L’affaire est en délibéré. Le tribunal de commerce de Créteil doit rendre son verdict le le 23 octobre prochain. L’enjeu, la recevabilité ou non de la vente de 3148 actions du groupe Sunu, appartenant au nigérien Mamadou Talata. Celui-ci souhaite solder sa participation dans la compagnie d’assurance africaine pour cause de différend avec l’actionnaire majoritaire, le sénégalais Pathé Dione.
Par Adama Wade
Le cabinet Price Water House Cooper avait évalué cette participation entre 1,8 et 2,2 millions d’euros. Dans la foulée, Mamadou Talata avait trouvé un repreneur, Rimon Hajjar, un libano-burkinabé assez connu sur la place de Ouagadougou, qui proposait d’acheter ses participations pour 2 millions d’euros. Refus catégorique de Pathé Dione et de certains de ses associés (93% des actionnaires se seraient opposés à la transaction) qui disposent de droits de péremption.
Cet épisode de vente à un tiers enterré, les deux parties entrent en négociations via leurs conseillers et leurs avocats. Un prix d’équilibre est trouvé, à savoir 1,5 million d’euros. «Mais, au moment de la conclusion de l’opération, nous avons appris que les actions faisaient l’objet d’un nantissement depuis 2010. Nous n’en étions pas informés. L’on ne peut pas vendre des actions nanties », explique Pathé Dione.
Des informations que Mamadou Talata réfutent : «Il y a eu tentative de nantissement en effet. Mais l’acte en question n’a jamais été signé par le groupe Sunu. D’autre part, la banque en question est au courant et nous a même signé une domiciliation irrévocable du produit de la vente de mes actions ».
Bref, les deux parties sont dans une véritable impasse judiciaire. Si le tribunal de commerce de Créteil se prononce pour la vente et désigne un expert pour fixer la valeur des actions, Mamadou Talata devra se retrouver avec une plus-value qui sera grevée de 30% représentant la taxe sur la plus-value applicable aux nigériens en France. «C’est cette plus valus qui bloque la transaction. Il voudrait que notre groupe supporte cette taxe », argue M. Dione qui rappelle que Talata n’a investi jusque-là que 275 000 euros.
Dans le cas où le tribunal s’oppose à la vente, le problème n’en sera que plus complexe pour deux actionnaires qui ne souhaitent plus poursuivre leur compagnonnage.
Une date clé
En fait, le désengagement de M. Talata et l’affrontement judiciaire qui s’ensuit cache une bataille plus lourde entre les deux hommes, dont les relations fructueuses remontent au milieu des années 80. La cassure est intervenue le 18 mai 2011 quand Pathé Dione propose à celui qu’il appelle «son jeune frère», âgé de 62 ans et de dix ans son cadet, de faire prévaloir ses droits à la retraite en échange d’un salaire consistant advitam eternam et de tous les traitements dus à un retraité de luxe. Celui-ci accepte d’abord, remerciant son « grand frère», avant de se rétracter rapidement arguant que son ex associé n’allait pas respecter ses engagements.
Abus de biens sociaux
En septembre 2012, Mamadou Talata porte plainte contre Pathé Dione au Niger pour abus de biens sociaux. Le nigérien est débouté en première instance. Le ministère public (parquet) décide, en ce qui le concerne, de ne pas interjeter appel. Mamadou Talata interjette et obtient gain de cause. Pathé Dione est condamné au civil et au pénal en juin dernier. EN plus d’une condamnation à rembourser 247 millions de FCFA au groupe Sunu et 90 millions à son ex associé, il écope de 12 mois dont 6 en sursis pour abus de biens sociaux à Niamey.
Le sénégalais décide de se pourvoir en cassation. Problème, la cour de cassation nigérienne n’était pas encore en place au mois de juin dernier. Les membres de cette instance viennent tout juste de prêter serment. Théoriquement, le patron de Sunu ne peut pas venir au Niger où le pourvoi n’est pas suspensif bien qu’une réforme en cours prévoit de le rendre comme tel pour certains montants.
Le fonds du dossier
L’abus de biens sociaux en question concerne un salaire de 1,5 millions de FCFA que Pathé Dione aurait perçu entre 2000 et 2001 et dont le cumul approcherait les 300 millions de FCFA. «Il s’agit d’indemnité de représentation que m’avait proposée Talata (lequel percevait 1 million sous forme d’indemnités) et un autre dirigeant du groupe » explique Pathé Dione qui avait repris les filiales Axa et Ugan IARD en 2000. Par la suite, le commissaire aux comptes suggère qu’une indemnité de représentation doit être traitée comme un salaire. «Les deux me l’ont fait signer et l’ont conduit à l’inspection du travail qui a refusé de signer, arguant que je n’étais pas résident. Par conséquent, le contrat de travail n’a jamais été signé ».
Voilà tout le fond d’un dossier à rebondissements entre deux hommes jusque-là très proches. Le fin de l’histoire sortira de Créteil, ce 23 octobre et de la cour de cassation (voire la cour suprême) du Niger bientôt. Affaire à suivre.