Si le père fondateur de la Tanzanie, Julius Nyerere, était encore vivant aujourd’hui, il serait surement revenu sur son discours, prononcé en 1965, au cours duquel il a déclaré que : « ce n’est pas la politique de la Chine du tout », d’instrumentaliser son aide économique afin d’exploiter les Africains.
Erick Kabendera*
Plus de 50 ans après, les Chinois ne cherchent plus une voie ferroviaire pour relier la ceinture de cuivre zambienne avec la côte tanzanienne. Mais ils sont toujours là et sont engagés actuellement dans un processus de recherche effréné d’approvisionnement en ressources naturelles pour leur pays.
Des investissements comme les 532 km de gazoduc reliant les gisements de gaz en Tanzanie du sud à la plus grande ville du pays (Dar es-Salaam) – financé par la banque publique chinoise d’Export – Import à hauteur de 1,2 milliards $ – montrent que les Chinois sont ici pour rester longtemps.
Au cours des derniers mois, le pays a découvert certaines choses sur les opérations chinoises en Tanzanie. Il s’agit notamment d’une forte implication dans le braconnage des éléphants ; la présence d’hommes d’affaires chinois introduits aux points de sécurité des aéroports sans inspection ; des gourous des affaires chinois signant directement un accord pour la réparation d’un aéroport en échange du droit d’exploitation d’un site minier ; et les allégations de l’ONU au sujet des entreprises chinoises pratiquant la contrebande d’or provenant de la RDC à travers Dar Es-Salaam avec l’aide de douaniers corrompus.
En plus de cela, le parti communiste chinois semble renouveler sa relation étroite avec le parti au pouvoir en Tanzanie (le Chama Cha Mapinduzi, CCM), aux affaires depuis l’indépendance du pays en 1961, dans le but que celui-ci infléchisse les décisions publiques d’investissements et d’affaires en faveur de la Chine.
Non seulement la fréquence des visites de représentants de la CCM à la Chine, et vice versa, a augmenté, mais l’ambassadeur de Chine, Lu Youqing, a été l’année dernière jusqu’à accompagner les responsables de la CCM dans une tournée régionale à Shinyanga où, lors d’un rassemblement public, il a plaidé pour un soutien continu au parti au pouvoir afin de mettre en œuvre son programme électoral.
Alors que le gouvernement insiste sur le fait que le gazoduc contribuera à réduire les pénuries d’électricité, beaucoup de doutes planent sur le coût réel du projet, et sur la capacité des contribuables tanzaniens à rembourser le prêt finançant le projet (apparemment trop cher).
Comme de coutume sur le continent, les contrats signés entre les gouvernements chinois et africains sont classés top-secret. Même les députés locaux n’ont pas eu accès au contrat pour la construction du pipeline.
Un comité de surveillance parlementaire des comptes publics a convoqué la Société Tanzania Petroleum Development (TPDC), une entité para-étatique responsable de la mise en œuvre des politiques d’exploration et de développement pétroliers au nom du gouvernement, de lui fournir les contrats signés l’an dernier, mais la société a déclaré que son ministère de tutelle, celui de l’énergie et des minéraux, les avait encore en sa possession. Avant même que le comité convoque le ministère pour fournir le contrat, le bureau du Président serait intervenu pour arrêter le mouvement.
On estime à 2 milliards de dollars le montant des prêts fournis l’an dernier seulement par le gouvernement chinois pour financer divers projets, allant de la construction d’un centre de congrès à un système d’information du gouvernement.
Pourtant , ce manque de transparence a suscité des rumeurs dans les couloirs politiques et parmi les observateurs intéressés, selon lesquelles deux blocs de gaz naturel – à l’origine réservés à la TPDC pour expérimenter différentes approches d’exploration – pourraient être attribués à des entreprises chinoises en dehors de tout processus d’appel d’offres.
Ces épisodes, ainsi que le niveau de la corruption politique et l’impunité dans le milieu, poussent beaucoup de Tanzaniens ordinaires à se demander si les nouvelles découvertes d’hydrocarbures aideront les Africains à réduire la pauvreté et finalement leur éviter les « bols de mendicité ». À la lumière du secret entourant les contrats signés entre les pays africains et les multinationales, il est clair que les paysans pauvres ordinaires seront les plus lésés, bien plus que les dirigeants politiques qui signent de tels accords en privilégiant leurs propres intérêts.
C’est pourquoi en ce moment il est important que nous connaissions les noms des politiciens et des fonctionnaires qui ont caché de l’argent dans des paradis fiscaux sécurisés et des comptes bancaires suisses.
Les dirigeants politiques et les technocrates qui voyagent en Chine pour signer de tels contrats peuvent négocier un accord, se remplissent les poches et demandent de l’aide à la Chine pour mettre le butin dans un compte bancaire à l’étranger.
Cela ne veut pas dire que les pays occidentaux et leurs grandes entreprises, venant investir dans l’exploration et le développement du gaz naturel, sont totalement innocentes. Loin de là! Les récentes allégations de corruption auxquelles sont confrontés les investisseurs britanniques en hydrocarbures, malgré la signature des lois anti-corruption les plus rigoureuses dans leur pays, ont laissé les gens se demander si leur motivation est différente de leurs grands-pères dont les activités déshumanisantes dans le passé ont déjà laissé le continent saigner.
La clé du débat est la question de savoir si la Chine est un meilleur ami pour l’Afrique que l’occident. Ce point doit maintenant être correctement débattu surtout que les populations se tournent vers leurs dirigeants afin d’utiliser les ressources nouvellement trouvées et réaliser une transformation historique de leur pays.
Erick Kabendera est un journaliste d’investigation indépendant
Publié en collaboration avec LibreAfrique.org