Consultant et expert financier, Yacine Ould Moussa livre un diagnostic complet du secteur bancaire algérien. « Le secteur bancaire privé algérien ou national a disparu sous le contre coup des scandales financiers », déclare-t-il dans cet entretien accordé à Financial Afrik.
Quel regard portez-vous sur le secteur bancaire en Algérie ?
C’est un secteur appelé à accélérer son degré de concurrence, sa modernisation, sa décentralisation et sa capacité à améliorer l’intermédiation financière indispensable à une impulsion forte et durable de la croissance, moteur du développement pour tout pays y compris le notre. Les limites à son épanouissement sont nombreuses mais il faut citer en premier lieu cette coûteuse convertibilité commerciale, partielle, je dirais même plus, partiale, du dinar qui pousse les entreprises et les opérateurs à des comportements dangereux et nocifs pour les grands équilibres de l’économie nationale, pour la balance commerciale et la balance des payements. En second lieu, je cite cette « arlésienne» qui s’appelle la dépénalisation de l’acte de gestion et notamment bancaire, toujours annoncée mais jamais arrivée et enfin les problèmes liées à la cohérence et l’efficacité des politiques publiques en matière d’orientation des marchés, des investissements, de l’épargne et de la fiscalité. Voila pour les facteurs exogènes.
Pour les endogènes au secteur bancaire, il y a, bien entendu, la qualité de la ressource humaine, de l’organisation, des procédures, et, enfin, la capacité à apprécier, mesurer, traiter et couvrir le risque dans une économie «ouverte» entre guillemets à la concurrence au lieu d’échanger des garanties sur dimensionnées contre crédit sans obligation de résultat. Au final ceux qui ont des garanties n’ont pas besoin d’investir et ceux qui ont un projet sans avoir de garanties n’ont pas accès au crédit. D’où l’argent qui dort et la surliquidité de nos banques dans un pays qui a besoin de tout, de créer des emplois, des entreprises, de réduire sa facture d’importation et sa dépendance aux hydrocarbures .
Il faudra bien trancher un jour: ou le secteur bancaire fonctionne selon les standards et critères de l’économie de marché dont il est encore bien loin, ou il se délitére au fur et mesure que les recettes d’hydrocarbures baisseront dans le temps ».
Certains experts avancent que les banques étrangères sont plus au service de leurs clients étrangers. En votre qualité d’économistes, qu’en pensez-vous ?
Oui, cela est vrai et normal dans la mesure où le patriotisme et le nationalisme économique ne sont pas comme chez nous des abstractions, des pirouettes de circonstance ou des mesures «cosmétiques». Ces banques étrangères sont au service de leurs clients de leurs pays d’origine et accompagnent les entreprises de leur pays par une série de services, de conseils, d’appuis et de soutiens qui finissent par s’afficher au tableau de score des pays d’origine, à savoir la balance de paiement et la balance commerciale. Pour dire vrai et sans rond de jambes ou esprit levantin, ces banques étrangères ne sont pas là pou «rigoler», de plus, elles attendent patiemment que l’Algérie adhère ou accède à l’OMC pour libéraliser encore davantage les secteurs de services et notamment les banques, les assurances et autres tourisme, transport, propriété intellectuelle et industrielle. Dans l’attente, elles écrèment les ressources humaines et les clientèles algériennes et aident leur entreprises à conquérir et élargir leurs parts de marché et ce à peu de frais vis à vis des clients algériens lorsqu’elles ne s’alignent pas par le bas au regard de la façon avec laquelle ils sont traités, en terme de coûts, de délais et de comportement très sélectifs et frileux.
Les Banques étrangères ont raison, elles « font du fric » et ne sont pas là pour financer le développement ou la croissance sur le marché algérien. Les cycles courts suffisent largement à leur bonheur et fortune. C’est l’histoire du larron et de l’occasion. C’est de bonne guerre ? Sans plus ».
Selon vous, les réformes bancaires en Algérie sont un échec ?
Si je suis sévère et statique par rapport au constat actuel , je dirai que les réformes bancaires sont un échec . Mais si je raisonne en dynamique , je dirais que les réformes bancaires n’ont pas été achevées, mises en cohérence avec les besoins de croissance, de mise en valeur du pays, d’emplois, de développement industriel, technologique et régional et bien d’autres défis indispensables à relever pour offrir aux générations futures une chance de gagner leur place sur l’économie internationale aujourd’hui mondialisée et globalisée selon l’expression consacrée. Nous avons besoin des banques modernes, capables de drainer des ressources sur le marché et de les mettre au service de l’économie réelle. Il faut garder l’espoir, les enjeux et échéances du futur contribuent à accélérer la mutation d’un secteur bancaire largement dominé par le secteur public.
Y- a-t-il une concurrences entres les banques du privé et du public en Algérie?
Oh que non , je peux vous rassurer dans l’état actuel du marché et de la concurrence , il n’y a pas photos entre les banques du public et du privé. Quelque 90 à 95 pour cent des financements de l’économie et des entreprises sont concentrés entre 5 ou 6 banques publiques. Tout le reste , bien peu de choses en fait, est le fait des banques privées. Et là , je me dois de le signaler, en disant que le secteur bancaire privé algérien ou national a disparu sous le contre coup des scandales financiers. Point n’est besoins de citer la longue liste des banques privées algériennes qui ont quitté le marché pour des raisons judiciaires , de délinquance et d’infraction à nombre de lois et règlements.
Résultat des courses, seules les banques étrangères de droit algérien sont sur le terrain… La concurrence, s’organise, se construit, se régule. En réalité, on veut réellement de la concurrence dans la mesure où cela peut avoir des conséquences sur la gestion de la rente. Il ne s’agit pas d’agiter quelques formules éculées pour dire ça y est, c’est fait, nous avons la concurrence. Nous avons plusieurs banques qui opèrent sur le marché. Il n’y a qu’à comparer les conditions de banques, les tarifs, les produits et services par nos banques pour comprendre que c’est encore une abstraction qui disparaîtra, il faut l’espérer, avec de vraies et profondes réformes et refontes tant au niveau de la sphère réelle que de la sphère financière.
Quel rôle que doit jouer le secteur bancaire pour réussir les réformes bancaires en Algérie?
Il doit être au service des entreprises , des porteurs de projets , de la croissance , du développement, des régions , de l’économie , de la société et, un mot ,du pays. Le secteur bancaire doit jouer un rôle de levier et non d’obstacle ou d’inertie, à fortiori lorsque il regorge de ressources dans un pays où tout est à faire. Les banques doivent innover, se mettre en mouvement par rapport à une jeunesse et à une société en évolution rapide dans le contexte du «village planétaire» et des NTIC.
Et la banque centrale ?
Ses missions son claires à savoir émettre et défendre la monnaie nationale, encadrer le crédit, gérer la liquidité, contrôler les banques, organiser la concurrence, orienter l’épargne, assurer un niveau satisfaisant de financement de l’économie, avoir un rôle plus actif et enfin atteindre un jour une autonomie réelle en mesure d’échapper aux influences politiques et institutionnelles et enfin disposer d’une instrumentation moderne conforme aux standards d’une économie de marché qui , il est vrai, reste à construire et qui n’a rien à voir avec une économie de marchands ayant pour religion le «culte de la plus value» en vendant la valeur des autres nations.
200 000 PME d’ici 2014, mais ces petites entreprises semblent bien avoir beaucoup de difficultés à accéder au financement bancaires, quelles sont les raisons de ce blocage d’après vous ?
Dans tous les pays du monde, la PME constitue un risque pour les banques et l’accès au financement est difficile. Chez nous, l’informel, la fraude, l’évasion fiscales et le faible encadrement des marchés rendent difficile la transparence de l’entreprise dont il est un adversaire redoutable, pour l’entreprise notamment citoyenne. La conséquence est que primo, la furie des importations et les facilités dont elle bénéficie, car activité sans risque, sans personnel, sans tracasseries, découragent les banques envers les entreprises de production. Secundo, ces dernières ont un problème structurel de capitaux, de fonds propres, de financement de l’actif circulant qui les rendent encore plus fragiles et inéligibles aux crédits bancaires soumis à l’épée de la pénalisation de l’acte de gestion, un problème amplifié par l’absence de transparence.
Cela dit , cette frilosité et cet «excès de prudence» n’ont pas empêché pour autant les scandales financiers, les transferts faramineux et des hémorragies sans pareil pour notre balance de paiements. Maintenant il faut dire honnêtement que sur un plan exogène à la PME, il faut poser la question de fonds ; veut on une PME algérienne en mesure d’offrir des emplois , une substitution aux importations, un tissu industriel , un maillage de développement local ? Oui ou non ? That is the question. Rappelons que l‘industrie américaine est composée à 92 pour cent de PME. Il faut espérer une prise de conscience et une dynamique forte et durable de création d’entreprise qui n’a rien à voir avec le traitement social du chômage, certes utile, mais largement insuffisant . Développons l’investissement etl ’emploi pour, in fine, bâtir du solide et durable pour les «générations futures»
Entretien réalisé par Youcef MAALLEMI – Alger