L’un des enjeux du sommet Afrique -Union Européen, ouvert le 2 avril 2014 à Bruxelles, concerne les accords de Partenariat économique sensés remplacés la convention de Lomé de 1975 encadrant les rapports de l’Europe et des pays d’Afrique des Caraïbes et du Pacifique. Actualisé en 2000 par l’accord de Cotonou, cette convention doit muer en APE (accords de partenariat économique) qui consiste en fait en l’accès réciproque des marchés africains aux produits européens et des marchés européens aux produits africains. (A condition que ceux-ci, n’est-ce pas, respectent les normes phyto-sanitaires et industrielles européennes). (Caricature MWL.NL)
Sur le papier, la symétrie est parfaite. En réalité, il s’agit, sous couvert de l’OMC (qui n’ oblige aucun pays, territoire ou groupe de pays à signer des accords de libre-échange et qui peine à couvrir les barrières non tarifaires ) de pousser le continent à octroyer à l’Europe des entreprises un avantage comparatif en Afrique par rapport à la concurrence mondialisée. De par sa structure de coûts hypertrophiés par les charges salariales, sociales, et normatives, les entreprises européennes ne sont pas compétitives sur le continent.
Les entreprises européennes perdent du terrain en Afrique
Par exemple,la route reliant Pointe -Noire à Brazaville (600 km) attribuée à la China State Construction Engineering Corporation à la fin 2007 avec un financement de 577 milliards de FCFA fourni par la partie chinoise. En cinquante ans d’indépendance, c’est la première fois que l’on a pensé relier la capitale économique et la capitale politique de ce pays qui a fait les beaux jours des compagnies pétrolières européennes.
Toutes les pressions ont été usées lors de l’adjudication de ce marché. Dès l’ouverture du premier tronçon de cette route, une série de critiques , classiques, a pointé du doigt la qualité du revêtement. Quelques organes africains de presse ont fait le relais (souvent sans questionner le fond) en doutant des procédés chinois. Au lieu de critiquer les normes de l’entreprise chinoise qui cherche à maximiser ses profits (ce qui est légitime), ne faudrait-il pas s’interroger sur notre capacité à négocier de grands contrats et notre prédisposition à défendre l’intérêt général de nos pays?
Voici un deuxième exemple qui montre que les entreprises européennes auront du mal à être compétitives en Afrique sans le double effet de l’abaissement des barrières tarifaires en leur faveur et du relèvement des barrières non tarifaires (normes) sensées faire barrage aux Brésiliens, aux chinois, aux turcs et aux arabes etc. L’attribution du marché de l’autoroute entre Yaoundé et Douala, respectivement capitale économique et capitale politique du Cameroun. Revenu à la China First Highway Engineering en juin 2012, le marché est dénoncé par l’Union Européenne qui invoque depuis juillet 2012 une précipitation de la partie camerounaise et une non compétitivité de l’offre chinoise par rapport au coût marginal du km.
Le blocage persiste depuis bientôt deux ans. L’Europe qui avait proposé une subvention de 1,64 milliards de FCFA pour une étude de préfaisabilité et de faisabilité incluant la préparation d’un appel d’offres (où est la souveraineté technique et financière du Cameroun?) conteste (logiquement, seront-nous tentés de dire), l’issue finale de l’exercice.
Depuis quelques jours, nous apprenons que le choix de l’entreprise chinoise facilitée par le financement chinois ( Exim Bank of China, qui a accordé 241 milliards de FCFA à ce projet à un taux préférentiel, agit de la même manière que la BEI européenne ou l’AFD française en veillant à ce que ses financements octroyés profitent à son pays ) peut être remis en cause par l’adoption, complémentaire, d’une nouvelle norme, voisine selon les commentaires, de la norme française ou européenne sur les routes.
Attribué depuis le 28 juin 2012, ce marché n’a pas encore obtenu le feu vert du palais d’Etoudi. Le président Paul Biya hésite encore à signer, connaissant les enjeux politiques inhérents à de tels marchés. Signalons au passage que 30% des sous traitants seront des camerounais.
Combien de sous-traitants ivoiriens travaillent-ils donc dans le fameux pont Henri Konan Bedié, long de 1,5 km, et d’un coût de 126 milliards de FCFA? Socoprim (contrôlé à 49% par Bouygues et renfloué dernièrement à hauteur de 6 millions de dollars par le fonds sud africain Harif via son véhicule panafricain PAIDF) qui a obtenu du gouvernement ivoirien le marché de la conception, du financement, de la réalisation, de l’exploitation et de l’entretien de cet ouvrage sensé être livré au courant de cette année ne va pas agir mieux ou pire que l’entreprise chinoise. Sa raison d’être c’est de maximiser son profit et de verser des dividendes à ses actionnaires. Il revient aux gouvernements africains via des structures techniques désignées de veiller au respect de l’intérêt général.
Ces exemples peu représentatifs, sans doute, du grand marché africain, sont à compléter avec le cas du Mali, destinataire d’un engagement sans précédent des bailleurs réunis à Bruxelles en faveur de sa reconstruction. La main généreuse européenne s’est crispée dès que le Mali nouveau a voulu attribuer (voir notre article à ce propos) le projet du réseau national de sécurité à l’entrperise chinoise ZTE. L’accord que le gouvernement intérimaire s’apprêtait à signer avec Exim Bank (Chine) pour l’achat de 600 camions au profit d’opérateurs économiques a déclenché la crise. Sur ce cas-ci comme sur ceux d’autres, seul le gouvernement africain est sensé défendre l’intérêt général.
Ces fortes pressions sur nos Etats iront crescendo . Elles seront d’autant plus facilitées que l’Afrique reste une puissance diffuse, fragmentée et sans pouvoir scientifique, technique et juridique de négociations. Le sommet de Bruxelles illustre une fois de plus cette divergence des positions entre les chefs d’Etats africains. Certains se sont vu déployés le tapis rouge à leur arrivée. D’autres se sont vus imposés la composition de leurs délégations. Il y a ceux qui se sont excusés sous différents prétextes. Pire, il y a ceux qui ne sont pas invités.
Au final, c’est le sentiment de doute qui se dégage sur l’utilité d’une telle messe folklorique, coincée entre le sommet de l’UE sur l’Ukraine et entre la rencontre de l’Otan. En 2013, l’aide publique au développement accordé à l’Afrique a baissé pour la première fois depuis 1976. Et c’est pourtant, cette aide, aussi importante que les transferts des immigrés, qui occupe 80% du temps de nos dirigeants. Ils devraient davantage consacrer de temps à une exploitation saine de notre potentiel minier. Sur ce point, les négociations longues et difficiles entre Areva et Niger sonnent sans doute le réveil. Mais que peut un seul Etat africain face à la mondialisation?