Comme Stéphane Hessel (photo), les 80 délégations africaines et européennes qui se retrouvent à Bruxelles auront-elles le pouvoir de s’indigner? Encore un sommet Europe-Afrique pour la routine et le folklore?
Adama Wade
Au delà de son programme lourd et chargé, le sommet Afrique -Union Européenne qui s’ouvre les 2 et 3 avril 2014 à Bruxelles présente deux objectifs contradictoires. Côté européen, il s’agit de renforcer les positions économiques du vieux continent sur son vassal qu’il domine et exploite depuis 700 ans. Côté africain, le maître mot reste le rééquilibrage juridique des rapports et le passage, effectif, de la tutelle au partenariat.
En récession depuis 2008, l’Union Européenne cherche à sécuriser les marchés africains, débouchés « naturels » de ses exportations de biens et services. En forte croissance depuis 2002 grâce au double boom des matières premières et des capitaux, l’Afrique cherche à transformer son économie et son tissu culturel et social à travers l’industrialisation et l’intégration régionale et continentale. Il faut l’admettre, le développement d’un tissu industriel africain compétitif fait peur dans les milieux d’affaires européens qui craignent la perte des marchés captifs, débouchés historiques de leurs exportations de biens et de services.
Deux options pour l’Europe
Or, comment concilier les positions? En perte de vitesse sur le continent face aux entreprises asiatiques et sud-américaines, l’Union Européenne voit deux options s’ouvrir devant elles: la perpétuation de la domination ou l’avénement du partenariat. La première option consisterait à travers des mécanismes d’intervention (Banque Européenne d’Investissements, cadres d’appuis budgétaires, aides bilatérales en général) à obtenir des accords avantageux avec un continent morcelé en plusieurs micros Etats dont la souveraineté financière et politique est réduite par l’Eurodépendance budgétaire.
La deuxième option consiste à accepter un destin commun entre ces deux continents en permettant aux millions de jeunes africains et de jeunes européens de profiter des opportunités offertes sur les deux rives de la Méditerranée selon les mêmes régles et les mêmes conditions, fermées ou ouvertes. En clair, il s’agit d’ouvrir les frontières, partiellement ou totalement, dans les deux sens. De permettre le droit d’établissement dans les deux sens. De garantir la libre circulation des biens et des marchandises dans les deux sens. De permettre la circulation des personnes dans les deux sens.
Il est aisé de voir que la première option (perpétuation de la tutelle) est rationnelle et que la deuxième (partenariat d’égal à égal) est, en ce moment, au vu des rapports de force, d’ordre moral et humanitaire. Elle peut être transformée en option rationnelle si l’Afrique décidait réellement d’imposer la réciprocité juridique à l’Europe.
La première option est populaire en Europe, y compris chez les socialistes français et les socio-démocrates allemands. Comme d’ailleurs, elle l’est, chez l’extrême droite européenne. Cette première option préconise à l’Europe la fermeture des frontières tout en encourageant à l’Afrique l’ouverture des siennes. La forteresse contre la passoire. L’Europe dit à l’Afrique: « Nous vous envoyons nos chômeurs. Gardez les vôtres chez vous ».
Il est ainsi tout à fait naturel qu’un ministre africain désirant se rendre en Europe fasse la queue pour le visa et qu’un ouvrier de Renault se rendant dans la côte touristique de Sally soit accueilli en sauveur du tourisme sénégalais. Quand le président Macky Sall a voulu appliquer le principe du visa symbolique, les critiques sont venues de l’industrie hôtelière sénégalaise qui n’ignore pas cependant que les premières destinations touristiques au monde sont les USA et la France, deux pays qui appliquent les visas à la plupart des touristes arrivant à leurs frontières. Nous devons l’accepter: la dignité a un prix. La dignité est de l’ordre du rationnel lorsqu’elle ne consiste pas en la négation de l’autre, mais s’inscrit en droite ligne de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Une seule option pour l’Afrique
Contrairement à l’Europe, l’Afrique, elle, n’a qu’une seule option à défendre: le partenariat d’égal à égal, qui consiste en une égalité juridique entre les agents économiques (individus, ménages, entreprises, institutions, pays) en transaction. Cette position africaine, compatible avec les objectifs de l’Union Africaine, et avec le désir du milliard d’africains d’accéder à la dignité économique et au partage des richesses, est aussi compatible avec son histoire en général et l’histoire des luttes pour l’émancipation de l’homme noir en particulier. La lutte contre la ségrégation raciale, animée par Rosa Park en Amérique, et Nelson Mandela en Afrique, doit se poursuivre à travers la lutte contre le visa unilatéral et le traitement discriminatoire qui ne sont que la perpétuation de la doctrine ségrégationniste, elle même issue du discours sur l’inégalité des races qui faisait fureur avant qu’Hitler, envahissant Paris sur la base de la supériorité de sa race, n’en démontre le péril. Cher lecteur, nous vous recommandons, dans ce sens, la relecture du discours sur le colonialisme du poète et homme politique Aimé Césaire.
En souvenir de tant de larmes versées, du Code Noir et du Code de l’Indigénat, nous avons le droit de nous indigner comme Stephane Hessel face à tout traitement rappelant directement ou symboliquement le souvenir de la colonisation. C’est pourquoi, le principe de la réciprocité, socle du droit international, ne doit pas être minoré par nos Etats africains qui se présentent à Bruxelles , hélas, dans leurs 54 souverainetés, agendas et égos.
Les Etats africains ont le devoir de poursuivre la longue lutte pour l’émancipation des peuples. Cette lutte qui reposait tout d’abord au tout début du 20e siècle sur la reconnaissance de l’africain en tant qu’être humain doit aujourd’hui se focaliser sur la libre circulation des capitaux mais aussi sur la libre circulation des personnes dans l’égalité et la dignité. Que l’on ne ferme donc pas les yeux sur le racisme de la police grecque dans son opération « Xenios Zeus » lancée depuis 2012 et dont les conséquences humaines et sanitaires sont aujourd’hui dénoncées par Médecins sans Frontières. Comment accepter aux portes de l’Europe, des détentions de 18 mois pour des personnes dont le seul crime est d’avoir osé immigrer comme l’ont fait autrefois des irlandais, des anglais, des français, des portugais et des espagnols? Il est certainement plus facile de jeter la pierre à Robert Mugabé que de se pencher sur les drames qui ont lieu devant la forteresse européenne.