Le trading algorithmique est une technique de spéculation financière qui a été beaucoup décriée ces dernières années pour son rôle dans les différentes crises financières. Afin de mieux comprendre ce phénomène, mon article commence par le récit d’une catastrophe qui a failli voir partir en fumée la modique somme de 1000 milliards de dollars en quelques secondes. Je vous laisserai par la suite juger du caractère manipulatoire ou non de cette pratique.
Par Cheickna TRAORE*
Le jeudi 6 mai 2010 à la Bourse de New York, en quelques minutes, l’indice Dow Jones a chuté de près de 10% et plus de 863 milliards de d’euros se sont envolés. Ce montant représente plus de 2 fois les dépenses totales de l’état français en 2012 et plus de 47% de la dette de la France.
Les Autorités de régulation des marchés américains, la S.E.C (Security Exchange Commission) et la C.F.T.C (Commodity Futures Trading Commission) ont mis en cause une technique d’achat et de vente sur le marché financier qui repose sur des ordinateurs capables d’exécuter des ordres à toute vitesse sur une échelle de temps qui se mesure en millième de seconde.
Donc ce 6 mai, par cette technique, un courtier d’une société d’investissement basée dans le Kansas ordonne la vente de 75.000 contrats à terme, d’une valeur totale de 4 milliards de dollars.
Cette société avait mis au point un nouvel algorithme de traitement des ordres d’achat et de vente très performant puisque l’ordre de vente de ces milliers de contrats a été exécuté en 20 minutes contre 5 heures pour ce type d’opération.
Le problème est qu’un bug s’est produit au niveau de l’algorithme : le prix de vente des titres n’a pas été précisé par le logiciel et donc 75.000 contrats sont mis sur le marché sans prix de vente. Le cours des titres émis sur le marché se met à baisser très rapidement suivi par un mouvement de panique et des ventes en cascade.
Le rapport des autorités de régulation des marchés américains note qu’en 14 secondes des titres ont changé 27.000 fois de mains. Les Autorités et les opérateurs ont finalement décidé d’annuler toutes les transactions passées entre 14h40 et 15 heures ce jour-là, ce qui a permis à Wall Street de terminer la journée avec une chute limitée à 3,2%. Ce fait réel n’est dû à autre chose qu’à des ordinateurs hyper performants dotés d’algorithmes capables d’effectuer de façon automatisée des opérations très sophistiquées dans des temps extrêmement courts.
Cette pratique née aux Etats-Unis à la suite de l’informatisation des ordres sur les marchés financiers dans les années 1970 se nomme transactions à haute fréquence (« High frequency trading ») ou encore trading algorithmique voire Algotrading, néologisme utilisé par les spécialistes de la contraction des mots.
Dans la réalité, le trading algorithmique se compose de deux activités:
- Les opérations de bourse assistées par des algorithmes qui anticipent et favorisent les opportunités de bénéfices,
- L’utilisation des automates pour effectuer des transactions très rapides selon des algorithmes et des stratégies paramétrées.
Aux Etats-Unis, plus de 75 % des institutions financières et 95 % des traders institutionnels utilisent des stratégies de trading algorithmique. En Europe les volumes quotidiens traités par cette technique sont de l’ordre de 45%
Le point de départ de la mise en place de ces techniques partait pourtant d’un bon sentiment car on ne voulait pas de monopole des places financières dans le domaine de la spéculation mais l’usage qui en a été fait par la suite est considéré comme strictement contre-productif pour l’économie réelle et pour les investisseurs financiers eux-mêmes.
Les techniques sont très critiquées aujourd’hui et ces critiques trouvent d’ailleurs une légitimité à cause de trois autres pratiques tout aussi controversées :
- le « quote stuffing » qui est une technique très agressive de bourrage de carnets d’ordres dont la fréquence peut atteindre des dizaines de milliers d’ordres à la seconde alors qu’un moteur de passage d’ordres classique en traite tout au plus 200 ordres par seconde.
- les « dark pools » qui sont de plates-formes électroniques privées opaques qui permettent d’effecteur des échanges de manière complètement anonyme et sans contrôle des Autorités.
- les « flash orders« qui sont des pratiques par lesquelles les bourses autorisent certains clients, contre commission, à regarder brièvement les ordres avant qu’ils ne soient placés et orientés vers des plates-formes rivales. En un mot il s’agit pour certains d’un délit d’initié légal et donc une pratique qui fausse clairement les fondements du marché libre.
Le problème dans toutes ces pratiques est qu’il n’y a aucune rationalité économique apparente derrière ces opérations. Beaucoup de ces opérations ne sont réalisées que dans le but de dissimuler de très gros ordres découpés en de multiples petits ordres pour éviter un effet d’impact sur le marché. Dans le cadre du quote stuffing, les taux d’annulations très élevés (près de 98%) enregistrés sur les ordres chez certains opérateurs montrent clairement qu’il s’agit d’un bourrage rapide de carnets d’ordres destiné à saturer la plate-forme boursière et donc empêcher les concurrents à y accéder.
Les différentes critiques sont fondées sur le fait que ces pratiques n’ont d’autre objectif que de ralentir des concurrents et de masquer des stratégies de « trading ». Les pratiques sont donc logiquement considérées comme de la manipulation. C’est la raison pour laquelle des mesures urgentes sont nécessaires dans le cadre d’une moralisation de la finance. Le problème est qu’à ce jour près de 70% du volume des 10 milliards d’échanges quotidiens sont réalisés sur les places boursières grâce à cette technique. Autant dire que le point de non-retour est dépassé depuis très longtemps.
Les régulateurs reconnaissent qu’il y a un problème sur lequel il est nécessaire de se pencher mais estiment qu’il est difficile de deviner les intentions, qu’elles soient malveillantes ou non, d’une société ou d’un individu dans ce type d’activité.
En conclusion, posons-nous la question de l’utilité d’une bourse. Elle est censée apporter des capitaux aux utilisations les plus productives, comme le fait d’aider des sociétés innovantes à lever des fonds pour financer leurs idées et développer leurs affaires. Or les sociétés qui pratiquent le trading algorithmique :
- sans rationalité économique,
- qui empêchent d’autres sociétés à accéder à des carnets d’ordres sur les marchés,
- qui créent de la valeur artificielle ou factice
- et qui passent des ordres en rafale pour contourner des plafonds d’ordres
ne contribuent guère à l’amélioration de la fonction sociale d’une bourse.
Tout cela ne vous semble-t-il pas être une façon de tricher avec le principe général de l’économie de marché ? Si oui, n’est-ce donc pas une délinquance financière ?
Cheickna TRAORE est Responsable Informatique d’Application (RIA),Gestion des titres – Domaine de la politique monétaire dans le Milieu bancaire