« L`Afrique importe 80 % de ses médicaments. L`Afrique centrale importe quasiment 99 % « !
Dr Farba Faye est diplômé de la Faculté des Sciences et Techniques de l`Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) avec une spécialisation en épidémiologie du paludisme.Entretien
La filière d’étude en sciences biomédicales a pour but la formation de scientifiques de pointe dont le champ d’étude est l’être humain normal et malade. Les scientifiques biomédicaux jouent un rôle de plus en plus grand en recherche médicale mais également sur le terrain clinique tant dans les domaines diagnostiques que thérapeutiques. Dr Faye a réalisé ses recherches dans le Laboratoire de Paludologie de l`Institut de Recherche pour le Développement en collaboration avec l’Institut Pasteur de Dakar et l’Institut Pasteur de Paris dont les résultats ont éte publiés dans des journaux internationaux et dans un livre aux Etats Unis. Il a également effectué des travaux d`après-thèse dans le même laboratoire de 2000 à 2003. Ses travaux ont été parmi les premiers à apporter des connaissances sur le processus naturel de l`acquisition de l’immunité de prémunition contre le paludisme en zones d`endémie. Un candidat vaccin antipalustre développé par l`Institut Pasteur de Paris en collaboration avec le réseau international des Instituts Pasteur reproduit artificiellement le processus naturel qui met en place progressivement au cours des premières années de vie une immunité qui protège contre les infections et les maladies.
A travers ses nombreux projets de recherche qui ont fait l’objet de plusieurs publications et de plusieurs présentations lors de congrès notamment aux Etats Unis, il a eu á rencontrer des professionnels de l`industrie pharmaceutique. Par la suite, désireux de s’impliquer dans le secteur du développement pharmaceutique, il avait décidé de compléter sa formation par une approche pratique de la recherche clinique et un stage au sein du groupe Kriger Research Group International aux Etats Unis. Rattaché au département des opérations cliniques, il était responsable de projets cliniques, du contrôle qualité des données utilisées pour le suivi des projets en développement et la prise de décision. Il a également participé á plusieurs demandes d’autorisation d’un essai clinique et de mise sur le marché de medicaments ou appareils á usage médical.
Il possède une vaste expérience dans la croissance d’entreprises offrant des services pharmaceutiques, et la direction d’équipes productives. Il a vécu et travaillé aux États-Unis avant de créer ClinSen comme projet de retour en Afrique. Dr Faye a occupé d’autres postes dans le domaine de la consultation pharmaceutique. Dr Faye est un chef de file accompli; il possède 10 ans d’expérience dans l’industrie pharmaceutique et du développement du médicament. De plus, il apporte une expertise spécialisée dans la conception et la gestion des plans de développement clinique et de protocoles, ainsi que la logistique, la faisabilité et l’exécution d’essais africains conformément aux lignes directrices de la déclaration d’Helsinki élaboré par l’Association Médicale Mondiale (AMM). Dr Faye répond aux questions de Financial Afrik.
-Comment présentez vous Clinsen?
ClinSen est un Organisme de Recherche Clinique, proposant ses services en pharmacologie clinique, des phases précoces (Phase I) aux essais cliniques de phase II à IV. Un essai clinique est une recherche biomédicale organisée et pratiquée sur l’Homme en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales. Les essais cliniques portant sur les médicaments ont pour objectif, selon le cas, d’établir ou de vérifier certaines données pharmacocinétiques (modalités de l’absorption, de la distribution, du métabolisme et de l’excrétion du médicament), pharmacodynamiques (mécanisme d’action du médicament notamment) et thérapeutiques (efficacité et tolérance) d’un nouveau médicament ou d’une nouvelle façon d’utiliser un traitement connu. ClinSen a développé des compétences internationales, gérant depuis leurs locaux au Sénégal plusieurs enquêtes dans plusieurs pays en Afrique. Nous offrons une vaste gamme de services, y compris la biostatistique, la gestion de données, la gestion de projets, la surveillance d’étude, le recrutement de patients, la sécurité, la pharmacovigilance, un laboratoire d’analyses médicales, un service d’imagerie médicale, une formation sur la recherche clinique et la promotion des médicaments. Notre expertise englobe l`oncologie, la cardiologie, la neuroscience, les maladies infectieuses, et autres domaines thérapeutiques. Nous offrons également des services tels que la planification stratégique et opérationnelle, les études par observation et des registres de patients, les études d’économie de la santé et d’évaluation des résultats, la gestion de la sécurité/des risques et l’épidémiologie et des études interventionnelles traditionnelles. L`Afrique constitue un milieu idéal pour la recherche clinique. Elle allie des universitaires et des chercheurs de haut calibre avec de bonnes populations de patients et d´excellentes structures de coûts. En Afrique, il est possible d’atteindre ses objectifs de recrutement, de réaliser des recherches d’une qualité extrême et d’obtenir un rendement rapide grâce à des facteurs économiques supérieurs.
ClinSen soutiendra ses objectifs d’accès, comme suit :
- Convaincre les firmes pharmaceutiques á développer des produits répondant aux besoins et aux préférences des populations vivant en Afrique et á investir dans le dévelopment de la formation et de la recherche en Afrique;
- Réaliser des essais cliniques conformément aux normes réglementaires et d’éthique internationales avec une forte participation et un soutien solide de la part des pays et des communautés africains;
- Identifier des stratégies destinées à accélérer les approbations réglementaires comme la création d`une Agence Africaine des Médicaments;
- Entreprendre une recherche au niveau social et des politiques, afin d’informer l’introduction et l’utilisation de produits pharmaceutiques;
- Faciliter des partenariats stratégiques pour moderniser les systèmes de santé et augmenter la capacité du personnel soignant qualifié á travers nos projets.
De l’étape préclinique à l’étape après approbation, nous offrons un service en ce qui concerne les stratégies et les processus réglementaires. Notre équipe est composé d`experts familiers des communications avec la Food and Drug Administration (FDA), l’Agence européenne des médicaments (EMEA) ainsi que d’autres consultants pharmaceutiques et réglementaires internationaux qui possèdent de l’expérience en développement clinique, en planification, en exécution et en présentations aux agences réglementaires. Notre objectfif est d`apporter des connaissances appliquées et des solutions intelligentes, et de devenir un partenaire de confiance dans le domaine du développement de produits pharmaceutiques et d`appareils en Afrique.
-Beaucoup de médicaments utilisés en Afrique sont importés. Souvent il s’agit de faux médicaments. Pourquoi à l’instar de l’Inde l’Afrique ne produit pas ses médicaments?
L`Afrique importe 80 % de ses médicaments. L`Afrique centrale importe quasiment 99 % de sa consommation en médicaments. Toutefois, des pays comme le Maroc qui compte une trentaine de laboratoires arrive à couvrir 70 à 80 % de ses besoins au niveau pharmaceutique. L’industrie pharmaceutique en Afrique est principalement impliquée dans la formulation de médicaments génériques et dans le conditionnement. Les médicaments génériques sont des copies d’originaux qui présentent l’avantage, d’une part, d’être tout aussi efficaces que le modèle original, et d’autre part, d’être nettement moins chers et donc abordables à un plus grand nombre. Il est á noter que 85% des médicaments produits en Inde sont des médicaments génériques. L’Inde en a fait sa spécialité et devient ainsi premier producteur et premier exportateur mondial de génériques. Cette réussite s`explique par la formation et l`utilisation de ressources humaines de qualité et l`arrivée en masse de géants pharmaceutiques qui ont développé des partenariats avec le privé local et ouvert des centres de formation d`excellence.
En effet, l`un des obstacles du développement de l`industrie pharmaceutique en Afrique pourrait être le manque de ressources humaines qualifiées dans les domaines pertinents de la production, tels que des chimistes, médecins, des physiciens, biologistes, des pharmaciens, des bioinformaticiens, des régulateurs etc, qui ont de l’expérience dans la formulation et la fabrication de medicaments ou d`instruments á usage médical. Par ailleurs, la fuite des cerveaux touche de plein fouet le continent : en 2009, le Réseau des académies scientifiques africaines estimait qu’au moins un tiers des scientifiques africains ou diplômés dans le domaine des technologies vivait et travaillait dans les pays développés
Il s`y ajoute aussi l`instabilté politique, la corruption, l`insuffisance d`infrastructures modernes telles que l`energie, les routes et l`absence d`une régulation harmonisée au niveau continental pour éviter des procédures administratives règlementaires au niveau de chaque pays. Les agences de régulation pharmaceutique dans plusieurs pays africains sont sous-équipées en ressources humaines et en matériel et sous-financées. En conséquence, elles ne sont pas bien placées pour effectuer le travail, établir et renforcer des standards de comportement des firmes opérant dans leur juridiction. Dans certains cas, les grands groupes pharmaceutiques leur offrent des équipements, des fonds et d’autres formes de soutien pour effectuer leurs fonctions statutaires, ce qui remet en cause leur indépendance. Par conséquent, les pays africains restent impuissants face au fléau mondial de la contrefaçon. Les faux médicaments représentent près de 10 % du marché pharmaceutique mondial, estime l’OMS, soit un marché de plus 75 milliards de dollars en 2010. Le taux atteint 30 % en Afrique et en Asie. Dans les pays industrialisés, un médicament sur cent est contrefait. Certains suggèrent que cela est dû à l’existence de régulateurs forts tels que la FDA même si des millions de livraisons de médicaments passent par les douanes des États-Unis chaque année à destination de 9000 grossistes. Malheureusement, l`Afrique tarde toujours á créer sa propre agence de régulation á l`image de l`Europe avec l`Agence Européenne des Médicaments (EMEA) ou des Etats Unis (FDA).
En effet, la creation d`une agence africaine sous l`égide de l`union africaine pour la réglementation de la vente des médicaments et leur évaluation scientifique est un préalable pour rassurer les géants pharmaceutiques qui souhaiteraient investir en Afrique. C`est une agence qui devrait être un organe décentralisé de l`Union Africaine si elle est approuvée par les ministres africains de la santé et chefs d`état africains. C`est une très bonne occasion pour l`Afrique de démontrer un leadership au niveau mondial avec la création d`un organe extrêmement important dont la principale mission est la protection et la promotion de la santé publique et animale à travers l’évaluation et la supervision des médicaments à usage humain et vétérinaire. Pour chaque nouveau médicament, l’Agence va examiner la revendication thérapeutique, les propositions d’indications de traitement et les posologies recommandées.
Elle vérifiera la qualité chimique, biologique ou microbiologique de la substance active et du produit fini et évaluera les effets indésirables prévisibles liés à son utilisation et leur fréquence.
Pour apprécier l’ensemble de ces critères, il existe des procédures d’autorisation ou de déclarations auxquelles sont soumis médicaments et produits biologiques en fonction de leur nature ou de leur mode de distribution. Cet organe devrait jouer également un rôle dans la promotion de l’innovation et de la recherche dans l’industrie pharmaceutique et devrait créer beaucoup d`emplois en Afrique. On assiste depuis une décennie à un effort d’harmonisation des différents volets du processus de réglementation pharmaceutique, illustré notamment par des initiatives intergouvernementales au sein des régions et entre les régions. Le moteur de cet effort d’harmonisation est la nécessité d’améliorer la disponibilité des produits pharmaceutiques et de répondre aux pressions du commerce international en offrant des règles techniques suffisamment complètes et uniformisées relatives à l’innocuité, à la qualité et à l’efficacité des médicaments. Le but recherché, en limitant les répétitions inutiles des étapes réglementaires, est d’accélérer les progrès thérapeutiques tout en réduisant les coûts de mise au point des medicaments par les actions suivantes:
• la coordination de l’évaluation scientifique des médicaments dans le cadre de la procédure centralisée et la responsabilité de l’arbitrage dans le cadre de la procédure de reconnaissance mutuelle;
• la coordination des activités liées à la pharmacovigilance à l’échelon africain;
• la coordination des activités d’inspection, notamment celles en rapport avec la vérification du respect des Bonnes pratiques de fabrication, des Bonnes pratiques de laboratoire, et des Bonnes pratiques cliniques.
Il existe un besoin réel d’augmenter la disponibilité des médicaments en Afrique. Cette demande offre donc des opportunités de croissance et d’expansion pour les firmes pharmaceutiques en Afrique. Les multinationales occidentales cherchent en outre des fabricants de génériques de qualité, dans les pays en développement, pour baisser leurs coûts et maintenir leur rentabilité. L’achat par GlaxoSmithKline en 2009 d’une participation dans le sud-africain Aspen montre que certaines entreprises sont prêtes à devenir des acteurs mondiaux. L`Afrique présente un potential énorme pour l`industrie pharmaceutique mondial. L`Afrique a beaucoup d`espaces remarquablement stables avec des ressources naturelles d`utilités internationales. Elle couvre 6 % de la surface terrestre et 20,3 % de la surface des terres émergées. Sa superficie est de 30 415 873 km2 en incluant les îles. Avec une population de plus d’un milliard d’habitants, l’Afrique représente 16 % de la population mondiale. L’Inde compte 17,5 % de la population mondiale couvrant 2,3% de la surface terrestre. Sa superficie est de 3 287 263 km2. Par consequent, l`Afrique est 10 fois plus grande que l`Inde, possédant virtuellement de meilleures possibilités de développement dans tous les domaines de la vie et une meilleure qualité de vie.
L`Afrique a longtemps été un marché de consommation et de sous-traitance pour les pays développés et émergents. La rupture est nécessaire pour faire de l`Afrique l`une des plus importantes et dynamiques economies dans le monde avec un fort profile international plus particulierment dans le domaine de l`innovation technologique et de la recherche scientifique. Pour déveloper le domaine de la science et de la technologie, les pays africains doivent investir dans la recherche et le development. Différentes données révèlent une réalité décevante suivant laquelle les contributions de l’Afrique à la recherche et au développement (R&D) dans le monde restent très faibles – soit au total moins de 1% des investissements mondiaux dans la R&D et à peine 1,5% du total des publications scientifiques – et sont régulièrement restées à ce niveau au cours de la dernière décennie. En 2011, les les statistiques publiés par le Centre de données statistiques de propriété intellectuelle de l’OMPI montrent que les brevets originaires de l`Inde (15717) ont été 5 fois plus importants que tous les brevets en provenance de l`Afrique (3038). Paradoxalement, l`Afrique et l`Inde ont le même nombre de chercheurs qui représentent 2,3% respectivement dans le monde selon l`UNESCO. Par conséquent, le manque de productivité dans le domaine de la publication des brevets en Afrique serait dû a l`absence d`investissements dans le domaine de la recherche et du développement.
Le domaine biomédical représente un secteur particulièrement important pour le développement de l`Afrique. Cependant, il faut créer les conditions pour la possibilité de mener des recherches en Afrique de façon globale ou partielle en collaboratrion avec les grandes firmes pharmaceutiques pour découvrir de nouveaux médicaments. L`objectif est de créer des ressources humaines hautement qualifiées et des structures de recherches de standard international pour créer les conditions de recherche fondamentale, translationnelle, clinique et en santé publique. Un investissement massif dans le domaine pharmaceuitque est donc nécessaire pour que l`Afrique puisse compétir avec succès avec des pays comme l`Inde. Cela se fera avec la collaboration du secteur public et privé avec des organismes comme ClinSen pour développer des programmes multidisciplinaires de recherche impliquant le secteur public, les instituts de recherches, les universités, le secteur de la santé et l`industrie pharmaceutique. Un tel investissement dans le domaine de la recherche et du développement va créer beaucoup d`emplois, déveloper le secteur privé et inciter les cadres africains expatriés á retourner en Afrique pour ne citer que l`exemple de ClinSen. Des instituts de recherche en sciences et ingénieurie doivent être multipliés pour produire une main d`oeuvre de qualite capable de continuer les progrés de développement en cours en Afrique. De tels instituts devraient pouvoir développer des partenariats réussis avec le secteur privé qui va attirrer les grandes multinationales qui vont installer des structures de recherches en Afrique.
Une meilleure harmonisation de la régulation du développement, de la production et de la circulation des nouveaux medicaments et génériques créerait un environnement des affaires très avantageux pour les géants pharmaceutiques et autres investisseurs de startups dans le domaine pharmaceutique en Afrique.
Un commentaire
Bonsoir Farba,
J ai trouve ton article tres interessant. Toutes mes feliciations pour cette refelexion approfondie dans le domaine des sciences biomedicales et de la necessite de creer une agence africaine de regulation des produits pharmaceutiques. Je pense sincerement que tu as raison que cette agence pourrait etre tres utile pour l Afrique et permettrait aussi que l’Afrique soit totalement impliquee dans ce domaine comme c est le cas pour L’Europe et l’Amerique.
Je te felicite pour le creation Clinsen et t encourage pour que le succes jusqu’ici realise puisse continuer pour toujours.
Toutes mes feliciations!!!
Demba