La guerre des monnaies ou la dévaluation compétitive est un conflit international qui oppose différents pays depuis des siècles. Le présent article explique ce qu’est la « guerre des monnaies », quels peuvent être ses risques en termes économiques et sociaux et surtout comment les grandes puissances usent de cet instrument de politique monétaire en vue d’asseoir leur suprématie...
Par Cheikhna Traoré, expert en banque
Lorsque ce 27 septembre 2010, le ministre Brésilien des Finances, Guido Mantega, a ouvertement critiqué les politiques monétaires des pays riches, il n’avait d’autre objectif que de s’agacer contre la monnaie Brésilienne, le REAL, dont le niveau trop fort pesait défavorablement sur l’économie de son pays. Les pays émergents ont de longue date critiqué l’utilisation de la planche à billets par les pays riches pour soutenir leurs économies car cette pratique réévalue les taux de changes des pays émergents et déprécie ceux des pays riches. Cette situation défavorise les pays à monnaie forte dans le commerce international.
Ce coup d’éclat du ministre Brésilien, loin de sonner le glas, met au contraire la lumière sur un conflit international qui dure depuis des siècles, la « Guerre des monnaies »
Il existe plusieurs expressions synonymes du terme « guerre des monnaies » comme la « guerre des devises » ou la « guerre des changes ». Quel que soit le qualificatif utilisé, le phénomène fait référence à une situation où les autorités monétaires d’un pays décident d’abaisser le taux de change de leur monnaie nationale par rapport aux autres monnaies ou par rapport à une monnaie de référence comme le dollar par exemple. Si la presse regorge d’anecdotes quant aux conséquences possibles de cette prétendue guerre, nous constatons néanmoins qu’au fil de l’histoire nous fûmes épargnés de vrais conflits internationaux que cette situation est censée provoquer.
Si tant est qu’on puisse utiliser le terme « guerre », le qualificatif apparait pourtant très approprié puisqu’un pays qui abaisse unilatéralement sa monnaie, donc par des initiatives non coopératives, cherche en réalité à renforcer son économie au détriment de celle des autres pays. Ce jeu de manipulation de taux de change est une pratique connue en économie sous l’appellation « dévaluation compétitive ». Lorsque la monnaie d’un pays est faible, ses exportations vers les pays à devises plus fortes sont favorisées par rapport à ses importations à partir de ces mêmes pays.
Les produits fabriqués en Chine, par exemple, inondent le marché européen, car la monnaie chinoise, le Yuan, est beaucoup plus faible que l’Euro. Combinée au faible coût du travail en Chine cette faiblesse du Yuan permet aux industries chinoises d’écouler facilement leurs produits vers l’extérieur.
Les importations de produits étrangers devenant trop chers, la population locale aura une préférence pour les produits locaux, ce qui va relancer la consommation (demande de produits) et donc la production (offre de produit) enclenchant ainsi un cercle vertueux de croissance économique selon le principe de la « Demande effective » dans la théorie économique keynésienne. Les entrepreneurs anticipant une croissance de la consommation et des exportations sont alors enclins d’investir dans les moyens de production (y compris en embauchant) pour faire face à la demande.
En général un pays a recours à cet instrument de politique monétaire lorsqu’il ne dispose plus d’outils permettant de stimuler son activité économique. La dévaluation compétitive apparaitra alors comme le dernier levier de croissance à sa disposition. Le Japon, par exemple, a commencé à pratiquer la dévaluation de sa monnaie, le Yen, à partir de fin décembre 2012 pour tenter de sortir son économie de 20 ans de stagnation de la croissance et de déflation qui détruit sa richesse.
Nombreux sont les économistes qui militent aujourd’hui en faveur d’une baisse du taux de change de l’Euro par rapport au Dollar pour relancer l’économie de la zone euro. La raison tient au fait que la crise financière qui a démarré en 2008 a provoqué un ralentissement global et brutal des économies qui ne laisse, 5 ans après, aucune lueur d’espoir pouvant présager d’un redressement à court terme de la situation. D’autant qu’une seconde crise, celle de la dette souveraine, avec des déficits budgétaires abyssaux s’y est invitée dans l’intention d’aggraver une situation déjà trop compliquée. Ceci est donc un facteur type qui peut pousser les autorités d’un pays ou d’une organisation à se tourner vers le taux de change comme moteur de croissance de dernier recours.
L’intérêt suscité par la dévaluation d’une monnaie se justifie si on regarde ce qu’elle peut réellement apporter à un pays. Des études ont montré qu’une baisse des changes de l’ordre de 5 à 10 % peut procurer à un pays un avantage compétitif quasi immédiat alors que les politiques conventionnelles de relance de la compétitivité peuvent prendre jusqu’à plusieurs années pour produire un résultat similaire. Ainsi face à la peur d’une récession et surtout face au risque d’une grogne de l’opinion publique, les autorités de n’importe quel pays seraient tentées de se tourner vers cet instrument, fut-il dans la réalité très dangereux.
La dévaluation compétitive est dangereuse, car c’est d’abord une attaque contre l’économie des autres pays. Ensuite, elle crée un déséquilibre du commerce mondial qui peut pousser consubstantiellement les autres pays à riposter en vue d’un retour à l’équilibre. C’est le principe d’autorégulation appliqué au marché des changes, sauf que les conséquences qui découleront de ces ripostes peuvent être très néfastes. Aucun pays ne pourra profiter des effets positifs de la dévaluation et, en outre, on risque de provoquer une inflation généralisée au niveau mondial à cause d’une massive création monétaire, elle-même provoquée par les dévaluations massives.
L’histoire nous a montré les effets néfastes d’une hyperinflation à travers le cas de l’Argentine entre 1989 et 1990 où les taux d’inflation avaient dépassé 1000 %. C’est un peu comme si en France le prix d’une baguette de pain passe de 80 centimes d’euros à 8 €. Lorsque le même phénomène de hausse de prix est enregistré au niveau d’autres produits de première nécessité, il est fort à parier qu’une révolte sociale éclatera en France, sans aucun doute.
Lorsque nous regardons par le passé tout ce qui a été fait dans ce domaine nous finissons par nous poser la question de savoir si la « guéguerre » sur les taux de changes se transformera un jour en vraie « guerre ». Rien n’est moins sûr, car le futur n’est pas quelque chose qui soit objectif au point qu’on puisse s’y projeter et dire ce qui va se passer. Ce que nous savons en revanche, c’est que certains pays manipulent volontairement leurs monnaies indépendamment des raisons que nous avons évoquées et que ce comportement aura certainement des effets sur le futur. La Chine par exemple, qui pratique ce qu’on appelle un capitalisme d’État et non un capitalisme de marchés, maintient sa monnaie, le YUAN, à un niveau relativement bas au détriment notamment du dollar malgré les critiques répétées des États-Unis et de toute la communauté financière internationale.
Les États-Unis du reste ne sont pas exempts de reproches, car le Dollar a toujours été maintenu volontairement par la Reserve Fédérale (FED) à un niveau relativement faible afin de soutenir la croissance américaine. Les fameux « Quantitative Easing 1, 2, 3 » sont la preuve qui atteste cette politique. La conservation du leadership du Dollar est la seule préoccupation des États-Unis, comme le secrétaire d’État au Trésor John Conally l’a ailleurs clairement annoncé en disant que « Le dollar c’est notre monnaie, mais c’est votre problème« .
En conclusion, la guerre des monnaies n’est pas près de s’arrêter. Elle est utilisée comme purement stratégique par les 3 premières puissances économiques qui manipulent à volonté et de façon non coopérative leurs monnaies. La zone euro avec en son sein la quatrième et la cinquième puissance, l’Allemagne et la France se trouve coincée particulièrement entre la Chine et les États-Unis sans véritable stratégie de change puisque la valeur de l’euro ne relève à ce jour officiellement de personne. Il existe par ailleurs une telle différence entre les pays au sein de l’union qu’une quelconque manipulation du cours de l’euro risque d’être préjudiciable à certains états mêmes de l’union. Ce qui empêche donc la BCE de se positionner par rapport aux puissances concurrentes que sont la Chine et les USA.
La vraie « guerre » ne commencera-t-elle pas le jour où l’Union européenne arrivera à vaincre cet écueil ?
Un commentaire
Très bon article qui illustre bien l’impact que peut avoir le FCFA (en change fixe par rapport à l’Euro) sur la compétitivité des économies de la zone CFA en Afrique de l’ouest et centrale (UEMOA – CEMAC)