Rwanda, un pays-hôte résilient
Pays-hôte des assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) qui se tiennent à Kigali cette semaine, le Rwanda peut aujourd’hui se targuer d’une des économies les plus dynamiques du continent. Entre dirigisme politique et libéralisme économique, le Pays des Mille Collines, deux décennies après le Génocide, n’a qu’un crédo : l’efficacité au service de sa Renaissance. Reportage au pays de la résilience.
Par Jacques Leroueil
Retour au bercail pour Donald Kaberuka. Le temps des assemblées annuelles de la BAD, le président de l’institution panafricaine retrouve le pays qui l’a vu naître et dont il aura été la cheville ouvrière du miracle économique pendant près d’une décennie en tant que Ministre des Finances (1997-2005). Impulser une renaissance nationale avant de partir embrasser son nouveau destin continental. De quoi entretenir la légende du brillant technocrate sur les bords de la Nyabarongo. Deux décennies après le Génocide, le Pays des Mille Collines qu’il a laissé derrière lui aligne en tous les cas toujours les performances économiques spectaculaires, et tourne résolument son regard vers l’avenir.
Une belle histoire faite de tragédie et de résilience, qui force le respect et suscite dans son sillage une cohorte de volubiles admirateurs. Fareed Zakaria, analyste vedette de la chaîne américaine CNN, parle du pays comme de »la plus belle success story d’Afrique” tandis que Charles Robertson, économiste en chef de la firme d’investissement Renaissance Capital, va jusqu’à qualifier le Rwanda “…de plus grand choc positif de toute sa carrière professionelle”. Opinions éminemment subjectives, et par définition toujours discutables, mais traduisant au fond assez bien le nouveau regard favorable de la communauté internationale à l’égard du pays.
Une chose est sûre : le miracle économique rwandais ne laisse pas indifférent. Avec une croissance annuelle moyenne de 8 % depuis 2000, un revenu par habitant en progression de 160 % sur la même période, desentrées nettes d’IDE multipliées par 20 dans l’intervalle (de 8 millions de$ à 160 millions de $ par an) et une jeune bourse qui vole de record en record (+ 160 % pour l’indice RSI des valeurs rwandaises depuis 2011), il est facile de comprendre pourquoi.
Les résultats sont déjà visibles : Le pays, à commencer par sa capitale Kigali, est un chantier à ciel ouvert permanent. Marie-Judith Kabazayire, rwandaise de la Diaspora de retour au pays après 40 ans d’absence, n’en revient toujours pas : “A l’époque, la ville ressemblait plus à une grosse bourgade de province qu’à une capitale. Pas de routes goudronnées ou presque, aucun immeuble à étage, et de très rares véhicules. Aujourd’hui, c’est un petit Manhattan avec ses tours flambants neuves, ses centres commerciaux et ses embouteillages de 4X4 rutilants. La ville s’est métamorphosée”. Un sentiment de vertige conforté par les stastistiques : de 250.000 habitants environ en 1994, Kigali compte aujourd’hui plus d’un million de résidents et devrait voir sa population encore doubler d’ici 10 ans
Nation où 80 % de la population vit encore d’une agriculture de subsistance, le Rwanda n’en a pas moins une conscience aiguë des enjeux et défis de demain. Les autorités du pays ont ainsi lancé au début des années 2000 un projet national transformationnel, fort ambitieusement dénommé « Vision 2020 ». Vaste plan qui vise à faire du Rwanda à l’horizon 2020 un pays émergent à revenu intermédiaire, et pariant pour ce faire dès aujourd’hui sur le « triptyque gagnant » : Un développement massif d’infrastructures modernes (15 % du budget de l’Etat), un cadre politique stable et libéral (le Rwanda est régulièrement cité comme l’un des pays lesplus réformateurs au monde par le rapport Doing Business de la Banque Mondiale), et une primauté accordée à l’économie du Savoir et aux nouvelles technologies. Une stratégie au long cours qui porte déjà ses fruits : croissance forte, bonne gouvernance, faible niveau de corruption(meilleur élève d’Afrique de l’Est selon l’ONG Transparency International), climat des affaires attractif (2e meilleur d’Afrique après l’île Maurice d’après le dernier rapport Doing Business) et sécurité assurée.
Tout n’est pas rose cependant. Avec un PIB annuel de 700 $ par habitant et plus de 40 % de la population vivant encore sous le seuil de pauvreté, le Rwanda n’est pas la Suisse. La balance commerciale du pays est toujours lourdement déficitaire (1 milliard de $ par an) et 45 % des recettes d’exportation continuent d’être tirées du thé et du café ; deux cultures à faible valeur ajoutée dont les cours mondiaux sont toujours dictés par les opérateurs de marché de la City londonnienne. Au pays de Kagamé, il estaussi vivement recommandé de rester dans le rang et ne pas faire de vagues. Nombre d’observateurs soulignent, à juste titre, la mainmise duFPR (l’actuel parti au pouvoir) sur les destinées de la nation et le bâillonnement parfois musclé de l’opposition. Cela n’empêchera pas l’Etat de se faire dans le même temps l’avocat passionné de la cause des femmes et de joindre les actes à la parole : avec un Parlement constitué à 64 % de femmes et une pléthore de postes de haut niveau confiés à des rwandaises, le pays détient le record mondial de la représentation féminine. Mieux que les très égalitaristes pays scandinaves (Suède, Danemark, Norvège, Finlande). C’est là tout le paradoxe de l’actuel Rwanda : un régime monolithique, souvent hermétique à la contestation politique, mais socialement progressiste et toujours ouvert aux suggestions des partenaires qui lui permettront de réussir la transition vers le statut envié de pays émergent. Un pouvoir fort, ferme pour fixer le cap, et concomitamment souple dans l’exécution de son entreprise. Il est d’ailleurs significatif de constater que le modèle de développement auquel le Rwanda s’identifie le plus ne soit ni l’Amérique libérale de l’Oncle Sam, ni l’Europe pacifiste et sociale des 28, mais la dirigiste et technocratique cité-état asiatique de Singapour. Lee Kuan-Yew plutôt qu’Obama pour le “Singapour africain”. Un choix de leadership fort et assumé qu’à voulu le président Paul Kagame, l’architecte en chef de la Renaissance rwandaise. A six ans du terme de “Vision 2020”, il semble en tous les cas que l’ambition originellede faire du Rwanda un pays plus prospère et plus fort devienne chaque jour un peu plus une réalité.