Le Nigeria, conglomérat fédéral de 36 Etats et 744 gouvernements sur un territoire de 932 768 km2, rêve de rattraper l’Afrique du Sud. Encore une puissante drogue pour détourner tout un pays de l’essentiel? Car le Vrai Nigeria, humecté de pétrole et de gaz, est un pays riche aux habitants pauvres. Un pays où la malédiction du pétrole a laissé des traces profondes.
Adama Wade et ibrahima Dia, Lagos, avril 2014
Le Nigeria est à l’image de ses leaders. Du président Goodluck Jonathan qui rêve de déjouer la règle non écrite d’alternance entre le Nord et le Sud au pouvoir à travers une conférence nationale aux ambitions référendaires, à la ministre du pétrole, la belle et puissante Alison Madueke, invitée par les députés à s’expliquer sur son jet privé facturé au contribuable, en passant par l’ancien gouverneur de la banque centrale, Sanusi Lamido, limogé pour avoir dénoncé des détournements de plus de 20 milliards de dollars dans les comptes de la compagnie nationale de pétrole, la NNPC.
Bref, c’est un pays de contrastes gouverné par de fortes personnalités qui se neutralisent et ne tirent pas dans la même direction. A l’image d’Abuja, ville construite sur plan dans les années 80 par Ibrahima Babangida, ce géant africain de 170 millions d’habitants alterne le meilleur et le pire. Des belles villas de la nouvelle capitale, avec ses carrés verts, ses façades lucides et ultra-modernes aux longues queues devant les stations d’essence, aux incessantes coupures d’électricité et d’eau et aux groupes électrogènes sonores qui en rajoutent aux décors des marchés d’Abuja. Le meilleur côtoie le pire à l’aéroport d’Abuja, belle bâtisse dépourvue de tout, de restaurants, de free shop et même d’eau.
Le Nigeria c’est aussi le nigérian lambda qui rêve de coupe du monde et d’immigration. La psychose du groupe terroriste Boko Haram ne suffit pas pour altérer le calme de l’homme de la rue débrouillard à souhait comme Alex, étudiant en Sciences Politiques et taximan, qui a commencé au bas de l’échelle sociale en mangeant du foufou à la sauce huile de palme , et qui est parvenu à économiser 17 000 dollars en l’espace de 3 ans et demi. «Un jour, j’ai traversé la frontière, et j’ai acheté une voiture au Bénin», dit celui qui affirme préférer son carré de zinc dans les bidonvilles qui ont poussé tout autour d’Abuja aux appartements intramuros, inaccessibles pour le commun des mortels.
Avec un Smig de 11000 nairas en moyenne (80 dollars), le Nigeria n’offre à la plupart de ses jeunes, à défaut du travail précaire (qui relève du miracle), que le chômage ou l’immigration. A la mi-mars, 16 postulants à l’immigration à travers la National Immigration Service (NIS) trouveront la mort dans des bousculades monstres au stade d’Abuja. Ils étaient 125 000 candidats pour 4 500 postes de travail. Chaque postulant avait dépensé 1 000 nairas. La plupart sont repartis désillusionnés. La NIS, elle, a récolté un pactole de 6 milliards de Nairas dans cette opération où il y a eu mort d’hommes. Ainsi va le géant africain.
Ibrahim, vendeur de brochettes et de poulet, a vite renoncé au rêve de l’immigration qui devait, affirme-t-il, le conduire à ce stade d’Abuja. Son commerce lui procure un chiffre d’affaires journalier de 16 000 nairas en moyenne. Vivant dans l’informel, filet de sécurité d’un pays où les inégalités sont criantes, Ibrahima pense que le Boko Haram est une affaire entretenue par les hommes politiques qui ont mis son pays en coupe réglée.
L’intérêt de la presse pour le jet privé de la ministre du pétrole ne doit pas faire oublier que Mme Alison Madueke perpétue une tradition bien ancrée chez ses prédécesseurs, ainsi que chez les différents directeurs de la NNPC (celle-ci dispose actuellement de deux jets cloués au sol pour défaut d’entretien), et les gouverneurs de cet Etat fédéré. L’un des hobbies des leaders du Nord musulman est de faire l’Omra (petit pèlerinage) à bord d’un jet privé.
Tant de gaspillages et de sentiment d’impunité, d’improvisation politique et de risque accrus de déstabilisation sont des signaux négatifs envoyés à l’extérieur. A la mi-avril, l’agence S&P a révisé à négative la perspective de la note nigériane (BB-) en dépit des protestations du gouvernement fédéral et de la ministre des Finances, Ngozi Okonjo Iweala. Celle-ci, familière des méthodes des institutions de Bretton Wood et du système financier mondial en général, accuse S&P de manque d’informations et d’avoir agi pour juste se mettre jour par rapport aux exigences américaines qui imposent aux agences de publier un rapport au moins deux fois par an.
Le rattrapage de l’Afrique du Sud : un jeu d’écritures ?
Ce dont on est pour le moins sûr, c’est que la note relève plus de la perception que de l’Etat réel de la capacité du pays à honorer ses engagements. Le Nigeria disposait de 37,8 milliards de dollars de réserves extérieures à la fin mars. En dépit de ces divergences, le géant ouest-africain entend rattraper l’Afrique du Sud et s’imposer comme première économie du continent. Avec une croissance annuelle de 7%, le Nigeria progresse plus vite que l’Afrique du Sud qui, avec 2,4% de croissance, fait partie des plus faibles progressions africaines en 2013 aux côtés de la Centrafrique. Seulement, l’écart entre les deux économies (244 milliards de dollars PIB pour le Nigeria contre 408 milliards de dollars pour l’Afrique du Sud en 2011) repousse ce rattrapage à encore quelques années.
Pour le moment, cette ambition risque d’être obtenue par simple jeu d’écritures. Le changement du système de comptabilité nationale avec 2010 comme année de base permet d’élargir l’assiette de calcul de PIB de 33 branches d’activités à 46. L’industrie florissante de la musique nigériane et du film ( Nollowood) seront comptabilisées pour la première fois. Au terme de ces changements du mode de calcul, le Nigeria comptera 375 milliards de dollars de PIB, soit le même que l’Afrique du Sud. Il faudrait toutefois, comme le soulignait l’économiste nigérian Bismark Rewane, avoir en tête que le Nigeria compte 160 millions d’habitants, contre seulement 52 millions en Afrique du Sud. Il faudrait donc que le PIB nigérian soit plus de trois fois supérieur au PIB sud-africain pour que le Nigeria rattrape son rival en matière de revenu par habitant. Alors rattrapage ou saupoudrage ?