Ni De Gaulles, ni Adenauer. En lieu et place, des Berlusconi et des Sarkozy aux discours fondés sur la lutte contre l’immigration et l’islamophobie. Quand l’indifférence des Etats africains prendra-t-elle fin?
Il y a longtemps que la voix des droits de l’homme s’est tue en Europe. Longtemps que la démocratie de marché a accouché d’un populisme qui doit sa survie à l’excitation entretenue des bas instincts du peuple. Longtemps que les héros de mai 68 se sont transformés en conseillers nocturnes de quelques dictateurs africains au nom des intérêts stratégiques. Longtemps que la compétition électorale a accouché de pantins accrochés aux yoyo des sondages et d’enquêtes d’opinions. Plus de grands hommes qui sachent aller à l’encontre de la versatile courbe de popularité. Ni De Gaulles, ni Adenauer. En lieu et place, des Berlusconi et des Sarkozy aux discours fondés sur la lutte contre l’immigration et l’islamophobie.
Erigé en norme de communication, le marketing de la peur a fini par légitimer le réflexe du repli sur soi d’un vieux continent qui ne recule devant rien pour protéger ses acquis et sa sécurité sociale. Ni devant les conventions internationales relatives aux réfugiés et à la protection des mineurs, encore moins devant la charité chrétienne.
Tous les moyens sont bons pour arrêter la horde de barbares agglutinés aux quatre portes de l’espace Shenguen. La cause est entendue. Cette fois-ci, Rome ne tombera pas. Quitte à sous traiter les basses oeuvres auprès de Hannibal. Pourvu seulement que la violence des interpellations policières et la sauvagerie des reconduites aux frontières se passent loin de la si sensible opinion publique européenne. Qu’à cela ne tienne. Le Maghreb, éternel candidat à la délocalisation et à l’intégration de l’Union Européenne, est prêt à sous traiter ce service en échange d’un « chouia » de financements et d’investissements.
Beaucoup de leaders se sont prêtés à ce commerce de dupes: centre de rétentions contre investissements, barrières anti-immigration contre bonne politique de voisinage. Mais, au final, tous ceux des dirigeants du Sud qui se sont prêtés à ce commerce cynique ont été désavoués par les événements. A commencer par Kadhafi qui faisait de ses milliers d’immigrés subsahariens une arme de chantage envers Berlusconi. Lequel avait fini par céder pour à la fois accéder au pétrole libyen et soigner une cote de popularité chancelante. Aussi, la grotesque excuse italienne du fait colonial n’a trompée personne, s’étant négociée en échange de pétrole et de promesses d’une mutualisation des moyens dans la lutte contre l’immigration.
C’est bien dommage que l’Afrique du Nord soit devenue aujourd’hui la nouvelle frontière de l’Europe de la répression et de l’intolérance. Cette course en avant nous semble perdue d’avance car rien ne pourrait s’opposer à la recherche des conditions meilleures qui nourrit l’aventure migratoire des somaliens, syriens et de toute la misère du monde. Rien , mais il est temps que cette arithmétique macabre prenne fin. Il est temps que l’Union africaine accepte de faire l’analyse des relations asymétriques avec son plus ancien partenaire en matière, notamment, de circulation des personnes. Ne rien faire c’est se condamner à revoir dans quelques jours un énième naufrage d’africains fuyant l’Afrique. L’indifférence est mortelle.
Une politique migratoire équilibrée
Que ces 300 migrants africains morts jeudi devant le paradis rêvé de Lampedusa nous renvoient, nous africains, dirigeants, leaders d’opinions et simples citoyens, à nos responsabilités. Ce drame n’est pas le premier. En 2009 déjà, 200 Erythréens avaient sombré au large de la Sicile accrochés à leur bateau de fortune. Une année avant, 400 migrants, toujours originaires de la corne de l’Afrique, échouaient à quelques brasses de la Sicile. Il y a une semaine, des centaines de désespérés se sont jetés sur la forteresse protégeant une enclave espagnole au Maroc. Ces immigrés se sont sacrifiés en prenant d’assaut une barrière munie de capteurs thermiques, de caméras de surveillances, d’alarmes sophistiqués, et raccordés à une station équipée d’écrans et reliés aux polices espagnoles. Le must de la technologie.
Jusqu’à quand allons nous assister à ce décompte macabre sans réagir? Faut-il, alors qu’il est question d’un nouveau partenariat équilibré, que l’ Union Africaine abandonne à l’Europe le soin, toute seule, de décider de la politique de circulation des personnes entre les deux pôles? Faut-il laisser à l’Europe la luxe de délocaliser sa politique de répression sur la rive sud de la Méditerranée sans que cela ne donne lieu à un débat au sein de l’Union Africaine?
Adama Wade