Au lendemain de l’assaut tragique de la place Rabya Al Adaouia, les soutiens sont beaucoup moins fermes que lors de l’éviction du président Mohamed Morsi il y a un mois et demi. Le décompte macabre des victimes coupe la voix à ceux qui avaient applaudi l’interruption brutale du processus démocratique. Les morts se dénombrent par centaines. 149 selon la police, 249 pour des sources indépendantes, 2 000 morts selon les frères musulmans. Une véritable tragédie qui discrédite le coup d’Etat et ses soutiens. Qui rappelle que la démocratie, fut-elle imparfaite, brouillonne, tatillonne, reste le meilleur reméde à la tentation de l’usage de la force par le despote.
par Adama Wade
Totalement dépassé, le pouvoir égyptien continuait plusieurs heures aprés le drame à plaider une « intervention propre » contre des jihadistes armés de fusil d’assaut, alors que les télévisions du monde entier passaient en boucle les images de chars d’assaut, d’hélicoptères tournoyant dans un ciel gris, de crânes fracassés, de femmes et d’enfants tentant d’échapper à la mort. Si le soutien, quasi-inconditionnel, de l’Occident lui est toujours acquis, l’armée égyptienne sait désormais qu’elle s’est aliénée une bonne partie de l’opinion internationale.
Il sera en effet difficile à l’impérial général Sissi de trouver des arguments au maintien du président Mohamed Morsi en détention pour délit d’ « impopularité ». Le couvre feu décrété pour un mois entre dans cette logique de force brute qui a conduit à l’arrestation du président élu au suffrage universel et à la suspension du parlement.
Face à une rue égyptienne qui, depuis un mois et demi, refuse le fait accompli et appelle au rétablissement de la souveraineté populaire, si durement conquise, au prix du sang, le 25 juin 2011 (autant dire il y a un siècle) , qui a vu le départ du dictateur et allié de l’Occident, Hosni Moubarak, nous sommes, nous des pays en développement, surpris par l’attitude du monde « civilisé ». Sont-ce les mêmes qui veulent faire partir Bachar El Assad qui sont entrain d’installer le général Sissi?
Bref, Washington, Londres et Paris seront forcés sans doute d’adopter la même attitude que celle du prix Nobel de la Paix, Mohamed El Baradei, vice -président, qui a démissionné aprés l’assaut, estimant difficile d’assumer « la responsabilité des décisions avec lesquelles il n’est pas d’accord et dont il redoute les conséquences ».
Or, c’est là toute la misère des démocrates face au chaos égyptien. Les protestations portent sur la répression (ce qui est normal) mais ne vont pas jusqu’à situer les responsabilités, jusqu’aux principes mêmes de la démocratie qui conditionnent, croyait-on, les politiques étrangères des grands pays (voir l’analyse lucide de Bertrand Badie dans Le Figaro). Mohamed El Baradei n’entend pas assumer jusqu’au bout son soutien à l’interruption d’un mouvement démocratique frappé du sceau de la légitimité populaire.
Ce leader à l’aura international certaine a cru en la solution militaire et, comme tous les porte-voix du camp des démocrates, pensé sans doute que la logique « Moubarakienne » recyclée et adoucie au goût du jour, comportant stabilité et respect des minorités, était préférable à un gouvernement islamiste élu où l’influence des frères musulmans n’était pas la meilleure garantie de protection de minorités. Autrement dit, le démocrate Baradei plaide pour une sorte de statu quo d’avant printemps arabe.
Un statu quo qui permettrait de reconduire le vieux schéma d’une Egypte « moderniste et laïque », terre d’investissements et de tourisme, marché importateur de blé et de produits de consommation courante. Une Egypte militaire gardienne du canal de Suez, rempart contre les pulsions déraisonnées du monde arabe, barrage contre les passions qui peuvent conduire jusqu’àu déraisonnable: l’élection d’un gouvernement islamiste! Ce projet impopulaire du retour à l’ordre normal des choses, à la norme sécuritaire, bien doté financièrement , bien soutenu diplomatiquement, péche par son impopularité auprés des premiers concernés: les égyptiens eux mêmes qui aspirent à un autre destin: celui de la démocratie véritable, qui leur permettrait non seulement de choisir leurs céréales à midi, et leurs produits modernes importés, mais aussi leurs dirigeants.