Par Florent Detroy, rédacteur de Matières à Profits
Le ralentissement de la Chine a noyé les marchés des métaux. Pour la première fois depuis des années, le marché du cuivre est tombé en situation de surplus, autour de 200 000 tonnes. Les cours sont ainsi redescendus sous les 7 000 $. L’étain, le nickel ou encore le zinc sont tous descendus à leurs niveaux historiques… seul le marché de l’aluminium n’est pas tombé en surplus en 2012. Tout simplement parce qu’il l’était déjà.
Depuis la crise de 2008, le marché est en situation de surproduction. La faute n’en revient pas aux seuls grands producteurs comme Rusal, Alcoa, BHP ou Rio Tinto. Ils ont intelligemment fermé très tôt des usines. Le problème, c’est que les producteurs chinois, dont le pays est le premier consommateur et producteur mondial (40% du marché), ont continué à produire à tout-va grâce au soutien financier de leur gouvernement.
Début 2012, si l’International Aluminium Institut révélait que la production hors Chine était retombée à son niveau de 2010, la production chinoise avait bondi de 19%. Cette surproduction a créé un surplus qui a fait chuter les prix de 20% en 2011. En 2012, les capacités de production ont probablement augmenté de 16 à 17% supplémentaires. Au final, les deux-tiers des réductions de capacité des grands producteurs ont été « neutralisés » par la hausse de la production chinoise.
L’explication est simple. Si le gouvernement central chinois est conscient de ce problème, les gouvernements locaux, soucieux d’assurer l’emploi et leurs revenus fiscaux, ont encouragé leurs producteurs à produire toujours plus. De leur côté, les producteurs ont profité abondamment des prêts bancaires pour booster leurcash-flow, ignorant au passage le niveau de leurs profits. Si l’on rajoute la ruée vers le Xinjiang, la région du nord-ouest ou les abondantes réserves de charbon ont permis de réduire les coûts de production, on comprend que les cours de l’aluminium soient dans le rouge depuis 5 ans. C’est ce qui fit dire mi-ironique, mi-sévère, « je n’aime pas l’aluminium » à Marius Kloppers, le directeur exécutif de BHP Billiton, dès 2010. Aujourd’hui, les perspectives apparaissent bien sombres pour ce marché.
Qui sauvera l’aluminium ?
Cette mainmise de la Chine sur le marché est le résultat de la perte de compétitivité des groupes occidentaux qui autrefois dominaient le marché.
Jusque dans les années 1990, les plus beaux gisements de bauxite étaient sous l’emprise des groupes occidentaux d’aluminium, la matière première de l’aluminium. La bauxite est abondante dans le monde, on considère qu’environ 8% de l’écorce terrestre en est constituée. La possession des plus importants gisements donne à ses propriétaires un atout face aux concurrents. Ainsi les nord-américains Alcoa ou Alcan ont mis la main sur les immenses gisements d’Afrique, et le français Pechiney a investi sur les gisements tout aussi géants d’Australie par exemple.
Les problèmes sont arrivés lorsque les groupes chinois ou russes, débarqués sur le marché à la faveur de la disparition du bloc communiste, ont réussi à concurrencer les Occidentaux sur l’énergie (hydraulique en Russie et charbon en Chine) et la bauxite (investissements en Australie et en Afrique). Cette concurrence a amené les groupes d’aluminium occidentaux à abandonner leur intégration verticale, de la mine jusqu’au produit en aluminium, au profit d’une concentration horizontale autour de la seule mine.
Les acteurs Rio Tinto, BHP Billiton, Alcoa et le Norvégien Norsk Hydro se sont retrouvés opposés au Russe Rusal et au Chinois Chalco pour le contrôle des gisements géants de bauxite d’Australie ou de Guinée (un tiers des ressources mondiales). En 2006, alors en pleine explosion des prix des métaux, un consultant avait révélé que pas moins de 8 sociétés étaient en discussion avec le gouvernement guinéen pour exploiter sa bauxite. Aujourd’hui, on se rend compte benoitement que la concurrence des pays émergents a cassé les prix, et a emporté avec elle la rentabilité des acteurs occidentaux. L’aluminium n’est pourtant pas un cas désespéré pour tous le monde. Un secteur soutient actuellement le marché de l’aluminium occidental, l’aéronautique.
L’aéronautique, l’avenir de l’aluminium
Longtemps les matériaux composites étaient présentés comme l’avenir de l’aéronautique, dignes successeurs du fer et surtout de l’aluminium. Mais lors du dernier salon du Bourget, Les Echos ont titré « l’aluminium réplique aux matériaux composites ». Les producteurs de métal gris ont choisi cette année de mener leur contre-offensive dans le domaine de l’aéronautique.
Les compagnies aériennes veulent des avions moins lourds et moins consommateurs de kérosène, et se ruent sur les avions les plus léger. Or les producteurs d’aluminium ont réussi à rattraper leur retard dans le secteur en présentant depuis quelques années de nouveaux alliages plus légers. Aleris International, par exemple, a mis au point une combinaison aluminium-magnésium scandium 5% moins lourde que les alliages habituellement utilisés et qui pourrait être intégrée à une future production d’Airbus ou de Boeing.
Avec la croissance du secteur de l’aéronautique, les quelques producteurs qui ont réussi à se positionner sur ce secteur sont désormais sur un marché particulièrement haussier. Qu’on en juge : La conjugaison du renouvellement de la flotte des compagnies aériennes occidentales et les besoins des nouvelles compagnies émergentes vont conduire au doublement du nombre d’avions dans le monde d’ici 2032 selon Boeing, soit entre 30 000 et 35 000 appareils en tout. C’est une manne de 4 800 milliards de dollars. Pour la seule France, le secteur pèse 42,5 milliards d’euros, et est en progression de 16% en 2012. L’aéronautique français est bien « l’antidépresseur de l’économie française ».