Dans une interview exclusive accordée récemment à Cridem, Patrick Hickey, Président de TMLSA (Tasiast Mauritania Limited SA), revient sur la fameuse étude de pré-faisabilité de l’expansion de l’usine de Tasiast dont l’ajournement avait été brandi par le management de la compagnie comme la principale raison au licenciement massif de plus de 300 employés en Septembre 2013.
Moins de huit mois après cette grave mesure, qui a pris de court l’ensemble des Mauritaniens, pendant que les ex- employés continuent de battre le macadam devant les grilles du palais Présidentiel et au moment où leurs familles respectives commencent à digérer difficilement ce brutal sevrage , voilà que Kinross à travers son Président , décide de sortir de sa réserve à travers une interview qui n’annonce rien d’autre qu’un gros canular enrobé d’une très hypothétique prise de décision d’une expansion que l’on renvoie encore aux calendes grecs.
Qu’est ce que le Président de Kinross est venu nous annoncer s’il affirme : « la décision de( l’expansion ) de l’usine ne sera pas prise avant 2015 au plus tôt ». D’après cette affirmation nous pouvons en déduire logiquement que la décision de l’expansion peut être prise soit en fin 2015, ou en 2016, ou en 2017 ou peut être même en 2018. Et au cas où cette décision sera prise il ne s’agira que d’une simple décision à laquelle on pourrait encore renoncer.
Monsieur Patrick nous informe que « cette expansion devrait faire de Tasiast l’une des mines de Kinross les plus grandes et les moins coûteuses. » en réalité, le ¨Président ne nous apprend rien de neuf car il n’est de secret pour personne que l’exploitation minière en Mauritanie, y compris celle de la SNIM bénéficie de conditions d’exploitations et d’avantages géostratégiques et fiscaux imbattables. Pourtant il y a de cela six mois seulement, le management de la compagnie avait présenté la mine de Tasiast comme étant trop coûteuse. Si l’activité de Kinross en Mauritanie a été coûteuse, comparée aux autres régions du monde, les raisons de ces coûts doivent être cherchées ailleurs, dans les circuits parallèles d’enrichissement illicite et de fraude et non dans les coûts d’investissement et d’opérations proprement dit.
D’ailleurs ce que Monsieur Patrick n‘a pas dit c’est que les coûts (capex ) du projet d’expansion qui étaient estimés au départ à quelques 2,7 milliards de dollars ont été considérablement revus à la baisse suite à une étude indépendante commise par les actionnaires. Selon cette dernière étude, les coûts de l’expansion ne dépasseront guère 1,6 milliards de dollars.
Le seul mérite de cette sortie c’est qu’elle place Kinross au niveau de l’état Mauritanien, comme si elle était propriétaire des ressources en venant nous bercer avec une belle vision de politique minière. Cette approche sied mieux à des régimes concessionnaires où l’investisseur dispose des ressources à sa guise. Ce qui n’est pas encore le cas pour Kinross. A ce niveau, il serait intéressant de savoir si ces différents projets de recherche, d’exploration d’exploitation et d’expansion de Tasiat sont soumis à de différents régimes fiscaux. Car très souvent, des compagnies profitent du manque de vigilance des services de l’Etat pour regrouper les paiements fiscaux de leurs différents projets. Pour éviter ce type de fraude, qui est très fréquent, certains pays ont mis en place, le principe du « Ring fencing » qui stipule que les taxes fiscales de chaque projet soient payées séparément.
Selon d’autres sources, l’étude de faisabilité de l’expansion prévoit une production moyenne annuelle de plus de 800 000 onces d’or et- ce durant les 5 premières années de la période 2018 – 2022, sur des réserves cette fois-ci estimées à 9 ,6 millions de tonnes au lieu de 3,1 millions de Tonnes.
Selon les calculs économiques faits sur la base de 1350 dollar l’once d’or pendant la période dudit projet d’expansion, le coût de production de l’once ne dépasse guère 600 dollars et le N PV, ( Net Present Value) qui représente les bénéfices net après la déduction des coûts d’investissements et d’opération, serait de plus de 1, 2 milliards de dollar. Il suffit d’une augmentation du prix de l’once d’or, ce qui est fort probable, ajoutée aux multiples facilités qu’offre la Mauritanie en plus des moyens de transports ( train, port minéralier) , et de sources d’énergie, pour que le PNV de ce projet passe du simple au double.
Selon plusieurs sources, cette expansion pourrait difficilement avoir lieu avant 2018. Et au cas où elle interviendrait, l’Etat doit pouvoir mener le bateau et non se faire embarquer dans l’agenda d’une compagnie. D’ailleurs certains observateurs avertis, considèrent cette annonce comme étant un prélude à une campagne de marketing visant à allécher d’éventuels repreneurs. Même si les conditions ont changé, de telles appréhensions sont à considérer surtout si l’on sait que Kinross a hérité Tasiast suite à une rétrocession sur laquelle la Mauritanie n’a empoché le moindre sous.
La sortie de Monsieur Patrick nous rappelle qu’il est nécessaire pour un pays de disposer d’une politique minière qui va au delà de la seule activité d’extraction et qui prend en compte les autres dimensions du développement à savoir , la recherche, le transfert de compétences, l’industrialisation, et la diversification. Une telle politique permettra l’Etat Mauritanien d’évaluer sa ressource, de concevoir les conditions pour le développement du secteur, d’établir des liens cohérents avec les autres secteurs et de s’assurer de l’impact de cette activité sur les générations actuelles et futures.
Baliou Coulibaly
Spécialistes des questions extractives
Coordinateur de PWYP , Mauritania