Parmi les grands projets est-africains d’intégration, l’instauration d’une bourse régionale des valeurs mobilières revient souvent avec insistance. Sur le papier, l’idée est des plus séduisantes : la plateforme de négoce intégrée réunirait les quatre pays de la région (Kenya, Ouganda, Rwanda et Tanzanie) déjà dotés d’un marché national de capitaux, et deviendrait de facto un acteur de poids sur la scène financière africaine.
Avec plus de 30 milliards de dollars de capitalisation boursière cumulée, la nouvelle bourse régionale viendrait ainsi juste après Johannesburg, Lagos, le Caire et Casablanca et serait la troisième expérience du genre sur le continent, après la BRVM d’Abidjan et la BVMAC de Libreville.
Mais est-ce pour autant réaliste ? Les avis sont partagés. “Pour sur, nous voulons une bourse régionale unique. Techniquement, nous y sommes déjà presque et nous pourrions y arriver dans les deux ans”, indiquait fin 2013 Kenneth Kitariko, le PDG du courtier African Alliance Uganda et membre du conseil d’admnistration de la bourse ougandaise. Un optimisme que ne partage cependant pas tous les acteurs du secteur. Interrogé il y a quelques mois par Financial Afrik, Pierre Celestin Rwabukumba, le Directeur général du Rwanda Stock Exchange avait répondu ceci à la question de savoir si le projet de fusionner les bourses est-africaines était d’actualité : “Pour l’heure, non. Cette idée de fondre les bourses régionales (Dar Es Salam, Kampala, Kigali et Nairobi) en une seule plateforme boursière réapparaît ponctuellement dans les médias, mais ce n’est pas d’actualité à court et moyen terme”. Une opinion qu’il a depuis réitérée. Dont acte.
Pourtant, au-delà de l’apparent désaccord entre ces deux positions, il y a plus de points de convergences que de contradiction de fond. La vérité, comme bien souvent, se situe entre les deux. Oui, il ne devrait pas y avoir de sitôt une bourse régionale unique : la volonté politique, par delà les discours de façade et les bonnes intentions affichées, manque encore pour donner un coup d’accélérateur décisif à cet hypothétique marché boursier régional. En revanche, M. Kitariko a raison, l’intégration financière est déjà techniquement effective à bien des égards. Les places boursières de la région (Kenya, Ouganda, Rwanda et Tanzanie) sont d’ores et déjà aujourd’hui interconnectées entre elles. Plus besoin de passer par un courtier kényan pour acheter ou vendre des actions à la bourse de Nairobi, un simple coup de fil à votre broker local rwandais ou ougandais suffit. C’est lui qui s’occupera de tout. Une vraie avancée, portée par l’autorité régionale de régulation financière (East African Securities Regulatory Authorities, EASRA), et qui ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin : il y a bien d’autres programmes d’intégration financière dans les tuyaux. Le suivi par un collège de supervision régional des activités des sociétés cotées sur plusieurs places (cross-listing) est lui aussi déjà une réalité, une manière là aussi de prendre acte des évolutions constatées au cours des dernières années. Le Kenya dispose à lui seul de 7 sociétés (Equity Bank, KCB, Kenya Airways, Nation Media Group, Centum Investment, East African Breweries et Uchumi Supermarkets) faisant l’objet d’une double cotation et c’est désormais l’Ouganda qui lui emboîte le pas avec le distributeur d’électricité Umeme, qui bénéficie d’une cotation secondaire à la bourse de Nairobi depuis l’année dernière. En attendant que les entreprises rwandaises, tanzaniennes, voire même burundaises ( le seul pays à ne pas disposer d’une bourse au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est) se lancent aussi.
Les autres programmes d’intégration financière actuellement en cours incluent aussi le lancement d’émissions obligataires régionales, des introductions en bourse simultanées sur les différentes places boursières de la région (en devise locale), et la mise en place d’une formation commune pour disposer sous peu d’une qualification régionale agréée pour les intermédiares financiers (courtiers, conseillers financiers, gérants de portefeuille). Le Securities Industry Training Institute (Siti), basé à Kampala (Ouganda) est déjà opérationnel pour former cette future génération d’opérateurs financiers qui pourra évoluer dans toute la région sous la bannière d’une seule et même qualification reconnue par tous.
En clair, l’intégration financière régionale en Afrique de l’Est avance. Non pas sous la forme fantasmée d’une bourse unique née de la fusion de tous les marchés nationaux, mais sous les traits d’une interconnectivité réelle entre les places boursières et d’une coopération étroite entre les différents organismes de régulation financiers de la région. C’est déjà beaucoup.
Même la Tanzanie, mauvais éléve de la classe est-africaine en matière d’intégration des marchés et de libéralisation des mouvements de capitaux (aucun étranger ne peut disposer de plus de 60 % du capital d’une société tanzanienne cotée en Bourse, sans parler des restrictions également imposées sur les marchés monétaires et obligataires), s’y met : après avoir empêché pendant longtemps les investisseurs allogènes de participer aux offres de souscription de titres à la bourse de Dar-Es Salam et refusé à ses citoyens la possibilité de participer aux introductions en bourse dans les autres pays de la sous-région (l’IPO en 2008 de l’opérateur kényan Safaricom en constitue le meilleur exemple), le plus grand pays d’Afrique de l’Est (945.000 km2 et 45 millions d’habitants) prépare pour cette année une levée de toutes les restrictions portant sur les flux financiers, entrants et sortants. De quoi metttre enfin le pays au diapason de ses voisins et consolider un peu plus l’intégration financière régionale.
Quant à ceux qui déséspèrent de voir naître un jour un marché financier régional unique, qu’ils se rassurent : il existe déjà. Nouveau venu sur la scène financière est-aricaine, l’East Africa Exchange, est la première bourse des matières premières qui couvre toute la région. Lancée en 2013 et basée à Kigali, son activité reste pour l’heure confidentielle, mais son objectif d’être à terme la plateforme de négoce de référence pour tous les produits agricoles de la sous-région démontre si besoin en était que l’intégration financière régionale en Afrique de l’Est est bel et bien lancée.