Les sociétés de bourse marocaines broient du noir. Après la période d’euphorie boursière (2004-2008) durant laquelle elles avaient engrangé de conséquents bénéfices grâce à une volumétrie exceptionnelle résultant des multiples introductions en Bourse (30 introductions en bourse dont Maroc Telecom, BCP, Label’Vie, Delta Holding, Addoha, CGI, Alliances, Lydec, etc.), les acteurs du marché vivent actuellement une situation de disette impactant négativement leurs revenus.
Ainsi, au titre de l’exercice 2012, les 17 brokers se partageant le marché n’ont réalisé qu’un bénéfice net agrégé de 45 millions de dirhams (MDH), soit 4,1 millions d’euros, contre 57 millions de dirhams en 2011, environ 101 millions de dirhams en 2010 et très loin des 305,82 MDH de bénéfices de 2007. Preuve de la situation difficile que traversent les sociétés de bourse, 11 des 17 intermédiaires du marché ont enregistré des déficits en 2012 et la moitié des acteurs cumule des pertes au cours des deux dernières années et certains mêmes sont déficitaires depuis 3 ans.
Mieux, à y regarder de près, le résultat net agrégé du marché a été essentiellement porté par CFG Marchés avec un bénéfice net de 53,67 MDH grâce à l’opération de restructuration entreprise par CFG Group. Loin derrière suivent Upline Securities et Attijari Intermédiation dont les bénéfices nets ont chuté fortement à respectivement 13,4 MDH et 5,14 MDH par rapport à l’exercice précédent. Par contre, CDG Capital Bourse, BMCE Capital Bourse et BMCI Bourse ont affiché des résultats déficitaires respectifs de -5,99 MDH, -2,77 MDH et -4,11 MDH.
Si les brokers adossés aux banques et aux grands groupes peuvent continuer à résister face à la crise, pour les petites structures indépendantes, la situation devient difficile et même intenable pour certaines. C’est le cas notamment de MSIN, Art Bourse, Alma Invest et Intégra Bourse qui cumulent des résultats déficitaires au cours des deux derniers exercices.
Facteurs explicatifs
La situation difficile que traversent les sociétés de bourse marocaines s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, il y a bien évidement l’impact de la forte baisse des volumes des transactions enregistrées au niveau du marché boursier. Après avoir atteint un niveau record de 163 milliards de dirhams en 2007, la volumétrie s’est inscrite depuis 2008 dans un canal baissier tombant à 51,2 milliards de dirhams en 2011 et 42,2 milliards de dirhams en 2012, illustrant la désaffection des investisseurs. Cette baisse s’est traduite par une réduction mécanique drastique des commissions sur les transactions (réception-transmission d’ordres de bourse). Or, celles-ci constituent, en moyenne, 85 % des volumes d’affaires des sociétés de bourse et même 95 % pour les petites structures indépendantes. Le reliquat des revenus étant apporté par diverses autres activités marginales : conseil en opérations financières, conservation de titres pour les sociétés de bourse dépositaires, gestion de portefeuille en vertu du mandat, opérations financières et gains sur opérations de contrepartie. D’où une très forte dépendance des revenus du secteur de l’évolution de la liquidité du marché. Conséquence, le volume d’affaires des intermédiaires a chuté dans le sillage de la baisse des volumes pour s’établir à seulement 172 MDH en 2012 contre 257 MDH en 2011 et 718,68 MDH en 2007.
Ensuite, cette situation a été accentué par le fléchissement du taux des commissions appliquées sur les transactions boursières à cause de la concurrence. Le taux moyen a avoisiné 0,2 % en 2012 alors qu’il ressortait autour de 0,6 % lors de la période faste. En outre, ces résultats s’expliquent aussi par le nombre relativement élevé de brokers comparativement à la taille (75 sociétés cotées) et à la liquidité de la place. Enfin, l’absence d’introductions en bourse a amoindri les ressources des intermédiaires du marché.
Coupe sur les effectifs
Face à cette situation, certains intermédiaires anticipant déjà des lendemains encore plus difficiles prennent des mesures drastiques. Outre les opérations réorganisations et de restructuration, plusieurs sociétés de bourse continuent de tailler sur leurs effectifs afin de réduire leurs coûts. Au delà de ces mesures, avec la persistance de la crise, il n’est pas exclu que certaines structures indépendantes cessent leurs activités où changent d’actionnariats. D’ailleurs, des rumeurs ont circulé dernièrement sur une éventuelle vente d’Intégra Bourse qui a aligné des déficits cumulés au cours des trois dernières années de l’ordre de 9,5 MDH.
L’avenir de certains intermédiaires est d’autant plus incertain que les perspectives du marché boursier manquent de visibilité. Les investisseurs nationaux et étrangers continuent à bouder la place avec à la clé des transactions anémiques. En outre, les anticipations négatives sur les perspectives de croissance bénéficiaires des sociétés cotées accentuent actuellement l’attentisme des investisseurs. Enfin, avec la morosité actuelle, il et très peu probable que d’autres entreprises viennent grossir la taille de la corbeille casablancaise.
Néanmoins, selon certains analystes, l’éventuelle concrétisation de l’opération de cession de la participation de Vivendi dans Maroc Telecom à l’émirati Etissalat et les cessions partielles en bourse des participations de la holding SNI dans Centrale Laitière, Lesieur Cristal et Cosumar pourraient redonner des couleurs au marché casablancais. Toutefois, beaucoup d’observateurs pensent que les cessions des participations de la SNI risquent d’être reportées du fait de la situation boursière difficile et surtout du niveau de valorisation boursière actuelle des filiales.
Bref, 2013 sera aussi difficile que 2012 pour les sociétés de bourse de la place et peut-être même une année de trop pour certaines d’entre elles.