« Et si l’Afrique avait marabouté la France? » s’interroge Antoine Glaser* dans son dernier livre « Africafrance » (éditions Fayard 2014). Pour l’auteur, le rapport de force entre la France et l’Afrique a changé, ou plutôt s’est inversé. « Ces chefs africains (…) se trouvent plus souvent qu’on ne le croit dans une relation dominante vis à vis du pouvoir français. Riche Afrique, pauvre France ». Etonnante remarque de la part d’un aussi fin connaisseur de l’Afrique. Pour étayer son affirmation, il cite cette phrase d’Omar Bongo: « la France sans l’Afrique c’est une voiture sans carburant ». Peut être. Mais qui fabrique « la voiture » ?
PaMajid Kamil, banquier, ancien ambassadeur
Dans la relation entre l’Afrique et la France, qui a réellement changé par rapport à qui ? La réponse est complexe. L’auteur lui-même nous explique abondement à quel point le « paradigme Foccart » irrigue encore aujourd’hui les relations Afrique-France. Par ailleurs, son analyse laisse de coté (ou passe un peu trop vite sur) des données qui nous semblent essentielles. Au Mali, en Centrafrique, voire en Libye, c’est la France et elle seule qui a décidé du cours de l’histoire. Ou étaient les forces africaines ? La revue « Alternatives Internationales » dans son numéro de janvier 2014 titre sur « les armées africaines en ordre de pagaille ». Peut on alors affirmer, comme le fait Glaser que « Paris n’est plus le donneur d’ordre, mais il ne le sait pas encore » ?.
« Sur le plan économique aussi, les leaders africains ont le monde entier dans leur salle d’attente ». Oui, mais pourquoi? Philippe Norel dans la revue « Sciences Humaines » (N°33) note, à propos du livre de Boillot et Dembinsky « la Chindiafrique » : « apport des technologies chinoises et indiennes au développement de l’Afrique, caractère indispensable des matières premières de ce continent pour les deux puissances asiatiques » (c’est moi qui souligne). Tout le problème est là et les experts sérieux ne cessent d’alerter à ce propos : « la narration du miracle africain doit être nuancée » (Jean Philippe Rémy « L e bilan du monde ». Hors série. Edition 2014).
Il est plus que temps de déconstruire tous ces « concepts » pavloviens qui embrouillent, voire faussent les discours sur l’Afrique. En commençant par un constat d’une banale évidence : le basculement dans un nouveau monde, auquel l’Afrique n’échappe pas. La France a eu l’intelligence d’y accompagner le mouvement plutôt que de tenter de le contrer. On prête à Jean Pierre Chevènement (dans un autre contexte) cette affirmation « la politique, c’est l’art de se laisser récupérer un peu, pour pouvoir récupérer beaucoup ».
Et puis n’oublions pas que la France elle même est en crise (voir le livre passionnant d’Hubert Védrine « la France au défi ». Editions fayard 2014). Est on vraiment sur qu’elle soit dérangée à ce point par ces chinois et autres indiens, qui, lorsqu’ils débarquent en Afrique, ont souvent besoin de traducteurs…en français ? Quelle sidérurgie lorraine l’indien Mital pourrait il concurrencer ? Quel autre véhicule Dong Fen a désormais besoin d’opposer à Peugeot?
L’usage abusif et outrancier du mot françafrique a, symboliquement, fait beaucoup de mal aux relations entre la France et l’Afrique (francophone, en l’occurrence, puisque c’est d’elle qu’il s’agit ici). Personne n’a noté, soit dit en passant, que, de ce mot, ont été tirés d’autres, avec des connotations plus dynamiques et plus positives tels que « Chinafrique », « Chindiafrique », « Chinamérique », etc.
Glaser rappelle qu’Houphouët avait inventé ce mot pour marquer la proximité entre la France et ses ex colonies. Parce qu’il s’agissait de l’Afrique, (et d’Houphouët !!) on a rapidement confondu des pratiques douteuses, mafieuses (réelles), avec une idée culturellement, économique et donc politiquement visionnaire. Gageons que si ce mot avait été inventé par une des icones de « l’anti impérialisme africain » il aurait connu une autre destinée.
Le romancier algérien Boualem Sansal a lancé un jour la boutade qu’il faudrait créer la Françafrique de la « société civile ». La vraie Françafrique en somme. Celle de cette cohorte interminable d’écrivains, qui s’étend à l’infini, des romanciers ivoiriens (Oyono, Kourouma), sénégalais (Sembène Ousmane, Cheikh Hamidou Kane), algériens (Yacine, M’amri, feraoune), marocains (Chraibi, Benjeloun), mauritaniens (Moussa Diagana, Moussa Ould Ebnou), guinéens (Camara Laye, Thierno Monénembo). Sans oublier la poésie de Senghor ou l’on retrouve du Lamartine ou du Aragon.
Il en faudrait des pages et des pages pour citer tous ces créateurs africains de langue française !
Là réside l’avenir des relations entre la France et l’Afrique francophone. Seul Dominique de Villepin, alors ministre français des affaires étrangères, tenta de mettre la culture au centre des relations Afrique France. Il est symptomatique de noter que la première recommandation faite par le rapport intitulé « un partenariat pour l’Afrique » (décembre 2013, ministère français des finances) est d’assouplir la procédure des visas pour les africains désirant se rendre en France.
A l’heure ou le ministre français des affaires étrangères parle, à juste titre, de diplomatie économique, il n’est pas inutile de rappeler que dans « relations économiques » il y le mot « relation ». Comment peut réagir un africain lorsqu’il entend un chef d’état français, alors en exercice, expliquer que la France n’a pas besoin de l’Afrique pour se développer ? J’imagine aisément la jubilation de nos amis chinois.
L’humble auteur de ses modestes lignes, vieux francophone passionné, vieux francophile assumé, ancien étudiant de la Sorbonne pour qui les bouquinistes des quais de la Seine étaient presque des compagnons de week end, n’a plus mis les pieds en France depuis huit ans, choqué par le comportement de ces Charles Martel aux petits pieds qui, régnant dans les consulats, ignorent que la horde des sarrasins stoppés juste à temps à Poitier, relève en grande partie du mythe.
Nous, je veux dire francophones d’Afrique et « africanophones » de France, avons beaucoup en partage. Mais nous devons, impératif catégorique, commencer par penser autrement nos relations.
A ce égard, il faut saluer les auteurs du rapport de grande qualité déjà cité « un partenariat pour l’Afrique », rapport qui prend (enfin a-t-on envie de dire) la bonne direction. Je voudrais y ajouter ceci : mesdames et messieurs les jurés du Goncourt, du Renaudot, du Fémina, créez donc, en plus des autres prix, un prix « auteur francophone ». Mesdames et messieurs les cinéastes (et Dieu sait que la France en compte de grands), développer une plus grande coopération avec les cinéastes et les acteurs africains.
Avant que les smart et autres soft power ne soient à la mode, la France défendait son exception culturelle. Dans ce combat mille fois légitime, l’Afrique francophone est son meilleur atout. S’en rend elle seulement compte ?
Utilisons les conseils économiques et sociaux, les chambre de commerce, les associations patronales, syndicales, pour des rencontres professionnelles et non pour de grands shows souvent inutiles. Travaillons à des centres d’excellence, créons des clubs d’affaires, soyons plus imaginatifs au niveau financier.
Peut importe la « Françafrique » ou « l’Africafrance ». Ce qui compte c’est que nous avons un destin commun……. pour peu que nous sachions enfin le définir.
Majid Kamil
*Antoine Glaser est fondateur et rédacteur en chef durant 26 ans de La Lettre du Continent , lettre confidentielle bimensuelle consacrée à l’Afrique et ancien directeur de la rédaction d’Africa Intelligence. En septembre 2010, il cède la rédaction en chef de La Lettre du Continent à Frédéric Lejeal.