Après un périple qui l’a conduit, du 18 février au 5 mars, à Bamako, Abidjan, Conakry et Libreville, le Roi du Maroc rentre au bercail avec plusieurs protocoles d’accords et la consolidation de la place du royaume, premier investisseur en zone UEMOA et CEMAC et acteur incontournable dans la médiation et la résolution des conflits. Enjeux.
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(Photo: Le Roi Mohamed VI s’essaye à la Kora en compagnie du virtuose malien Toumani Diabate )
Le discours du Roi Mohammed VI prononcé en Côte d’Ivoire résume le point de vue royal sur la marche du continent : «L’Afrique ne doit pas rester otage de son passé, ni de ses problèmes politiques, économiques et sociaux actuels », a-t-il notamment déclaré. «Si le siècle dernier a été celui de l’indépendance des Etats africains, le XXIe siècle devrait être celui de la victoire des peuples contre les affres du sous-développement, de la pauvreté et de l’exclusion ». Et d’affirmer encore : «il n’y a plus de chasse gardée en Afrique .
Ainsi se résume la vision africaine de celui, qui en accédant au trône en juillet 1999 a réussi, dix ans plus tard, à combler le gap des infrastructures et à initier un plan émergence multisectoriel qui a permis d’accélérer la modernisation de son pays.
L’ouverture vers l’Afrique est dictée par des considérations externes mais aussi internes. La balance commerciale du Maroc affiche un déficit de 125 milliards de dirhams (12 milliards d’euros ou 7500 milliards de FCFA). D’où la stratégie de la diversification économique vers l’Afrique et de la réduction d’une euro-dépendance qui a vu la part du vieux continent reculer de 74 à 60% dans les exportations marocaines entre 2002 et 2012.
L’on notera dans ce sens que le Roi Mohammed VI a entrepris deux périples africains en moins d’un an (en février 2013, il avait été au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon), assisté à l’investiture du président malien, Ibrahima Boubacar Keita, en septembre 2013 et reçu, à la demande malienne, le secrétaire général du Mouvement national de libération de l’Azawad, le 31 janvier 2014 à Rabat.
Pendant longtemps zone d’influence libyenne et, dans une moindre mesure, algérienne, le Sahel et sa géopolitique compliquée constitue le prolongement naturel d’un Maghreb en panne d’unité à cause du différend maroco-algérien. Alors qu’Alger est tout mobilisé pour le quatrième mandat du président Bouteflika, Rabat conforte ses positions au risque d’effaroucher les vieux gardiens de l’Afrique. Est-ce un hasard que le patron du contre-espionnage marocain, ait essuyé une convocation à Paris de la part d’une ONG inconnue au bataillon en pleine tournée royale, s’interroge-t-on dans les milieux familiers aux rapports maroco-africains ?
Même si Rabat inscrit sa stratégie économique dans une sorte de triangle Europe-Maghreb-Afrique subsaharienne, aux complémentarités logiques, certains de ses investissements viendront bousculer des bastions français. La concurrence entre Rabat et Paris ira donc crescendo.
Dans la première étape de ce périple, au Mali, quelques 600 hommes d’affaires ont accompagné le souverain chérifien dans ce voyage d’amitié aux dimensions géopolitiques indéniables. La plupart des capitales visitées ont réaffirmé leur soutien au plan d’autonomie du Sahara Occidental, solution de sortie de crise présentée par le Maroc et rejetée par le Polisario et son grand soutien algérien.
De ce point de vue, l’étape malienne aura été sans doute la plus importante durant ce voyage. Certes, le président Ibrahima Boubacar Keita n’a pas retiré la reconnaissance du Polisario, héritage des régimes précédents, mais il a fait des déclarations claires et affirmé son soutien à la proposition marocaine, ce qui, de l’avis des analystes, marque un tournant. La sortie de Bamako du giron algérien et libyen est en marche avec ses implications à relier au dossier Azawad. Désormais protégé de son encombrant voisin algérien et des incursions des groupes armés «maghrébins », Bamako est en train de réévaluer sa position à la lumière des forces militaires en présence. Hormis le Mali, tous les autres pays visités ne reconnaissent pas la RASD. Sur le plan économique, de nombreux accords ont été signés entre hommes d’affaires marocains et subsahariens.
Parmi les grands bénéficiaires des accords signés lors de ce périple, le cimentier CIMAF (Ciment d’Afrique) qui construira deux unités au Mali et au Gabon, étoffant un peu plus son réseau africain. Parallèlement, des conventions de construction de logements sociaux ont été signées entre le groupe Addoha (du même groupe que CIMAF) et des opérateurs privés maliens. Les acteurs bancaires ne sont pas en reste. La Banque marocaine pour le commerce extérieur (BMCE –Bank), actionnaire majoritaire de la Bank of Africa, a annoncé l’acquisition d’un important acteur de l’assurance présent dans plusieurs pays de la région, dont la Côte d’Ivoire. Les informations font état de Beneficial Life (Cameroun). A noter que la BMCE Bank et Attijariwafa Bank réalisent plus de 35% de leurs RNPG en Afrique.
Ce voyage coïncide avec la campagne de la Royal Air Maroc intitulée «Royal Air Maroc, naturellement africaine ». Avec 27 destinations desservies, la compagnie chérifienne réalise la plus grande partie de son chiffre d’affaires sur le continent. Autre groupe marocain intéressé par l’Afrique, l’Office chérifien des phosphates (OCP), leader mondial dans son domaine, et qui cherche à diversifier son offre orientée traditionnellement vers l’Inde et le Pakistan. La production d’engrais et de fertilisants destinés à l’Afrique fait désormais partie de la stratégie du groupe. Dans ce cadre, une usine d’ammoniaque à base de gaz naturel sera implantée au Gabon et une autre de phosphate au Maroc (cette dernière coûtera 600 millions de dollars et produira 1 million de tonnes par an) . L’ammoniaque fabriquée au Gabon sera transportée au Maroc par bateau. Le mélange des deux produits donnera de l’engrais agricole. « Il y a un paradoxe : l’Afrique a aujourd’hui plus de 80% des réserves mondiales en phosphate et importe des engrais », a déclaré en substance Mostafa Terrab, PDG de l’Office chérifien des phopsphates (OCP) à Bamako.
Adama Wade