, -1,7% pour la Syrie. Seule la Libye a pu connaître un excédent de sa balance de paiement (9,1%) mais bien inférieur à celui de 2010 (19,5%).
Les autres pays arabes : Algérie, Maroc, Jordanie ont eu moins de répercussions économiques du fait du maintien d’une relative stabilité politique. C’est ainsi que le Maroc a pu réaliser un taux de croissance de 5% en 2011, alors que la Jordanie a réalisé 2,6% et l’Algérie 2,4%. Cependant au niveau du compte courant de la balance des paiements, seule l’Algérie a pu maintenir en 2011 un excédent de 10,5% du PIB, tandis que le Maroc a subi un déficit de 7,9% et la Jordanie de 12%. Le solde positif de l’Algérie s’explique par ses exportations d’hydrocarbures. La Banque mondiale dans son rapport sur la région Mena publié le 12 Juin 2013 a émis des prévisions de croissance plus optimistes en 2014 pour les pays concernés par le Printemps arabe. C’est ainsi qu’elle prévoit pour la Libye (10%) , le Maroc et la Tunisie (4,8%), l’Egypte (3,9%), la Jordanie (3,9%) et l’Algérie (3,2%). Par contre, elle prévoit une récession pour la Syrie (-2%). Tous ces pays connaîtront en 2014 un déficit de la balance des paiements sauf les pays exportateurs d’hydrocarbures : Algérie (+4,5%) et Libye (+18%).
Cependant force est de constater que ces taux de croissance prévus par la Banque mondiale (maximum 4,8%) sont insuffisants pour permettre aux pays concernés par le Printemps arabe de créer les emplois nécessaires et d’assurer un niveau de vie décent à leur population. Ces pays doivent tout d’abord assurer l’ordre public et la sécurité qui sont les conditions indispensables à tout développement économique et social. Ils doivent impérativement mettre en place les réformes politiques tant au niveau des textes fondamentaux (Constitution) que l’organisation de la vie publique (élections libres et transparentes). Le but étant l’instauration de régimes démocratiques stables, respectant les droits de l’homme, et permettant l’alternance politique. Les gouvernements actuellement en place, souvent dominés par les partis islamistes, doivent d’urgence prendre des mesures de confiance pour rassurer les hommes d’affaires et les investisseurs nationaux et étrangers.
Quant à la communauté internationale, son devoir est d’aider les pays concernés par le Printemps arabe d’une façon concrète dans leur transition démocratique, afin que l’expérience réussisse et afin d’éviter le chaos dans toute la région Mena. Les pays arabes du Golfe extrêmement riches grâce à leurs exportations d’hydrocarbures ont promis leur aide, qui a été concrétisée par le Qatar au bénéfice de l’Egypte. D’autre part, le G8 dès Septembre 2011 a promis une aide de 80 milliards de $ dont la moitié en aides bilatérales, et l’autre moitié par les institutions financières internationales : Banque mondiale, BAD, BEI, BERD. Mais cette aide tarde à être mise en œuvre du fait d’une grande frilosité dans les procédures d’octroi. A titre d’exemple, on peut citer la déclaration du Vice-président de la Berd Philip Bennet qui a annoncé de nouveaux investissements de l’ordre de 2,5 milliards de $ dans quatre pays (Tunisie, Jordanie, Egypte, Maroc) en ajoutant « Reste à savoir si c’est réalisable ». Or la région Mena connaît une véritable course contre la montre, et il faut éviter d’arriver trop tard.