Economiste à la commission de l’Union Africaine, Dr René Kouassi est un témoin privilégié des nombreuses tentatives de l’industrialisation de l’Afrique. Entretien.
Comment expliquez-vous la sous industrialisation de l’Afrique ? Absence d’initiatives ?
L’Afrique n’est pas pauvre en initiatives. La première décennie de l’industrialisation de l’Afrique a été décrétée dans les années 80. Dans les années 90, l’alliance pour l’industrialisation de l’Afrique proposée par Henri Konan Bedié, alors président de la Côte d’Ivoire, a été adoptée par les chefs d’Etats africains réunis en sommet à Abuja. C’est pour vous dire que ce ne sont pas les initiatives qui ont fait défaut mais leur mise en œuvre. L’année dernière, lors du précédent forum économique pour l’Afrique à Abidjan, nous avons eu beaucoup de discussions autour de la question de l’industrialisation. Nous sommes revenus sur la même question cette année à Abuja afin d’approfondir et de voir comment cette industrialisation pourra contribuer au développement inclusif de l’Afrique. Donc, si l’Afrique accepte de combler ses déficit de mise en œuvre de projets communs sur les initiatives prises, elle pourra facilement se développer et parvenir à l’ émergence. Cette rencontre d’Abuja peut donner de l’élan à la politique industrielle de l’Afrique à condition que tout le monde rentre avec l’ambition de mettre en application les idées et les initiatives prises. Je suis optimiste.
Cette rencontre intervient alors que l’Union Européenne presse les Etats africains de signer les accords sur les APE ? Qu’en pensez-vous ?
je rappelle que les Etats africains s’étaient engagés à ne pas signer les APE lors du sommet de Lisbonne de 2007. Mais, pris individuellement, les Etats africains sont parfois contraints de signer. L’Union Européenne dispose de divers instruments et mécanismes soutenant les budgets des Etats africains. Si un Etat quelconque s’oppose à de tels accords, il faut qu’il dispose d’alternative de financement de son budget : qui va fournir la part européenne en cas de suspension? Les Etats africains doivent se pencher sur cette question d’alternative.
Justement, quid du Fonds monétaire africain et de diverses institutions comme la Banque Africaine d’investissements ?
En ce qui concerne le fonds monétaire africain, il évolue bien. Les textes ont été adoptés par les ministres des Finances lors de la rencontre d’Abuja. Les chefs d’Etat se pencheront sur la validation lors du sommet de Malabo. L’autre accord conclu à Abuja concerne les banques centrales qui se sont engagées à mettre en œuvre les différentes initiatives pour le développement inclusif de l’Afrique à travers l’industrialisation. C’est pour vous dire que les choses avancent globalement et que la Commission africaine travaille sur ces différents dossiers. Le principe général c’est de passer de la coopération qui prévaut depuis l’indépendance à l’intégration.
Comment l’Union Africaine est-elle financée ?
Jusque là les états africains ne contribuent qu’à hauteur de 3% dans le budget programme et celui de fonctionnement de l’Union Africaine. On a constaté que depuis 2010, la part de contribution des partenaires augmente et celle des Etats africains régresse progressivement. Il faudra donc changer de stratégie afin de renverser la donne. Il faut reconnaitre que Dlamini Zuma, l’actuelle Présidente de la commission, est entrain de se battre pour la recherche des sources de financement alternatifs.
Le relèvement des salaires en Chine est-il une chance pour l’Afrique en termes de délocalisation ?
Il faut des avantages technologiques et compétitifs pour profiter des mouvements de délocalisation. L’Afrique présente de faibles coûts de travail. Certaines entreprises chinoises s’installent en Ethiopie. La tendance pourrait s’accélérer si l’on réduisait le coût de l’énergie, de la logistique et les coûts liés au défaut d’intégration.