Le titre de cette interview accordée à Financial Afrik par Moubarack Lô, Directeur de cabinet adjoint du président Macky Sall, pourrait prêter à confusion. Non, nous ne sommes pas dans les joutes politiciennes. Venu représenter la voix du Sénégal dans ce forum économique africain d’Addis Abeba, qui se tient sous le signe de l’intégration, l’économiste Moubarack Lô analyse le lien entre démographie, croissance économique et bien être des populations en opérant un détour par les situations vécues par l’Asie du Sud-Est. En Afrique, et notamment au Sénégal où 50% de la population est âgée de moins de 15 ans, la transition démographique est en cours. Aux hommes politiques de saisir cette opportunité unique. Au président Macky Sall, digne successeur d’Abdoulaye Wade, de transformer l’essai.
Ibrahima Dia, envoyé spécial à Adis Abeba
Quelle est aujourd’hui la typologie des populations Sénégalaises. Présentent-elles les caractéristiques des populations du Sud Est Asiatiques?
Nous sommes en transition démographique et nous sommes une population jeune. Les jeunes font pratiquement les 2/3 de la population et les moins de 15 ans représentent approximativement les 50% de cette population. Cette transition démographique se manifeste d’abord par le ralentissement de la croissance démographique. Il y a plus de 20 ans ce taux était de 15,3% et aujourd’hui il avoisine les 2,5%. Nous assistons à un renouvellement de la population mais la jeunesse de la population Africaine ne sera un atout demain qu’à condition qu’elle soit valorisée et renforcée en capacité. Maintenant quand on nous compare avec les populations d’Asie du Sud Est, ces dernières ont déjà connu leur transition démographique. Cas de la Thaïlande qui évolue aujourd’hui à un taux de croissance démographique de 2% /an et qui coïncide aussi avec une accélération du développement économique. Ce qui grosso modo, sur 40 ans, a amélioré fortement la qualité de vie des populations de ce pays et des autres pays d’Asie du Sud Est. Alors que, dans nos différents pays, s’il y a une amélioration on n’a pas atteint encore ces taux.
Quels sont les défis pour les futur ?
C’est d’abord comment accélérer la transition démographique? Mais surtout comment tirer profit du dividende démographique? Ce dividende se manifeste par la baisse du taux de dépendance et donc vous aurez plus de personnes qui travaillent que de personnes qui ne travaillent pas. Aujourd’hui au Sénégal, nous avons un taux de dépendance qui est de 1,15%, ce qui veut dire que 100 adultes qui travaillent prennent en charge 115 personnes qui ne travaillent pas. Il faudra aller plus loin pour garantir mieux des taux d’épargne car si le taux de dépendance est élevé, cela ne favorise pas l’épargne généralement. Donc l’effort important en termes de prise en charge des populations se concentrera sur les populations qui travaillent. Pour renforcer cette masse de populations qui travaillent, il faudra bien former les jeunes et veuiller à ce qu’ils accèdent au travail. Et pour accéder au travail, il faudra avoir des qualifications et être en bonne santé avant tout, ce qui nécessite alors la mise en place d’une vraie politique de qualité.
La décennie 2000-2010 est une décennie de forte croissance en Afrique mais particulièrement en Afrique de l’Ouest. Cela s’est-il traduit réellement au Sénégal par l’amélioration des indices de développement humain?
Je voudrai nuancer par là. Vous avez des taux de croissance de 5-6% dans certains pays d’Afrique de l’Ouest mais ce qu’il nous faut réellement aujourd’hui, c’est d’avoir des taux allant de 9,5 à 10%. Ceci nous permettra tous les dix ans de doubler les PIB par tête. Vous savez avec des taux de 5%, doubler le PIB sera presque impossible. Par exemple, dans un pays comme le Niger même si ce taux est de 5,5%, sachant que ce pays a une croissance annuelle de 3,5%, il lui faudra presque 35 ans pour qu’il arrive à doubler son PIB par habitant. Et là, pour qu’il rattrape les pays développés, il lui faudra plus de 1000 ans.
En Afrique pour pouvoir accélérer le développement, il faut obligatoirement aller vers des taux de 10%. Mon raisonnement va à l’encontre de ceux qui disent que l’Afrique est entrain d’accélérer son développement. Nous ne sommes qu’au début et tout reste à faire. Il faut améliorer encore l’environnement des affaires et en même temps avoir des politiques sectorielles de qualité. Il faudra aussi maintenir ces taux de croissance sur la durée. Le plus important, ce n’est pas d’avoir des taux de croissance de 10% en deux ou trois ans et de jubiler mais, plus tôt, les maintenir pendant dix ans, quinze ans et même plus. C’est exactement ce qui nous permettra de devenir des pays émergeants. Maintenant la question qui se pose généralement est : comment passer de la croissance économique au développement social ou humain ? Comme vous le savez, l’accélération de la croissance génère toujours du bien fait au niveau du développement car ça permet de créer des emplois. Quand l’économie croit, les besoins en investissements et en emplois des entreprises augmentent parallèlement et donc c’est avantageux. Mais ça ne suffit pas parce que vous pouvez avoir quelque part une frange de la population qui n’en profite pas, il faudra donc mettre en place des politiques sociales de qualité.
Quels sont les volets à prendre en compte dans la mise en place de ces politiques sociales de qualité ?
Dans la mise en place des programmes des politiques de lutte contre la pauvreté, il faudra toujours penser à deux volets importants :
-La politique de soutien de la croissance
-La politique de réduction de la pauvreté
La voie la plus courte bien évidement pour réduire la pauvreté, c’est de générer la croissance à partir des secteurs qui créent de l’emploi chez les pauvres. C’est pourquoi dans les pays qui ont beaucoup de populations rurales, il serait intéressant de mettre l’accent dans des secteurs comme l’agriculture, l’élevage, les ressources naturelles. On a remarqué que dans certains pays ayant de fortes croissances économiques portées par les secteurs miniers ou pétroliers par exemple (cas de la Guinée équatoriale), il n’y a pas eu de réduction du taux de pauvreté. Ceci s’explique par le fait qu’on a généré cette croissance à partir des secteurs qui n’emploient pas les populations pauvres mais par contre cette croissance est générée par des compagnies étrangères qui tirent largement profit et dont les dividendes ne sont pas redistribués aux populations.
Pour le Sénégal, la décennie 2000-2010 a été une décennie assez mitigée parce que dans un premier temps jusqu’en 2005, nous avons eu une croissance économique allant jusqu’à 4,5% mais à partir de 2006 cette croissance voit une chute et se retrouve à 3, 3% et donc un taux légèrement supérieur à celui de la croissance démographique. Par conséquent, il n y a pas eu réduction de pauvreté. De facto, cette croissance n’a pas impacté réellement le bien être des populations. Malgré tout, il y a eu des politiques sectorielles en dehors de la croissance qui ont amélioré le bien être de ses populations. On peut citer l’exemple de l’éducation où le taux de scolarisation a fortement augmenté. Aujourd’hui le défi est surtout d’augmenter la qualité de l’enseignement mais également d’améliorer et de développer l’enseignement de la formation professionnelle et d’autres formations de courtes durées. Dans le domaine de la santé, il y a eu aussi beaucoup d’amélioration par exemple des maladies comme le paludisme ont beaucoup reculé grâce aux programmes au niveau sectoriel.
Dans le domaine de l’assainissement, de traitement de l’eau et de l’accès à l’électricité, les indicateurs s’améliorent aussi.
En définitif, je dirai qu’il n y a pas une corrélation très forte entre les politiques de croissance et celles de lutte contre la pauvreté mais juste une causalité entre ces deux politiques. Pour nos pays, les politiques sociales sectorielles de qualité sont fondamentales. Toute politique de croissance économique montre au début des inégalités ou des déséquilibres : Par exemple en Guinée équatoriale, la politique de croissance ne sera bénéfique aux populations pauvres qu’après plusieurs années. Lorsque le gouvernement réussit à capter des revenus du pétrole, il réinvestira dans d’autres domaines créateurs d’emplois au fur et à mesure. Ce qui à long terme améliorera le bien être des pauvres.
Quels sont les grands chantiers du Président Macky Sall ?
Disons, il y a d’abord une continuité de l’Etat. Le Président Macky Sall a réalisé et confirmé l’ensemble de ses engagements. Nous faisons face aux partenaires de développement et on n’a pas remis en cause les choix programmatiques. Maintenant, il y a l’insistance sur la protection sociale. Vous savez, il n y a que 20% de Sénégalais qui ont une couverture au niveau du système d’assurance maladie. Le Président Macky Sall a mis en place un grand chantier en terme de couverture universelle maladie et d’ici 2017, plus de 70% de Sénégalais bénéficieront de ce programme (Plus de 250.000 familles).
Dans le domaine du développement rural, nous avons aussi une volonté nouvelle pour accélérer l’accès de l’électrification dans les zones rurale, à l’eau potable et en même temps la construction de pistes dans ces zones pour vraiment mettre à niveau ces dernières longtemps marginalisées.
La vision du Président Macky Sall est différente de celle de Abdoulaye Wade qui était plus tôt focalisée sur des méga projets d’infrastructures coûteuses et pas très utiles pour les pauvres. Des milliards de franc volatilisés sans profiter aux populations nécessiteuses. La priorité du Président Macky Sall est avant tout de satisfaire rapidement et directement la demande des populations.