«La vie continue et surtout l’Afrique continue». Dixit Jean Ping. Tel pourrait être l’épilogue des différents combats menés par l’ancien président de la Commission de l’Union Africaine sur la scène africaine et internationale au nom de l’Union Africaine. Dans cet entretien exclusif accordé à Financial Afrik, l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Omar Bongo revient sur son livre «Eclipse sur l’Afrique : fallait-il tuer Kadhafi?» qui sonne comme un sanglot panafricain. Au détour des propos, Jean Ping nous explique les raisons de ses rapports, ombrageux, avec le président Ali Bongo Ondimba.
Le titre de votre tout nouveau livre, « Eclipse sur l’Afrique: fallait-il tuer Kadhafi? » sonne comme un regret. En votre temps, pensez-vous que l’Union Africaine, à travers ses différentes instances dont la Commission que vous présidiez, a tout fait pour imposer une solution africaine à la crise libyenne?
Oui vraiment, parce que j’ai moi-même sillonné le monde pour expliquer la position de l’Afrique et «vendre» le plan de sortie de crise de l’Union Africaine. Je me suis rendu successivement à Washington où l’on m’a bien écouté et peut être même, dans une certaine mesure, entendu. Je l’ai senti auprès de Mme Hilary Clinton qui, pourtant, n’a pas changé de position. A Londres où l’on m’a bien reçu, j’ai été écouté poliment sans être entendu. A Bruxelles, l’Union Européenne m’a donné le sentiment qu’elle ne disposait dans ce domaine d’aucune marge et d’aucune compétence en matière de décision. C’était pire encore à l’OTAN. Après tout ce n’est qu’une organisation militaire chargée d’organiser l’attaque contre la Libye. En revanche, à Rome, à Berlin et à Ankara, on semblait partager pleinement nos doutes, nos craintes et même nos espoirs même si Rome avait fini par changer radicalement de position et rejoindre le rang des faucons. En revanche à Paris on se bouchait hermétiquement les oreilles. Au Moyen Orient c’était pire pour ainsi dire, car l’incompréhension était quasi-totale. Mais il faut avouer que Kadhafi s’était fait là-bas tant d’ennemis irréductibles. Il faut cependant reconnaître qu’en matière de communication, et en dépit de l’omerta de la presse occidentale, on aurait pu mieux faire si l’on avait les moyens humains et financiers. Il faut donc le regretter amèrement.
On sait que, en tant que président de la commission de l’Union Africaine, vos rapports avec Kadhafi n’étaient pas des plus cordiaux. Quelle image gardez-vous de l’homme? Un dictateur, un panafricaniste illuminé?
Oui il était tout cela à la fois et bien plus encore. Ainsi, pour beaucoup d’africains, Kadhafi faisait moins figure de despote que de farouche patriote qui consacrait tant d’efforts et de ressources aux grandes causes africaines et notamment au panafricanisme dont il était devenu le chantre. Il avait mis son leadership charismatique, sa volonté inébranlable ainsi que ses vastes moyens financiers au service de l’avènement des Etats Unis d’Afrique. Sans lui, nous serions encore à l’OUA. Mais les méthodes qu’il employait étaient fortement contestées par ses pairs.
Quel est le rôle, aujourd’hui, de la commission de l’Union Africaine? Est-ce un organe qu’on pourrait comparer dans ses prérogatives à la Commission Européenne?
Le modèle qui inspirait Kadhafi était celui de l’Union Européenne qui est à ce jour le modèle d’intégration continentale le plus avancé et le mieux accompli. A cet égard, l’Union Africaine est encore très loin de l’UE. Pourtant Kadhafi voulait aller plus vite et plus loin que l’UE. Ses adversaires disaient de lui qu’il confondait vitesse et précipitation.
Vous avez finalement échoué à être réélu à la tête de la commission de l’Union Africaine. Avec le recul, quelle analyse faites-vous de cet échec? Le Goliath sud-africain écrasant le David Gabonais?
Oui, on peut tout à fait voir ça comme ça dans la mesure où la puissance sud-africaine, la détermination totale de son président Jacob Zuma, les moyens colossaux mis en œuvre ainsi que la campagne de déstabilisation et de dénigrement entreprise, n’avaient aucune commune mesure avec ce que le Gabon a fait (ou pas fait).
Mais on peut aussi voir cela autrement dans la mesure où il s’agissait de deux conceptions radicalement opposées qui divisaient les chefs d’Etat africains. D’un côté ceux qui estimaient que la tête de la commission ne devait pas tomber entre les mains d’un des cinq grands pays africains, à l’instar du secrétariat général de l’ONU qui, en vertu d’une règle non écrite, n’a jamais été occupé par l’un des cinq membres permanents du conseil de sécurité. De l’autre côté, ceux qui ne voyaient aucun inconvénient en cela ; Mais bon, ce qui est arrivé est arrivé. Un point, un trait ; ne revenons pas là-dessus. La vie continue et surtout l’Afrique continue.
Venons-en maintenant au Gabon, votre pays. Qu’est-ce qui explique divergences entre vous et Ali Bongo ? Des approches idéologiques différentes?
J’ai découvert que l’on m’a toujours considéré, et je ne sais pourquoi, comme un concurrent redoutable à la succession du défunt président Omar Bongo Ondimba alors que je n’y avais jamais songé auparavant. Ceci explique donc cela. Mais s’il n’y avait que ça je pouvais continuer à me désintéresser des affaires politiques de mon pays pour me consacrer au secteur privé avec la création de mon cabinet de consulting Ping & Ping. Mais voilà, il y a plus d’un an que je suis revenu au pays ; je constate la dérive autoritaire du régime en place qui s’est complètement éloigné de la population et de ses préoccupations élémentaires (santé, éducation, logement, eau, électricité, infrastructures de base) au profit de projets somptuaires (terrain de golf, marina, courses de voitures et de motos), de chantiers coûteux abandonnés depuis pour devenir autant de véritables éléphants blancs (zone économique spéciale de Nkok…) J’ai donc pensé que me taire équivaudrait à un consentement et à une caution donnée au régime en place notamment en raison des liens que j’entretenais avec le régime. C’est pourquoi j’ai décidé de rompre le silence et j’ai annoncé ma rupture avec le régime. Très curieusement, cela a déclenché une véritable hystérie et une pluie d’injures, de diffamations et de menaces, comme si je n’avais pas le droit élémentaire de quitter librement un parti politique. Depuis lors c’est l’escalade mais je ne me laisse pas faire.
Allez-vous être candidat aux élections présidentielles gabonaises de 2016?
Les élections présidentielles gabonaises auront lieu en 2016 et nous ne sommes encore qu’au début de l’année 2014. Il n’y a pas donc le feu en la matière, d’autant plus que personne ne l’a encore fait. Ce qui est sûr c’est que l’opposition à laquelle j’appartiens désormais se mobilise pour créer un front, un programme commun et une stratégie commune. Chaque chose en son temps.
Propos recueillis par Adama Wade