Le communiqué, daté du 8 janvier 2014, tient en deux phrases: « Le Groupe Ecobank Transnational Incorporated (ETI) annonce que Madame Laurence do Rego, Directrice Exécutive du Groupe, Finance et Risque ne fait plus partie des effectifs de l’entreprise à compter de ce jour ». La sécheresse du texte signé de la direction de la communication témoigne à la fois de l’âpreté et de la délicatesse de ce dossier. Rappel des faits:
Rappel des faits et principales dates de l’affaire Ecobank
-16 Juillet 2013. Selon le Financial Times, le président du conseil d’administration d’Ecobank, le nigérian Kolapo Lawson n’a pas remboursé un montant de 1,6 milliards de nairas à AMCON (Asset Management Corp of Nigeria) , le fonds d’asset management mis en place par le Nigeria pour nettoyer les bilans des banques. La dette est portée par Agabara Estate, société de promotion immobilière administrée par le président d’Ecobank. L’ébruitement de cette affaire fragilise le PCA d’Ecobank.
-Le 18 juillet 2013: Ecobank publie un communiqué indiquant que les questions soulevées par le FT avaient été traitées au préalable par le Conseil d’administration de ETI.«Il n’existe aucun prêt personnel entre Ecobank et Monsieur Lawson. Il existe en revanche, entre certaines sociétés dont Monsieur Lawson est administrateur, et Ecobank, des relations d’affaires, de sorte que l’une de ces sociétés bénéficie d’une facilité de crédit auprès de la banque. Il s’avère non seulement que l’échéancier de remboursement de ces emprunts n’est pas arrivé à échéance mais qu’en outre, ces emprunts sont garantis », lit-on notamment dans ce communiqué.
-6 et 12 août 2013: Le Conseil d’administration d’Ecobank a décidé de ne pas se séparer de son président, Kolapo Lawson, en dépit de vives préoccupations exprimées sur certaines de ses activités par les actionnaires sud-africains. “Je suis heureux que nous ayons été en mesure de tirer un trait sur cette affaire”, commente Kolapo Lawson, président du conseil d’administration d’Ecobank. Commentaires du vice -président, André Siaka: « Kolapo Lawson a été un fidèle serviteur de Ecobank depuis de nombreuses années et a été un contributeur majeur à son succès continu. Nous sommes heureux de réitérer à l’unanimité notre soutien total à M. Lawson et à son leadership et nous nous réjouissons de recentrer notre priorité sur la poursuite du succès remarquable de Ecobank ».
–19 août: Financial Afrik révèle en exclusivité la mise à l’écart de Laurence Do Rego au cours d’un conseil d’administration tenu à Lomé qui prendra parfois les allures d’un procès soviétique.
–29 août 2013: révélations explosives sur le « bonus de Thierry Tanoh, actuel directeur général. Lors du conseil d’administration tenu àKigali (Rwanda) la ligne historique d’Ecobank commence à réclamer le départ de Lawson et du directeur général, fragilisé par un super bonus de 1,14 millions. Ce montant est, selon la directrice financière, de 935 967 dollars au dessus de ce qu’il était en devoir de toucher selon son contrat. Celà alors que d’autres membres du conseil se sont vu coupés leurs bonus.
4 septembre: Dans un courrier électronique adressé aux employés d’Ecobank, le directeur général, Thierry Tanoh, annonce renoncer à son bonus 2012. Cette décision intervient suite à la polémique née des révélations deLaurence Do Rego, directrice financier en charge du contrôle des risques.
7 septembre: Dans une interview accordée à RFI et à Jeune Afrique et retransmise le samedi 7 septembre, à la veille de l’audition deLaurence Do Rego(ancienne directrice Finance du groupe qui a révélé des actes de mauvaise gouvernance au sein de la banque, impliquant le PCA et le DGA),le directeur général d’Ecobank, Thierry Tanoh, ne mâche pas ses mots: « Dans le cadre d’une restructuration que je voulais faire au niveau du management, une des personnes avec qui je travaille a fait un certain nombre d’allégations. Celles-ci doivent être traitées de manière très sérieuse. […] Je les nie en bloc. […] « Voir ce qu’il a dit au sujet de son bonus
-12 septembre:Le conseil d’administration d’Ecobank n’a pas écouté l’appel du leader Gervais Koffi Djondo, président d’honneur et fondateur de la banque, demandant le départ du président du conseil d’administration, Kolapso Lawson, nigérian, homme d’affaires prospère, mis en cause en même temps que le directeur général, Thiery Tanoh, par l’ancienne directrice financière, Laurence Do Rego, aujourd’hui suspendue.
–29 octobre: Le président du conseil d’administration d’Ecobank, Kolapo Lawson, a accepté de présenter sa démission, mardi 29 octobre 2013. C’était suite à une entrevue avec des administrateurs et personnalités historiques de la banque. Une info donnée en exclusivité par Financial Afrik. Kolapo Lawson est remplacé par André Siaka.
-8 janvier 2014: annonce du départ de Laurence Do Rego.
Un commentaire
Le 13 octobre 2013, je vous confiais mes réflexions sur la gouvernance bancaire en Afrique sur vote site préféré. Je concluais ainsi : « Eviter l’abus qui résulterait d’un usage excessif de l’autorité. S’affranchir de laxisme, qui pourrait naître d’une trop grande mollesse des actes. Tels sont les gages, nous semble-t-il, de lendemains plus apaisés pour la gouvernance des banques africaines. Pour que l’Afrique ne reste pas à la marge de l’évolution du monde, il faut que les africains s’abonnent définitivement aux belles pages de la gouvernance : oui à la culture de l’exemplarité, non au culte de la personnalité. Ainsi à l’heure des comptes, on décomptera moins de mécomptes et de spectacles désopilants. »
L’Union Africaine a organisé plusieurs sommets, forums et autres rencontres. Il reste une rencontre, essentielle, qui mérite d’être (au plus haut niveau et déclinée à des niveaux plus techniques) spécifiquement autour du secteur bancaire. L’Europe a compris que la seule façon de sortir durablement de la crise était de construire une « union bancaire ». Au moins le fait pour nous d’être les derniers (oui l’Afrique est le continent le plus pauvre de la planète Terre et paradoxalement l’un des plus riches) doit servir à quelque chose : celle de bénéficier de la courbe d’expérience de nos devanciers et de faire l’économie de leurs erreurs et de leurs atermoiements.
Vous avez donc compris que le secteur bancaire africain qui n’est que l’anti-chambre de l’économie du continent a un seul problème : la gouvernance. Depuis quelques mois, Ecobank est sous les feux des projecteurs médiatiques. Je crains fort que d’autres institutions bancaires aux mensurations plus importantes ne soient plus affectées. Un adage africain me résume : « Tous les chats fouillent dans les poubelles. Mais seuls les chats imprudents tombent dedans. »
Il est temps, et même grand temps, que les africains montrent qu’ils ont la volonté de maîtriser le facteur temps et qu’ils travaillent dans la durée. En Afrique, soit au niveau global ou individuel, de bons démarrages sont amorcés, tout de suite salués et propulsés, sans aucune retenue, par une cour d’encenseurs. Les rares personnes qui osent à peine émettre des avis contraires sont huées et conspuées au mieux, sinon remerciées ou embastillées. A la première crise, les courtisans détalent. Le dirigeant si adulé se retrouve tout seul face à son destin. La foule des grands jours disparaît comme une barre de glace qui fond au soleil.
L’Afrique ne pourra jamais se développer si elle ne dispose pas d’institutions bancaires fortes, résilientes dotées d’un pilotage avec un ancrage local réel. Pour ce faire, notre continent a besoin de champions bancaires capables de porter haut, très haut, les ambitions continentales et animés par des femmes et des hommes de qualité. Ecobank a su prouver durant sa jeune existence sa capacité à être une vraie banque panafricaine : une banque créée par des africains et gérée par des africains. Comme le semble indiqué le rapport KPMG il faut que la stratégie s’inscrive dans la durée (30 voire 50 ans) et s’affranchisse de la pression des chiffres (positionnement, taille, poids,…). Cette identité panafricaine réaffirmée et revendiquée par les fondateurs et propriétaires du groupe ne peut pas être un fleuve tranquille dans une Afrique en prise au doute de ses enfants et à la main mise de l’extérieur. Les accidents de parcours doivent s’inscrire dans cette compréhension.
Face aux enjeux, il y a une double interpellation :
– Les actionnaires et dirigeants du groupe doivent continuer à faire preuve de tenue et de retenue. Ils doivent profiter de cette crise pour solidifier la gouvernance. En un mot, l’avenir de Ecobank doit transcender les ambitions personnelles.
– Le personnel du groupe doit continuer à faire preuve d’une mobilisation exceptionnelle autour de la marque et des valeurs incarnées par les fondateurs. L’Afrique a besoin de Ecobank pour se construire. Et Ecobank a besoin de l’Afrique pour se développer.
Je vous ai promis sur Twitter un livre sur les « Fables de la gouvernance bancaire en Afrique ». Le manuscrit est en cours de finalisation. Des extraits vous seront bientôt proposés sous forme de « Chroniques bancaires » retraçant mon expérience personnelle et celle d’autres confiée au feu de bois.