Sur le papier, l’idée d’une bourse régionale en zone CFA a toujours été séduisante: disposer à l’échelle de toute une sous-région, d’une plateforme d’échange unique, et transformer les faiblesses de la zone (exiguité des marchés nationaux) en force (réaliser l’intégration régionale effective des marchés de capitaux). Un pari aussi ambitieux sur la forme que cohérent sur le fond ; mais un pari qui attend toujours d’être gagné. Certes, dans la zone UEMOA, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) d’Abidjan a démarré ses activités depuis 1998, et au sein de la zone CEMAC, la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC) est opérationelle depuis 2008. Mais au-delà des bonnes intentions et des effets d’annonce, reste la réalité des faits. Et celle-ci a plus souvent été une cause de contrariétés qu’un motif de réjouissances : nombre restreint de sociétés cotées, rareté des introductions, faiblesse des volumes échangés, réglementation boursière peu flexible, faible appétence du grand public pour l’épargne boursière et conservatisme des entreprises à faire appel aux marchés…. Des difficultés qui se retrouvent ausi ailleurs sur le continent avec plus ou moins d’acuité, mais qui atteignent sous les latitudes francophones de la zone CFA des niveaux rarement égalés. Deux bourses régionales (BRVM et BVMAC) pour deux communautés régionales distinctes (UEMOA et CEMAC), mais une seule et même appréciation : peut sensiblement mieux faire. Revue de détail.
Sociétés cotées et introductions en bourse : un critère décisif dans la mesure du rayonnement d’une place financière et dans l’attractivité que celle-ci peut exercer ; et pour lequel les bourses régionales d’Afrique francophone sont particulièrement mal loties. La BRVM, qui représente une communauté économique régionale (UEMOA) de 8 pays membres ayant une population totale de près de 100 millions d’habitants comptabilise ainsi 37 sociétés à la cote d’Abidjan, alors que dans le même temps le Nigeria voisin en aligne 217 à la bourse de Lagos. Quant à la BVMAC de Libreville, bourse régionale de la CEMAC (6 pays membres pour 42 millions d’habitants), elle s’est félicitée en septembre de sa première introduction en bourse avec l’arrivée de SIAT Gabon. Une remière cotation décrochée au forceps et qui survient 5 ans après le démarrage des opérations de la BVMAC. On a les victoires qu’on peut. Le Kenya, de population équivalente (45 millions d’habitants), dénombre pour sa part, sans tambour ni trompette, quelques 55 sociétés cotées sur le Nairobi Stock Exchange. Un constat de faiblesse qui se vérifie aussi assez logiquement au niveau de la capitalisation boursière totale : 5.000 milliards de CFA (10,3 milliards $) pour la BRVM sur le compartiment actions (1.000 milliards pour le marché obligataire), un ordre de grandeur qui ne représente qu’une fraction du PIB de la zone UEMOA (12 % du PIB de l’Union), bien loin de la moyenne continentale (60 % à fin 2012). S’agissant de la BVMAC, cela tourne à la dérision : moins de 0,4 % du PIB de la CEMAC.
Liquidité du marché : mesurer le volume des échanges réalisés, c’est jauger du niveau de vitalité d’une bourse, évaluer de manière objective son dynamisme…ou apathie. Le second qualificatif sied malheureusement mieux aux places régionales de la zone CFA que le premier, et la comparaison avec les autres places boursières du continent devient vite cruelle : un million de $ de titres traités quotidiennement en moyenne sur la place d’Abidjan, c’est 5 fois moins qu’à la bourse de Nairobi et 17 fois moins qu’à Lagos. Le site de la BVMAC signale de son côté une dernière transaction réalisée sur le titre SIAT Gabon en date… du 15 octobre. Il s’agit pourtant d’un point crucial, car pour exister et apparaître sur les écrans radars des investisseurs institutionnels internationaux, la liquidité est primordiale. Non pas une option, mais une nécessité pour ces opérateurs financiers dont les actifs sous gestion se mesurent le plus souvent en centaines de millions, si ce n’est en milliards de $, et pour qui la capacité d’entrer et de sortir aisément d’une grosse position est déterminante. A l’heure de la mondialisation financière, de la libre circulation des capitaux et de la recherche du rendement supérieur sur toutes les places financières émergentes de la planète, elle est souvent LA question que les gérants se poseront avant de considérer une place boursière : liquidité ou pas ? Y répondre par la négative revient dès lors à être ignoré des grands fonds d’investissement internationaux… et à demeurer pour longtemps une petite bourse exotique à la périphérie de la planète Finance. Un cercle vicieux qui reste pour l’heure le lot commun des bourses régionales de la zone CFA.
Freins institutionnels et culturels : à quoi attribuer ce retard de la zone CFA ? De nombreux observateurs relèvent fort justement que la réglementation boursière des deux bourses régionales à jusqu’à présent été peu favorable aux petites sociétés à fort potentiel de croissance et qu’il n’y a par exemple pour l’heure pas de segment réservé aux PME. Un comble quand on sait que ces dernières constituent une proportion écrasante du tissu entrepreneurial des communautés économiques régionales de l’UEMOA et de la CEMAC. Une rigidité que cherchent précisèment à éviter nombre d’autres places boursières du continent, notamment dans les pays anglophones (Kenya, Tanzanie, Ghana, Nigeria, Afrique du Sud), en mettant en place des dispositifs allégés d’admission à la cote pour les petites et moyennes entreprises. L’origine du blocage serait-elle alors d’ordre culturel ? L’explication par le prisme de la culture devrait toujours être envisagé avec circonspection, mais c’est un fait que nombre d’acteurs du monde de la Finance, familiers des deux aires linguistiques, mentionnent souvent ce point. Ainsi, interviewé récemment[1] par Financial Afrik, Pierre Célestin Rwabukumba, le coordinateur francophone de la très anglophone place rwandaise du Kigali Stock Exchange relevait, en parlant de la possibilité de faire appel à l’épargne public via la bourse, « …que le problème pour les sociétés dans nombre de pays africains n’était pas le financement proprement dit, mais la manière de se financer », ajoutant « …que les dirigeants d’entreprise de la vieille génération (souvent de culture francophone) préféreraient presque toujours avoir affaire à leur banquier plutôt qu’à une assemblée générale d’actionnaires, contrairement à leurs confrères kényans ou ougandais (anglophones)». En un mot comme en mille, épargnants tout autant que chefs d’entreprise des pays francophones envisagent encore trop souvent la bourse comme un choix subsidiaire.
Blocages politiques : Sans parler des difficultés politiques, qui ont parfois profondèment affecté le bon fonctionnement des bourses régionales. Dans l’UEMOA d’abord, où la BRVM d’Abidjan aura souffert pendant près d’une décennie du contrecoup de la crise ivoirienne, la locomotive économique de l’Union (1/3 du PIB de la communauté). Dans la zone CEMAC ensuite, où les bisbilles incessantes entre le Cameroun, déjà bénéficiaire d’une bourse des valeurs à Douala, et le Gabon, siège de la BVMAC, n’a cessé d’empoisonner le dossier de la bourse régionale. Résultat : la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale vivote toujours depuis son lancement, car le Cameroun ne se résout pas à fusionner le Douala Stock Exchange avec son homologue de Libreville. Une querelle de clocher très mal vue des acteurs de la scène financière régionale, et qui contribue plus que tout à faire de la BVMAC une coquille vide.
Un avenir qui reste à écrire
On l’aura bien compris, la brève histoire des bourses régionales de la zone CFA a souvent été difficile et peu glorieuse. Mais comme toute histoire, rien n’est jamais écrit d’avance et l’avenir pourrait s’avérer au final meilleur que prévu. Avec la reprise de l’activité économique en Côte d’Ivoire, la Bourse d’Abidjan a repris des couleurs : les volumes de transactions entre 2011 et 2013 ont plus que doublé et l’indice BRVM Composite s’est apprécié de près de 25% depuis le début de l’année. De même, la direction de la BRVM, qui dispose depuis peu d’un nouveau système de cotation en continu[2], a annoncé que 9 nouvelles entreprises rejoindraient prochainement la cote et qu’un compartiment dédié aux PME serait lancé courant 2014. Des déclarations à prendre au conditionnel et à confirmer dans les faits, mais qui traduisent en tous les cas un changement de perspective bienvenu et ouvrent de nouvelles possibilités. De quoi peut-être enfin susciter l’intérêt d’un public plus large et attirer plus d’investissements étrangers. Quant à la BVMAC, elle a finalement réussi, après bien des remous et malgré le boycott assumé de la Commission des Marchés financiers du Cameroun, l’introduction en bourse de l’entreprise agroalimentaire Siat Gabon[3]. Une victoire à la Pyrrhus, mais une victoire quand même. Reste à transformer définitivement l’essai et à capitaliser sur la durée. Les conditions nécessaires à la réussite sont connues : stabilité macroéconomique, renforcement de la culture actionnariale et surtout volonté politique d’oeuvrer à la réussite du projet d’intégration. Un défi ardu, mais le jeu en vaut la chandelle. Une Bourse régionale qui fonctionne, c’est la promesse de possibilités élargies d’investissement pour les épargnants et d’opportunités nouvelles pour les entreprises et Etats à la recherche de capitaux. En finance comme ailleurs, le tout est souvent bien plus que la somme des parties. Gageons qu’après les premières années d’apprentissage, les bourses régionales de la zone CFA auront retenu la leçon, armées tout autant de lucidité vis-à-vis de leur passé que de confiance raisonnable en l’avenir.