Financial Afrik vous entraîne dans un voyage inédit au pays de l’huile de Palme, nouvel enjeu de confrontations Nord-Sud. Entre les producteurs africains, qui invoquent un grave déficit à combler (800 000 tonnes pour la seule Afrique de l’Ouest), et les lobbys anti-huile de palme, les points de vue ne sont pas toujours faciles à concilier. Nous avons fait la visite de terrain en Côte d’Ivoire, leader ouest africain. Dossier.
Le vendredi 14 juin 2013 alors que le premier congrès africain de l’huile de palme concluait ses travaux à Abidjan sur un front uni des producteurs asiatiques et africains, l’Union Européenne publiait un chiffre particulièrement alarmant : «en 50 ans, la Côte d’Ivoire a perdu 75% de ses forêts à cause de l’exploitation de grumes et des plantations de l’huile de palme ». Alors que les producteurs ouest africains estimaient leur déficit de production à 800 000 tonnes, le commissaire européen au développement, André Pielbags, rappelait froidement que le leader ouest-africain est en phase de déforestation avancée.
Si le timing des négociations ivoiro-union européenne pour un accord contre les coupes illégales doit tout au hasard, intervenant durant la première édition du congrès de l’association des producteurs africains de l’huile de palme (APOC), le lien entre production d’huile de palme et déforestation est régulièrement rappelé par les pays du Nord. Instrument de propagande des lobbys anti-huile de palme, la déforestation est un thème indissociable de l’agriculture moderne. «Il y a trois ans quand le cours de l’huile de palme atteignait 1200 dollars la tonne, personne ne parlait de la déforestation. Maintenant que ce cours est retombé à 600 dollars et que l’offre est abondante, on en parle », remarque un industriel du secteur.
Les chiffres des ONG (parfois instruments conscients ou inconscients de certains groupes de pression) sont particulièrement alarmants sur l’huile de Palme. Les situations diffèrent cependant d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre.
La dimension socio-économique
La Côte d’Ivoire reste à l’abri de la spéculation foncière contrairement à la Papouasie Nouvelle Guinée ou au Sud-Soudan investis par des fonds d’investissements. Les producteurs ivoiriens de l’huile de palme alimentent exclusivement le marché local et le marché régional. Contrairement au cas des deux pays évoqués ci-dessus, ce ne sont pas des fonds d’investissements qui acquièrent des terres pour contrer la baisse de rendements dans les compartiments classiques de la finance mais des industriels qui ont investi dans des usines et la recherche agronomique pour améliorer leurs rendements.
En Côte d’Ivoire, la filière génère 200 000 emplois réguliers et fait vivre plus de 2 millions de personnes, soit 10% de la population. Le compromis entre plantations villageoises et plantations industrielles, les unes occupant 160 000 hectares de 30 coopératives villageoises, les autres exploitant 50 000 hectares, explique une cohabitation sans heurts entre l’agriculture paysanne et l’agro-industrie. Les deux modes d’exploitation, villageois et industriels, se différencient par des rendements de 7 à 8 tonnes de régime à l’hectare pour l’un et de 16 tonnes de régime pour l’autre.
Sur l’ensemble du pays l’on recense 36 500 planteurs dont 60 % de petits producteurs. Premier producteur du pays, Palmci gère 39 000 hectares et emploie 8 000 personnes à travers 8 sites. La société offre des débouchés à 28 000planteurs travaillant sur 136 000 hectares de plantations villageoises. Le palmier à huile dont la durée de vie est de 25 ans produit toute l’année. Un récolteur moyen gagne plus que le salaire minimum agricole (SMAG) qui est de 36 000 FCFA en Côte d’Ivoire.
Bref, l’huile de palme, à l’inverse des autres filières de l’Agriculture ivoirienne (noix de cajou et cacao notamment) a généré une véritable filière intégrée, allant de l’agriculture à la première transformation pour extraire l’huile rouge puis à la deuxième transformation pour extraire l’huile de table. L’industrie génère peu de déchets, l’huile tirée des noyaux (appelée huile palmiste) servant de matière première pour certains produits cosmétiques.
Points de vue irréconciliables entre le Nord et le Sud?
Si l’apport socio-économique de l’huile de la filière huile de palme est indéniable, elle reste, vue de l’Europe, liée à la déforestation et, c’est le cas en France, à un supposé problème sanitaire lié à une non moins supposée relation entre consommation d’huile de palme et obésité (voir encadré). D’où la difficulté à concilier les vues entre les puissants groupes de pression (qui ont forcé la Banque mondiale en 2009 à se retirer de tout financement pour le palmier à huile. L’institution serait depuis revenue à de meilleurs sentiments) du vieux continent et les défenseurs des enjeux africains, essentiellement liés au développement.
Soit dit en passant, les lobbys anti-huile de palme épargnent le Soja dont la culture occupe 375 millions d’hectares, soit la surface de l’Inde. Le beurre de cacao, qui contient aussi 60% des huiles saturées, est aussi épargné dans la campagne menée contre l’huile de palme pour ses prédispositions à favoriser l’obésité.
C’est clair, en matière de développement, le continent, leader de la production de l’huile de palme dans les années 60, a un énorme retard à combler par rapport à l’Asie. La Malaisie et l’Indonésie produisent aujourd’hui 47,5 millions de tonnes d’huile brute soit 86% de la production mondiale. L’ensemble des pays producteurs africains émargent pour à peine 3,8%de la production mondiale de l’huile rouge. C’est une part minime pour un continent, importateur net d’huile de palme, qui, avec 700 millions d’hectares en friche, constitue le plus grand réservoir de terres arables encore non exploitées dans le monde. Un continent qui veut réduire ses importations de produits agroalimentaires et qui est inscrit dans les objectifs du millénaire pour le développement.
Actuellement, la demande mondiale en huile de palme croit de 8,7% par an. L’or rouge est devenu l’huile la plus produite (34,6%) et la plus consommée (34%) dans le monde. Selon la banque mondiale, 28 millions de tonnes supplémentaires sont nécessaires chaque année jusqu’en 2020 pour répondre à la demande en huile de palme destinée à la consommation alimentaire, aux oléagineux ou à l’agro-carburant. Les chiffres de la United Stade Department of Agriculture (ministère américain de l’Agriculture) ici-résumés témoignent de la faiblesse des productions africaines.Production huile de palme
Portes ouvertes: l’Usine Sania, en aval de la filière
Tous les jours, 6 camions de 30 tonnes alimentent l’Usine Sania à Abidjan. Il s’agit de l’huile rouge fournie à 90% par la Palmci, mais aussi par Palmafrique et de petits fournisseurs. Entre l’entrée de l’huile rouge dans les cuves de stockage et sa sortie sous forme d’huile de table dans l’emballage destiné au marché, le processus dure 18 heures. Leader de la deuxième transformation, la Sania emploie 386 personnes au total dont 230 à l’usine. La capacité installée de l’usine est de 500 000 tonnes par jour. En 2013, les estimations tablent sur 400 000 tonnes d’huile rouge, déclare Coulibaly Thiené, directeur de l’Usine. Les fournisseurs ivoiriens dont la grosse production s’étale de mars à juin ne peuvent pour le moment excéder 300 000 tonnes. La Sania importe régulièrement de l’huile rouge d’Asie pour combler le déficit de production locale en huile rouge. Pour tourner, l’usine consomme 40 000 KWH. L’installation d’une nouvelle turbine pour la production de l’électricité est dans le pipe. Le projet est suspendu à l’évolution réglementaire permettant aux industriels de se lancer dans l’auto production d’électricité à Abidjan.
En attendant, la Sania a investi dans une chaudière biomasse qui alimente l’usine en vapeur et fournit 25% de l’énergie nécessaire au fonctionnement de l’usine. La chaudière qui consomme 78 tonnes de combustibles et produit 3,75 tonnes de vapeur par jour est alimentée par du bois d’hévéa en fin de vie (bois âgé entre 45 et 50 ans provenant de la SAPH) et des coques de graine de palme. Premier projet classé MDP en Afrique, elle permet d’éviter l’émission d’au moins 1200 tonnes par mois. La production de la Sania, estimée à 290 000 tonnes d’huile de table, est destinée essentiellement au marché ouest africain, à la Côte d’Ivoire d’abord puis au Mali, au Burkina et au Sénégal. L’emballage est fabriqué sur place, avec Fitisac, à raison de 70 000 bouteilles de 1 litre, 20 000 bidons de 25 litres et 10 000 bidons de 3 à 5 litres par jour. L’Usine Sania qui fournit plus de 50% de la consommation ivoirienne en huile de table (prévision de 118 000 tonnes en 2013) a nécessité un investissement de 17 milliard s de FCFA.
EncadréI
Déforestations : le point de vue des producteurs
Selon le WWF, l’industrie de l’huile de palme aurait eu des conséquences environnementales en Malaisie et en Indonésie, deux pays qui produisent plus de 86 % de l’huile de palme vendue dans le monde. Ce constat doit être nuancé selon le CIRAD. Sur les 21 millions d’hectares de forêts primaires qui ont disparu entre 1990 et 2005, seuls 3 millions correspondraient à l’huile de Palme. En Afrique, le développement des palmeraies ne se fait pas sur des forêts primaires, soutient l’association des producteurs (APOC) qui estime que le débat sur la déforestation en Asie ne concerne pas l’Afrique. De plus, grâce à son rendement élevé (3,8 tonnes d’huile par hectare, contre 0,4 pour le soja, et 0,5 pour le colza et 0,6 pour le tournesol), le palmier à huile exerce une moins forte pression foncière que les autres productions oléagineuses. Par ailleurs l’huile de palme extraite par pression et triturage ne nécessite pas l’usage des produits chimiques, estime l’association des producteurs africain.
Pour Bretrand Vignes, directeur général de la SIFCA, premier groupe agro-industriel de l’Afrique de l’Ouest, les choses sont claires : «Le débat sur la déforestation asiatique ne nous concerne pas, donc nous n’acceptons pas que nous en souffrions. Que des pratiques soient condamnées, c’est normal, qu’un produit soit attaqué, nous ne sommes pas d’accord », déclarait-il dans un entretien à Jeune Afrique. «Partout où il y a des forêts primaires, il y a un risque. Surtout en Afrique, où il faudra multiplier par cinq la production agricole, ce qui ne se fera pas dans le Sahara. Les Etats doivent développer des plans précis pour les forêts. Nous voulons dire : attaquez vous aux problèmes, pas aux produits. Le planteur ivoirien ne détruit pas les Orangs-Outans et, à ce titre, la condamnation des publicités des systèmes U contre l’huile de palme en France nous conforte ».
Encadré II
Le point de vue des scientifiques
Selon le Centre de Coopération Internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), «l’huile de palme fait souvent l’objet d’attaques par des personnes qui ne devraient pourtant pas ignorer ses propriétés nutritionnelles ». L’institution, un organisme indépendant, évoque «une subtilité biologique» en affirmant que les acides gras contenus dans cette huile n’ont pas la dangerosité de ceux trouvés dans la graisse animale par exemple. « L’huile de palme n’est pas toxique en soi, c’est son excès de consommation qui est nocif », explique la nutritionniste Béatrice de Reynal ».
Encadré III
La Sifca, un leader ouest africain
Le groupe Sifca, leader ouest africain, qui intervient dans le caoutchouc, l’huile de palme (à travers sa filiale Palmci), le sucre et le café-cacao, emploie 30 000 personnes dans 5 pays et compte 60 000 planteurs partenaires et associés. La Palmci produit 300 000 tonnes d’huile brutes à 60 % en direct et à 40% auprès des planteurs. Depuis 2008, Sifca compte deux grands leaders asiatiques dans son capital, en l’occurrence Olam, spécialiste en commerce des produits tropicaux, leader mondial dans le cajou, et Wilmar, premier producteur et raffineur d’huile de palme dans le monde avec 14 millions de tonnes d’huile raffinée.
Dossier réalisé par Adama Wade