Vous connaissez l’histoire de Lula Da Silva. Un syndicaliste arrivé au pouvoir au Brésil, en 2003, et qui a décidé d’appliquer la recette qui déplaît aux libéraux : distribuer de l’argent aux familles pauvres, directement, pour venir à bout de l’extrême pauvreté et de la faim.
Bronca des médias qui l’accusèrent d’encourager la paresse. Froncements de sourcils des institutions de Bretton Woods sceptiques sur toute redistribution mécanique des revenus. Lula tint bon et appliqua son programme jusqu’au bout. En dix ans, les résultats sont palpables. Lula Da Silva est parvenu à son objectif ultime « zéro faim au Brésil ». Quelle fut donc sa recette magique?
C’est la question qui fut posée à l’ancien président du Brésil, dimanche 30 juin, à Addis Abeba au siège de l’Union Africaine, à l’ouverture de la réunion de haut niveau sur l’éradication de la faim, rencontre entre la FAO, l’Union Africaine et la Lula Institute. Un seul thème était à l’ordre du jour de cette rencontre qui se termine ce 1er juillet: « mettre fin à la faim en Afrique d’ici 2025 » à travers une approche unifiée dans le cadre du programme agricole de l’Afrique ( CAADP).
Ce programme agricole africain, adopté à Maputo en 2003, préconise aux Etats africains de consacrer au moins 10% de leurs budgets à l’Agriculture. Ces recommandations ont-elles été adoptées? Avant de répondre à cette question, écoutons Lula raconter comment il est parvenu à sortir des millions de brésiliens de la pauvreté. Sa recette est toute simple. Synthétisée par nos soins, voici ce qu’elle donne. La parole à Lula:
1-« C’est possible d’éradiquer la faim en Afrique et n’importe où dans le monde. Il faut qu’on tienne tout simplement ses engagements.
2-La faim ne se traite pas à la marge. Nous en avions fait la principale politique de notre gouvernement. Nous avons ciblé des populations sur la base de critères précis et avec un suivi efficace.
3- J’ai appliqué une seule démarche dans mon programme « Zéro faim »: faire d’abord le nécessaire, puis le possible. Et seulement ensuite, l’impossible.
4-On ne peut pas s’attaquer à la faim en vase clos. Il faut impliquer la société civile et le peuple.
5-Entre le grand dilemme de l’approche de la pauvreté (s’occuper d’abord de la croissance économique et ensuite corriger les inégalités), nous avions opté pour faire à la fois la croissance économique et la redistribution des richesses. La croissance économique est indispensable pour lutter contre la faim.
6-Il est difficile que ce genre de programmes soit populaire auprès des médias et du ministre des Finances. il faut essayer de convaincre le ministre en lui disant que la redistribution de l’argent aux pauvres n’est pas une perte. Ce n’est pas non plus une dépense. C’est un investissement.
7- L’argent des partenaires internationaux et des bailleurs doit être confié au gouvernement maître de la politique économique et non aux ONG.
La transformation sociale
Ces sept petits points appliqués dans un contexte de croissance économique de 10% ont permis de sortir 36 millions de Brésiliens de la pauvreté. Le PIB par habitant a augmenté fortement durant les années Lula. La classe moyenne s’est élargie, accueillant 40 millions de personnes. La mortalité infantile s’est réduite de 50%. Notons que, dans 65% des cas, la mortalité infantile est due à la malnutrition.
Par ailleurs, 20 millions de travailleurs ont intégré le secteur formel. Le SMIG a été généralisé. Les augmentations de salaires ont concerné 72% de la population. Les réseaux des entreprises agricoles familiales ont été renforcés. Un programme de distribution d’intrants a permis aux cultivateurs de gagner de précieux points de compétitivité. Ce n’est pas tout. L’Etat Brésilien achète une partie de la production pour les cantines scolaires, gratuites. En dix ans, les revenus réels des agriculteurs ont augmenté de 50%. La Bourse familiale (politique de transfert de revenus) a joué un rôle de premier ordre dans cette transformation sociale. En tout, 3,6 millions de familles brésiliennes en ont bénéficié, soit un brésilien sur quatre. La valeur de cette bourse familiale a été augmenté depuis de 65%. Ce n’est pas de l’argent perdu. C’est de l’argent investi. Depuis le début de cette année, aucun brésilien ne souffre de la faim. Un réseau de protection sociale concerne le troisième âge. Loin de favoriser la paresse, la bourse familiale (et tous les politiques annexes) a revitalisé le pays puisque plus de 70% des bénéficiaires travaillent aujourd’hui.
En dix ans, le Brésil a réussi ce qu’il n’a pas pu faire en un siècle: concilier croissance et forte réduction de pauvreté. La seule croissance économique ne peut pas réduire la faim.
Tout cela n’aurait pas été possible si le Brésil, à l’exemple de certains Etats africains, avait commandé une recette toute faite auprés de la Banque mondiale ou d’un organisme quelconque. « Chaque pays a ses réalités, ses infrastructures. Il faut essayer d’appliquer ses propres recettes » s’empresse d’ajouter le président Lula. L’on note que 70% de la nourriture qui arrive à la table du consommateur Brésilien provient des petites entreprises familiales.
« La faim n’est pas un phénoméne de la nature. C’est le résultat des mauvaises politiques économiques« , dira celui qui militera jusqu’au bout au sein du cycle de Doha afin que les productions agricoles des pays pauvres parviennent aux marchés occidentaux exempts de droits de douanes. « Selon la FAO, l’on produit annuellement plus de 2 millions de tonnes de grains par an. Pour une population de 7 milliards d’habitants, l’on a de quoi nourrir tout le monde. Le problème qui se pose n’est pas la production mais l’accès à la production« .
Il faut soutenir les pauvres, recommande Lula. Les soutenir en leur affectant une part dans le budget de fonctionnement de l’Etat. Pourquoi ne pas les soutenir quand 300 milliards de dollars sont dépensés ailleurs pour soutenir de grands agriculteurs?
Lula l’africain
Sous sa présidence, le Brésil s’est rapproché de l’Afrique. « J’ai fais 33 voyages en Afrique en tant que président. Depuis que j’ai quitté mes fonctions, j’ai visité 10 pays africains« , raconte Lula, artisan d’une réconciliation symbolique entre le Brésil et ses racines africaines. Le continent peut certainement s’inspirer des recettes de Lula tout en évitant la transposition. Si la croissance africaine entre 2000 et 2010 est de 4,8% , force est de reconnaître que la pauvreté n’a pas reculé. Bien au contraire, 250 millions de personnes (un africain sur quatre) sont dans la pauvreté, exposés à la faim. C’est souvent le constat, les atouts ne manquent pas pour éradiquer l’extrême pauvreté. L’Afrique qui regorge de terres arables et d’eau est le seul continent où la population en âge de travailler continue d’augmenter.
Reste à accélérer désormais l’approche unifiée du programme agricole continentale, la fameuse CAADP. Dix ans aprés Maputo, le bilan est mitigé. Si 40 pays sont engagés dans le programme, seuls 28 ont proposé des plans d’investissements. Moins de 10 Etats sont arrivés à affecter 10% de leur budget à l’agriculture comme recommandé par le programme.
Adama Wade, Addis Abeba