Ces dernières années, la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des banques qui travaillent en Afrique se développe. Sur le continent, les secteurs mines, pétrole et gaz, l’énergie et la construction font l’objet d’une vigilance accrue.
Christelle Marot, Paris
Sous la pression des bailleurs internationaux, des groupes de pression environnementaux et d’organisations de défense des droits humains, face aussi à l’émergence d’une classe moyenne africaine de près de 300 millions de consommateurs, de plus en plus d’opérateurs économiques et financiers travaillant sur le continent africain intègrent la notion de responsabilité sociale et environnementale. « Le continent est courtisé, en plein développement. De plus en plus d’investisseurs positionnent la RSE comme un élément de compétitivité, une valeur ajoutée. C’est la carte notamment que jouent les Occidentaux contre les investisseurs chinois », explique Thierry Téné, cofondateur de l’Institut Afrique RSE.
Les entreprises se battent sur les prix, mais aussi sur les valeurs. Dans le même temps, les banques et les bailleurs de fonds demandent désormais que les entreprises soumissionnaires intègrent une démarche RSE. Car ne pas traiter suffisamment les problématiques sociales et environnementales exposent aujourd’hui les entreprises et leurs partenaires financiers à des risques de réputation, à des risques opérationnels et de cohésion du capital humain. Les plaignants, le plus souvent des communautés villageoises, appuyées par des ONG internationales, peuvent ainsi saisir les points de contacts nationaux de l’OCDE (PCN, instance nationale chargée de mettre en œuvre les principes directeurs). « Et les entreprises quand elles sont convoquées, la publicité, elles n’aiment pas trop cela », pointe Thierry Téné.
Depuis 2010, la banque française BNP-Paribas a adopté sept politique sectorielle RSE. La dernière concerne le secteur minier et date de juillet 2013, une politique qu’elle a mis plus d’un an à bâtir. Dans le monde, l’industrie extractive reste l’un des secteurs les plus critiqués pour ses impacts négatifs sur les travailleurs, les populations locales et sur l’environnement. « Nous refusons de financer les projets miniers qui se situent au sein d’une zone de conflit armé actif, qui font appel au travail des enfants ou au travail forcé, qui ne sont pas menés en conformité avec les critères définis par l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la santé et la sécurité dans les mines », prévient Elisa Vacherand, chargée de mission à la délégation RSE du groupe BNP-Paribas. « Nous excluons les mines artisanales et les exploitations minières de petite échelle, tout comme nous refusons de financer des projets miniers qui ne disposent pas d’un plan de gestion de la santé et de la sécurité ou d’un historique de ces problèmes dans le cas de l’extension d’un projet existant. Ce sont des critères sociaux obligatoires », ajoute la chargée de mission.
Outre les critères obligatoires sociaux et environnementaux, la politique de BNP-Paribas retient des critères d’évaluation, qui portent sur l’embauche des populations locales, sur la prise en compte des griefs formulés par les riverains, sur les mécanismes de compensation prévus pour les communautés déplacées… Des éléments de diligence raisonnable sur lesquels la banque française essaie de peser.
Groupe bancaire panafricain, Ecobank a développé une stratégie RSE affichant clairement la volonté de contribuer au développement durable de l’Afrique, en intégrant les questions communautaires et environnementales dans ses activités. « Nous sommes particulièrement vigilants dès lors que les entreprises clientes opèrent dans l’énergie, le secteur pétrolier et gazier, les mines, l’immobilier et l’industrie manufacturière », indique Musa Salah, en charge de la RSE chez Ecobank.
A l’instar des autres institutions bancaires, Ecobank a établi une liste de critères exclusifs. Outre les activités illégales classiques, on retrouve ainsi l’interdiction de financer des activités et campagnes politiques, la pêche aux filets dérivants de plus de 2,5 km ou encore les activités de casino et jeux de hasard. En matière de RSE, la banque panafricaine articule sa stratégie autour de la transformation de l’économie, de la protection des ressources naturelles, de l’attractivité du capital humain et de la finance socialement responsable. Elle se veut particulièrement attentive aux défis à relever en matière de précarité, de maladies, de corruption et d’éducation. En partenariat avec les agences des Nations unies et des organisations non gouvernementales, Ecobank travaille ainsi à ce que les populations dans les zones rurales et péri-urbaines ne soient pas exclues des services bancaires. Au niveau environnemental, la banque panafricaine siège au Comité national pour le changement climatique au Ghana ainsi qu’au Comité technique pour le changement climatique au Malawi.
Les bailleurs internationaux ne sont pas en reste. Fin 2013, la Banque africaine de développement (BAD) a décidé que ses emprunteurs devraient respecter les normes fondamentales du travail de l’OIT (Sauvegarde opérationnelle 5). Les emprunteurs devront aussi fournir des informations écrites à leurs travailleurs sur leurs conditions de travail et leurs droits, se conformer aux normes fondamentales de santé et sécurité professionnelles et assumer la responsabilité des conditions proposées aux travailleurs des sous-traitants. La BAD a annoncé qu’elle élaborerait des procédures d’évaluation et un système de traçage pour rendre possible le suivi de la mise en œuvre des nouvelles exigences. La BAD suit ainsi l’exemple des exigences de performance de viabilité sociale et environnementale adoptée en 2006 par la Société financière internationale (Banque mondiale).
Mais au-delà des intentions louables, quel est l’impact de ces politiques RSE des banques et des bailleurs sur le comportement des entreprises ? Quels sont les moyens de contrôle ? « Aujourd’hui, BNP-Paribas écarte les moins bonnes pratiques et encourage ses clients à employer et adopter une démarche exemplaire en matière de RSE. Pour autant, le lien entre risques extra financiers et risques financiers n’a pas été encore établi sur ce secteur », souligne Elisa Vacherand. Dans les zones à faible gouvernance, caractérisées par des violences et la corruption, mettre en place des politiques responsables qui respectent les droits de l’homme n’est pas une mince affaire, relève Vigeo, cabinet d’audit et de notation RSE.
Dans un rapport sur les investissements agricoles, publié fin 2013, le CCFD-Terre solidaire critique certains investissements réalisés les agences de développement. Notamment le financement par Proparco, filiale de l’Agence française de développement, de la Socapalm, producteur d’huile de palme au Cameroun. Les pratiques de la Socapalm, filiale de Socfin, entreprise enregistrée au Luxembourg, ont été dénoncées par quatre associations pour non-respect des Principes directeurs de l’OCDE. Des manquements également pointés dans le rapport rendu par le PCN en juin 2013. « Aujourd’hui, après que le PCN ait rendu son avis, Proparco maintient toujours sa participation au sein de la Socapalm. On attendrait de l’institution qu’elle aille au bout de sa démarche de RSE et utilise cette participation, même minoritaire pour poser des exigences accrues à l’égard de la Socapalm », relève le CCFD-Terre Solidaire.
Cet article est paru dans Financial Afrik numéro 4 du mois de février 2014