Ministre tunisien des Affaires de la femme et de la famille depuis décembre 2011, Sihem Badi, membre du Congrès pour la république (CPR), est avant tout une militante des droits de l’homme. Née en 1967 à Degache, elle s’opposera farouchement au régime Ben Ali. Ce qui lui vaut une condamnation à deux ans de prison ferme en 1992. Elle s’exile alors en France où elle poursuit son activisme. Financial Afrik a rencontré cette femme moderne, seule ministre du gouvernement actuel, sur un thème éminemment politique : la transition démographique.
Propos recueillis par Dia El Hadj Ibrahima, envoyé spécial à Addis Abeba
Y a-t-il des stratégies particulières mises en place par le gouvernement Tunisien afin de mieux exploiter le dividende démographique ?
Comme vous le savez, la transition démographique en Tunisie a coïncidé avec la transition démocratique. Donc, nous avons vécus une double transition, un double exploit. Nous sommes actuellement en train d’élaborer notre constitution afin de revoir beaucoup de lois sur la politique globale de développement, d’égalité et de justice, d’implication des jeunes et des femmes dans la prise de décision, de la mise en place des mécanismes et de stratégie qui permettront d’améliorer le quotidien du peuple Tunisien. Nous avons déclenché une révolution dite la révolution des jasmins, qui a été menée surtout par la jeunesse. La place de ces jeunes dans la vie politique doit être importante. . Il faudra qu’ils accèdent aux cercles de décision, à l’éducation et à la vie associative. Je souligne fort le rôle et la place qui doit être réservé à cette jeunesse dans la mise en place des politiques de développement dans tous les secteurs.
L’on parle du vieillissement précoce de la pyramide des âges au Maghreb. Quid de la Tunisie ?
L’amélioration des conditions de vie, de la longévité des citoyens et de la baisse du taux de mortalité à la naissance font qu’on est amené à vivre plus longtemps. Pour l’instant, la Tunisie est à un taux de 11% des personnes âgées ( ayant plus de 60 ans). Ce chiffre va doubler au cours des 20 prochaines années. Il faudra donc penser de mettre en place déjà des stratégies démographiques, des structures ou institutions, des moyens et des politiques pour la prise en charge de ces personnes. Il faut aussi réfléchir et repenser comment réintégrer les compétences de cette classe de population dans la construction et la participation à la vie active. En Tunisie, aujourd’hui, à l’âge de 60 ans, on est en bonne santé, en bonne forme et on cumule une bonne expérience et des acquis de longue date qu’il faudra mettre au profit des pays Africains en voie de construction.
Quelle est la place de la femme dans cette transition ?
Encore une fois, on ne peut pas parler de stratégies démographiques sans parler de la position de la femme dans son droit à la justice, à l’égalité des chances en matière économique, sociale et surtout de son implication politique. La participation de la femme Tunisienne reste bien en dessous de ce qui est espéré jusque là. Nous sommes vraiment gênés de voir aujourd’hui même, après la révolution et dans une phase de transition, qu’on se retrouve en Tunisie qu’avec une et une seule femme Ministre. Par hasard aussi, le Ministère qui lui a été alloué est celui des affaires de la femme et de la famille à défaut de le confier à un homme. Tout ça à mon avis sous entend encore une mentalité patriarcale. Il faudra relever les degrés de conscience à un niveau où on doit accepter la femme sans aucune discrimination basée sur le genre. Quand je parle de la qualité et de la place de la femme, il y a beaucoup de choses à dire, par exemple tout ce qui concerne la femme dans la zone rurale, son accès aux soins et à l’éducation et son implication dans la politique et aux postes clefs. Il faut mettre les moyens pour y accéder que cela soit par le biais des lois parce que, dès fois, à défaut de pouvoir changer par les mentalités, choses qui prennent parfois beaucoup de temps, on peut directement imposer certaines choses par la loi. L’exemple le plus proche est cette loi votée en mai 2011 qui avait obligé les listes électorales à observer la parité entre hommes et femmes au niveau de l’assemblée constituante. Contrairement, si ce choix ne dépendait que de celui des hommes politiques, il allait être soit bloqué ou soit en dessous du chiffre actuel (29%). La preuve en est que dans le gouvernement actuel, les femmes ne sont pas du tout représentées. Je ne pense même pas que cela soit en rapport avec l’idéologie des gouvernants actuels car , même au niveau de la GTT, qui est le plus grand syndicat des travailleurs Tunisiens, aucune femme ne figure dans le bureau exécutif. C’est pour vous dire que, de gauche comme de droite, la question de la femme reste à revaloriser, à repenser et à remettre en considération. Aujourd’hui, la Tunisie est entrain d’élaborer des mécanismes adéquats et des stratégies pour donner plus de tonus et de considération à la jeunesse et aux femmes afin de les introduire plus dans tous les projets sociétaux.
Le modèle de la femme Tunisienne d’avant la révolution était pourtant, aux yeux des observateurs, un exemple solide à saluer ?
Je pense que le modèle de la femme Tunisienne est excellent par rapport aux autres pays arabo-musulmans et africains. Il faut le dire, il y a aussi beaucoup de chose à renforcer et aussi il y avait des choses qui n’étaient pas mis en avant parce que le pays vivait sous un régime totalitaire et dictatorial. Pour vous dire qu’il y a eu tellement d’analyses et d’études qui n’ont jamais vu le jour, c’est-à-dire qui n’ont jamais été publiées. Les experts faisaient leur travail correctement mais parfois leurs chiffres allaient à l’encontre de l’image du régime en place. Par exemple, une étude récente qui a été publiée et qui montre que le pourcentage des violences faites aux femmes est de 47%. Un tel chiffre ne pouvait jamais être publié avant en Tunisie. Aujourd’hui, nous avons la chance de ne pas avoir des barrières sur la publication des chiffres ni dans le domaine de la croissance économique, ni dans le taux de pauvreté, ni dans le domaine de la scolarisation des femmes encore moins du taux de violence sexuelle. Le changement doit commencer avant tout par faire des études objectives et de ne pas avoir peur de les publier telles qu’elles sont. Ce qui nous permettra de mettre en place des mécanismes efficaces pour changer la vie quotidienne des populations Tunisiennes et d’aller en avant vers un avenir meilleur.
Un mot sur la conférence internationale de la population et du développement tenue à Addis Abeba?
Je pense que participer à cette conférence est une opportunité d’abord entre les experts des différents pays d’élaborer des stratégies communes pour toute l’Afrique malgré que l’Afrique soit un continent très vaste constituée de pays, diversifiés dans leur culture, leur religion et leur politique de développement. Mais le fait d’avoir une vision globale et homogène est à saluer par tous. Quand on est nombreux à lever la voix et à mettre main dans la main ensemble pour défendre la cause Africaine, on arrivera à de meilleurs résultats. Je pense qu’ensemble il y a matière à conjuguer les efforts des uns et des autres. Des expériences acquises dans certains pays Africains et dans des domaines variés doivent être mise au service de certains pays qui en demandent pour renforcer leur modèle de développement. Je pense qu’une rencontre du genre pourrait être utile et bénéfique pour tous si elle sort vraiment aussi du simple slogan. Elle permettra directement de pouvoir proposer des stratégies et des mécanismes efficaces et faciles à poursuivre. Le plus important n’est pas de donner des rapports de synthèse avec des recommandations mais de pouvoir tirer profit sur le plan pratique en prenant des mesures qui améliorent les conditions de vie des populations Africaines. Il faudra aussi donner les moyens permettant d’exécuter les différentes Voici ma recommandation. Qu’on mette en place des lois sanctionnant tous ceux qui ne respecteront pas les différentes conventions signées.