En ces temps de grande volatilité et de crise profonde, l’Afrique est un exemple de réussite sur le plan économique. Grâce notamment à l’effet combiné de cours élevés des produits de base, d’une demande intérieure accrue, d’une amélioration de la gouvernance et de la gestion économiques et de liens plus étroits entre le commerce et l’investissement, les pays africains ont pu enregistrer au cours des dix dernières années une croissance annuelle du PIB impressionnante (5 %), performance qui est tout simplement hors de portée de régions plus riches et développées.
Par Carlos Lopes*
Toutefois, s’il y a lieu sur ce point de se réjouir et de faire preuve d’optimisme, les progrès sont en revanche nettement plus lents sur la question du développement social. La croissance de l’Afrique, en dépit des chiffres qui font les grands titres, n’est pas suffisamment inclusive et n’a pour l’heure pas abouti à la création des nouveaux emplois dont le continent et sa population ont si cruellement besoin.
Quelles sont donc les raisons de ce décalage ? Les auteurs du Rapport économique sur l’Afrique 2014 en attribuent la cause profonde au maintien d’une lourde dépendance à l’égard de la production et des exportations de produits primaires, soulignant que l’industrialisation est la condition préalable essentielle d’une croissance économique inclusive et de la transformation structurelle.
Ils affirment en outre que l’industrialisation ne saurait être laissée aux marchés. Le principal enseignement tiré par les pays en développement qui ont déjà opéré la transition avec succès tient en effet à l’importance de se doter d’une politique industrielle pour surmonter les lacunes des marchés.
Dès lors, à quoi pourrait donc ressembler une telle politique et pourquoi la plupart des pays africains ont-ils jusqu’à présent essuyé des échecs à cet égard ? Les auteurs du Rapport ont constaté que les tentatives passées de mettre en place des politiques industrielles en Afrique reposaient sur des institutions publiques qui n’ont pas su s’adapter aux besoins changeants de l’industrie ni aux circonstances nationales, régionales et mondiales.
Ils engagent l’Afrique à faire preuve de circonspection et à ne pas imposer un carcan basé sur ce qui a fonctionné dans des contextes très différents ou sur des programmes d’action passe-partout s’appuyant uniquement, par exemple, sur des exonérations fiscales et l’accès à des crédits à taux réduit. Seuls de nouveaux cadres de politique industrielle dynamiques et adaptés aux besoins spécifiques de chaque économie sont de nature à produire les résultats voulus.
Les auteurs du Rapport ajoutent qu’un cadre de politique industrielle, pour être efficace, appelle une coordination des politiques à haut niveau ainsi qu’un dialogue constant entre l’État et le secteur privé afin d’identifier et de régler les problèmes. Une collaboration saine entre les deux est cruciale.
Il importe également que des administrateurs hautement compétents aient leur place dans le système et disposent de l’autonomie nécessaire pour agir à l’abri de toute pression de l’élite politique ou du secteur privé. Ils jouiront ainsi de l’indépendance requise pour instaurer des politiques crédibles et, surtout, durables. Sans cette indépendance et l’appui de la classe politique et du milieu des affaires, la politique industrielle mise en place risque d’être négligée, voire totalement abandonnée.
Étant donné que la majorité des pays africains font les frais d’infrastructures et de financements inadéquats, il est capital de créer d’emblée des poches de rendement et d’infrastructure. La mise en place de zones industrielles, par exemple, peut permettre un ciblage efficace des ressources afin d’alimenter les succès et, à terme, d’en assurer la multiplication.
Les auteurs du Rapport mettent l’accent sur le rôle qu’une intégration régionale accrue peut jouer afin de permettre à l’industrialisation de prendre sur l’ensemble du continent. Le commerce intra-africain est beaucoup plus diversifié et axé sur les produits industriels que le commerce extra-africain. Par conséquent, des mesures visant à l’intensifier peuvent constituer un puissant levier pour aider le continent à s’industrialiser, y compris en favorisant des investissements intérieurs et étrangers accrus dans des filières variées. Il est également de nature à apporter une contribution précieuse par la création de pôles de croissance dans les différentes sous-régions et à encourager la production de produits de base stratégiques, tels que les produits pharmaceutiques. Les gouvernements africains doivent redoubler d’efforts pour abaisser les frais de commercialisation, actuellement élevés, et tenter de ramener dans l’économie structurée les commerçants du secteur informel, en particulier les femmes.
Tout cela ne saurait bien sûr produire les meilleurs résultats possibles sans un climat politique dûment coordonné et des institutions soutenant le développement national à long terme. Une politique industrielle efficace suppose des cadres qui améliorent la coordination, le suivi et l’évaluation des politiques ainsi que l’affectation des ressources. Elle appelle également des politiques macroéconomiques propices, un renforcement des infrastructures et des capacités humaines, l’acquisition de technologies, de l’innovation et des financements. En outre, il est bien entendu vital que les nations travaillent de concert à relever les graves défis du changement climatique, qui font peser une menace majeure sur l’avenir de l’Afrique.
L’Afrique est entrée de plein pied dans le XXIe siècle. Cependant, pour qu’elle poursuive son essor, que sa population continue de s’épanouir et qu’elle joue pleinement le rôle qui lui revient dans l’économie mondiale, la prochaine étape du développement revêt une importance capitale. Le temps est venu pour les pays africains et les partenaires de développement de concentrer leur attention et leurs efforts sur l’établissement des cadres de politique industrielle requis pour une croissance soutenue et inclusive.
*M. Carlos Lopes est le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique.
(La version anglaise de cet éditorial a déjà été publiée dans le « Financial Times » et « This is Africa ».)