L’armée égyptiennen pôle de stabilité sous régionale, bénéficie du soutien de l’Occident, qui refuse de condamner le coup d’État du général Abdel Fattah Al Sissi, perpétré le 3 juillet 2013, contre le Président déchu Mohamed Morsi, membre de la confrérie des Frères musulmans. Deux raisons expliquent cette situation.
par Maître Ardo Dia
La première raison est d’ordre démocratique. L’armée égyptienne constitue la colonne vertébrale de la société depuis des années 1950, car elle s’est toujours positionnée comme bouclier anti Frères musulmane , chaque fois qu’on fait appel à ses services pour sauver la volonté populaire. Comme l’a fait le général Al Sissi, lorsqu’il demandait au peuple égyptien de manifester en masse pour lui donner la légitimité de combattre le terrorisme.
La deuxième raison est essentiellement liée aux considérations géopolitiques sous régionales. Par sa position géopolitique, l’Égypte est incontestablement le rempart de la stabilité du Moyen-Orient. Elle est un allié de poids que l’Occident cherche à maintenir dans la région quitte à fermer les yeux sur la violation des droits de l’homme, telle que nous assistons actuellement dans le démentellement par les force de l’ordre des camps de contestation des partisans de M. Morsi soldé par un bilan provisoire de 600 morts. Qui a tort ou qui a raison ? L’histoire nous le dira. La réalité c’est que l’Égypte s’achemine vers une guerre civile dangereuse pour la sous-région.
Y-a-t-il eu ou pas un coup d’État en Égypte ?
L’intervention d’Al Sissi contre M. Morsi, polarise non seulement les deux camps, mais aussi, elle dresse une partie du peuple égyptien contre une autre. Les positions sont antinomiques quasiment irréconciliables entre les partisans de l’ordre constitutionnel incarnés par les Frères musulmans et les partisans des mouvements populaires composés de militaires, de partis laïcs, de libéraux et le mouvement rebelle « Tamarrud », à l’origine des manifestations du 30 juin contre le président Morsi. Chacun des deux camps interprète les événements en sa faveur.
Pour le pôle des mouvements populaires, l’intervention de l’armée n’est pas un putsch, car celle-ci, n’a fait que répondre à la demande du peuple contre une dérive d’un pouvoir islamiste, qui tenterait d’appliquer la loi islamique (charia). Cependant, pour les partisans de l’ordre constitutionnel, il faut se mobiliser contre un coup d’État qui a destitué le premier président élu démocratiquement dans l’histoire de l’Égypte.
Ces divisions apparaissent aussi chez les partenaires du Caire à l’étranger. Par exemple, l’administration Obama refuse de qualifier de coup d’État la destitution de M. Morsi, pour éviter de couper l’aide militaire de 1,3 milliard de dollars annuels. Washington s’est contenté d’annuler les manœuvres militaires conjointes « Bright Star » prévues en septembre avec son allié égyptien.
L’abus de confiance
Le manque de fermeté d’Occident et d’Orient ne fait que renforcer l’armée égyptienne dans sa folie meurtrière contre sa population. D’autant plus que, ses généraux savent qu’ils sont incontournables dans le jeu politique moyen-oriental. L’Égypte est un allié avec qui, Washington et l’Europe doivent compter pour la stabilité régionale depuis les accords de paix avec l’État hébreu en 1979, ou pour relancer les négociations israélo-palestiniennes. D’où les facteurs géopolitiques qui empêcheraient l’Amérique d’employer le terme coup d’État, et expliqueraient l’ambigüité de la position européenne en cours de négociation autour de l’axe Paris, Berlin, Londres, Rome et Madrid sur la possible révision des relations de l’Union européenne avec le Caire.
Choix cornélien
Nous voyons donc que ce casse-tête concerne toutes les chancelleries occidentales. L’Égypte est la clié de voûte de leur politique au Moyen-Orient. Or, dans le cas de ce pays, stabilité et démocratie vont rarement ensembles. Ce qui impose aux Occidentaux un choix très difficile. En d’autres termes, le choix de la stabilité reviendrait à soutenir l’armée égyptienne en fermant les yeux sur sa dérive autoritaire contre son peuple.
Par contre, le choix de la démocratie mettra en exergue le respect des droits humains qui condamnerait le putsch et arrêterait l’aide militaire octroyée au Caire. Dans ce cas de figure, l’armée égyptienne sera affaiblie avec des conséquences déstabilisatrices dans la région du golfe, source d’approvisionnement énergétique de l’Amérique. En prime, la complication du processus de paix israélo-palestinien qui vient tout juste de reprendre sous l’égide de Washington.
A long terme, l’Amérique ne gagnera pas avec ce jeu politique, l’Égypte sera menacée par la montée en puissance du fondamentalisme religieux sur son territoire. Mais les seuls gagnants sont les Islamistes radicaux enragés par la vengeance, qui auront une ascendance psychologique sur l’armée en n’ayant plus peur de mourir. Ce qui rendra le pays ingouvernable.
L’armée doit se désengager de la politique
L’armée égyptienne doit se désengager de la politique pour ne s’occuper que de son rôle traditionnel. L’Égypte, à l’instar de l’Afrique, doit avoir une armée essentiellement républicaine pour défendre l’intégrité territoriale, la sécurité de la population et participer aux opérations du maintien de la paix. En Égypte aujourd’hui, l’armée doit ouvrir le jeu politique en libérant les prisonniers politiques y compris le président déchu M. Morsi. Sinon, elle jouera le jeu de l’aile radicale des Frères musulmans dont la violence est la seule solution possible. Comme le démontre la destruction des églises dans le pays.
Cette stratégie de lieux de cultes brûlés vise deux objectifs: le premier consiste à pousser l’armée à déployer des moyens conséquents pour défendre la minorité copte. Le deuxième objectif est d’amener la majorité de la population musulmane à se retourner contre l’armée égyptienne en l’accusant d’être aux soldes des infidèles. En conséquence, les seules bénéficiaires de cette répression, sont les fondamentalistes religieux qui poussent l’Occident et l’Islam vers l’affrontement.
Oui à la démocratie, mais pas pour certains !
Le parallèle doit être fait entre la situation d’Égypte avec le renversement des Frères musulmans en 2013 et celle d’Algérie des années 1990, avec la confiscation de la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS), entrainant le pays dans une guerre civile sanglante. Ces situations ne pourraient être évitées dans l’avenir que lorsque la volonté populaire est réellement respectée aussi bien par les tenants du pouvoir politique que par ceux de l’opposition. Ce n’est par ce qu’on a les moyens militaires qu’on peut se permettre de s’octroyer du pouvoir. Cependant, être élu ne signifie pas faire ce que bon lui semble dans un exercice du pouvoir. Cette crise de légitimité doit être résolue dans le renforcement des institutions démocratiques. L’Afrique comme disait Barak Obama : « n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ».
L’Occident ne doit pas saboter la volonté populaire, même si elle est en désaccord avec ceux qui sont portés au pouvoir de façon démocratique. La Palestine est un exemple éloquent de ces manipulations. Au départ, la division inter-palestinienne n’était que stratégique entre le Hamas partisan de la destruction d’Israël et l’Organisation de la libération de la Palestine (OLP), favorable au dialogue avec l’État hébreu. Cependant depuis la confiscation de la victoire électorale du Hamas en faveur de l’OLP, la Palestine est divisée sur le terrain politique interne. Les deux factions n’arrivent plus à adopter une position commune au moment où les négations s’acheminent désormais vers une solution à deux États.
Maître Ardo Dia, Président du Groupe analyse et stratégique (Gaps) et professeur chercheur en science politique est, notamment, titulaire d’une Maîtrise en Science politique (Université de Montréal, QC, Canada), d’une Maîtrise en Droit international public (Université de Nouakchott, Mauritanie), d’un Baccalauréat en Éducation ( Université Laurentienne, Sudbury, ON. Canada).