Le tribun plutôt que le technocrate. La chaleur convivale plutôt que la racine carrée. Le peuple de Bamako a choisi… comme le peuple de Rome.
Par Adama Wade
A la rigueur froide du discours économiste de Soumaila Cissé, a été préféré l’hymne à l’unité nationale de Ibrahima Boubacar Keita. Comme autrefois, l’invite à l’austérité de Mario Monti a été battu en brêche pour deux blagues d’un humouriste d’une Italie méditerranéenne à l’africanité non prouvée. Le peuple à l’encontre du marché. Ainsi va le Mali.
En reconnaissant sa défaite plutôt que prévu, Soumaila Cissé, a abrégé le suspens que l’on craignait long et compliqué dans ce second tour des présidentielles maliennes. Ibrahima Boubacar Keita, crédité d’une victoire écrasante selon les résultats provisoires, devient ainsi le nouveau président du Mali.
Celui que la presse a régulièrement enterré au fil des joutes électorales précédentes, prend sa revanche sur le cours de l’histoire. La politique malienne qui était réglée comme du papier à musique échappe ainsi à ses géômètres qui croyaient en avoir fixé le procédé successoral dans ses moindres détails. Un vent de sable est passé par là.
Imprévisible et ravageur. La proclamation de l’Etat de l’Azawad aux frontières médiatiques avérées suivie de l’inutile coup d’Etat du capitaine Amadou Sanogo en mars 2012 à 40 jours des élections présidentielles, allaient projetter le Mali sur la table de l’ONU et convaincre les plus souverainistes d’entre nous de la nécessité d’une intervention militaire française. Ainsi est lancée l’opération Serval il y a 7 mois alors que deux tiers du Mali étaient aux mains des illuminés jihadistes qui proposaient Dieu, la cigarette et la drogue en échange du pouvoir.
Ainsi, alors que les troupes françaises et tchadiennes repoussaient les barbus, les géomètres du pouvoir politique malien, se battaient pour les parcelles et les prébendes du pouvoir. La multitude de candidatures, souvent farfelues, n’est-elle pas la preuve de la déchirure du champ politique malien en mille morceaux? La preuve de sa privatisation? de la captation de l’intérêt général par des intérêts claniques puissants mais d’ordre privé?
C’est de ce magma aux intérêts divergents qu’est sorti le nouveau président du Mali. Pour qui le connaît, IBK est tout sauf l’homme nouveau. Il est, à son corps défendant, l’incarnation de la continuité. Face à l’inconnu proposé par les multiples candidatures, le malien a choisi la sécurité que confère ce visage grave et austère d’un vieux briscard de la politique, 69 ans, aux allures bourgeoises avérées. Tout sauf un président de rupture, IBK est un homme politique qui représente cette génération ATT née du renversement du président Moussa Keita en 1991.
Malgré cette longévité politique, IBK s’est vu affublé du slogan de « président de la rupture » par quelques médias. En reférence à ses idées de campagne, peu de jure il est vrai avec son passé de ministre des Affaires étrangères et de premier ministre d’Alpha Omar Konaré.
Dans le fond, ce « gaulliste » pur jus, qui, alors premier ministre, a réprimé les gréves des étudiants 1993 avec le slogan de son inspirateur (« non à la chienlit ») est un homme ferme, autoritaire à la philosophie consensuelle avérée.
Au lendemain du coup d’Etat de mars 2012, il n’hésitera pas un instant à prendre langue avec le putschiste Amadou Sanogo, s’attirant par devers lui les foudres de nombreux opposants, alors en fuite à Dakar ou Paris. Durant la campagne électorale, IBK, seule grande figure politique à ne pas avoir pris le chemin de l’exil (l’un des rares, il faut dire, à ne pas avoir été inquiété par les escadrons militaires) , sera le premier à aller dans les régions du Nord, prendre contact avec les touarégues. Homme à la posture diplomatique étoffée, IBK s’est rendu dans les capitales qui comptent pour le réglement de la crise du Nord. A Alger où il a passé une partie du ramadan 2012, à Paris, où ses plusieurs va et vient, étaient aussi attendus que critiqués par ses opposants. Et à Rabat où son sens de l’équilibre régional l’a conduit, en tant que citoyen malien et citoyen de Tombouctou dont les ramifications parentales sont enracinées profondément dans l’empire chérifien.
Ses relations avec les capitales ouest-africaines sont nettement plus complexes, susurre-t-on. Ceux (nous les premiers) qui traitent cet ancien parisien (il a passé 26 ans dans la ville des lumières, DEA en sciences politiques à la Sorbonne) d’un nouveau « Hamid Karzai » craignent plutôt sa similitude avec un Alpha Condé, l’opposant guinéen qui a fini par devenir président à force de persévérance. Tous deux membres de l’internationale socialiste, tous deux frappés de cette gravité que confère trois défaites aux présidentielles, emcombrés de ces amitiés des héros soixante huitard finissants (reconvertis pour certains en VRP des grandes entreprises), tous deux rompus au code africain du droit d’aînesse, tous deux appartenant à l’ensemble Malinké. Mais là s’arrête la comparaison.
A la différence d’un Alpha Condé réformateur, IBK est un réconciliateur, aérien, qui a besoin, paradoxalement, des compétences d’un Soumaila Cissé pour faire de sa mandature une occasion de développer le Mali. La personnalité du guinéen ne s’accomoderait pas avec un premier ministre fort, entend-t-on. Celle d’IBK ne demanderait qu’une doublure technocratique et travailleuse qui gérera les affaires de la cité et suivra les comptes de la Nation. Car, lui, Ibrahima Boubacar Keita, employera son temps et son énergie à prêcher la bonne parole. Celle de l’unité nationale. De l’Azawad au pays Bambara…