Par Adama Wade
C’est un scrutin présidentiel bien classique que s’apprête à vivre la Mauritanie ce 21 juin. Un scrutin où le président sortant, Mohamed Abdel Aziz, fort de son bilan économique et de ses leviers de soutien, part favori face à une opposition partagée entre le boycott passif et le « participationnisme » à minima.
Les principaux leaders de cette opposition boycottante, « radicale par la posture » mais consensuelle par son discours convenu qui s’exerce à l’intérieur des lignes vertes bien visibles, jouent le pari de l’opinion publique internationale, des bailleurs de fonds et des partenaires traditionnels de la Mauritanie. Le Forum National pour la Démocratie et l’Unité, fort de 17 partis, dénonce les conditions de transparence d’une présidentielle gagnée d’avance..
Même si entre les municipales- législatives de novembre 2013 et ces présidentielles de juin 2014, le front du boycott s’est enrichi des islamistes modèrés de Tawassoul, qui rentrent dans les rangs après une expérience pourtant couronnée de succès ( ils se sont classés deuxième force politique du pays), il est peu probable qu’il sorte indemne du processus de renouvellement des élites qui se profile après ce scrutin.
Quant à l’opposition participationniste, vilipendée par la classique pour son collaborationnisme, elle constitue, à bien des égards, de par son discours, la vraie opposition, l’alternative, celle qui va au delà des tabous d’une société figée dans un conservatisme ultra-religieux et féodal. Birame Dah Ould Abeid, qui ira jusqu’à brûler le livre d’un érudit musulman qu’il estime favorable à l’esclavage ( geste qui lui vaudra un appel au meurtre), goûtera de la prison avant d’en sortir par le haut. Récipiendaire en 2013 du prix ONU pour les Droits de l’homme, il est vilipendé aujourd’hui par des conservateurs, de la majorité comme de l’opposition classique. « En Mauritanie, il n’y a jamais eu d’abolition de l’esclavage, car l’Etat a toujours investi et organisé ses appareils policiers, l’appareil judiciaire, ses services cultuels, ses corps d’imams et d’érudits (…) pour maintenir l’esclavage et combattre l’abolition » déclarait-il en fin de campagne.
Candidat de la cohabitation nationale, son alter ego et aîné, Ibrahima Sarr, membre fondateur du Front de libération des africains de Mauritanie (FLAM) qu’il a quitté, est un rescapé de la prison mouroir de Oualata, là où tombèrent tant de nationalistes negro-africains dont l’écrivain et homme politique Tène Youssouf Gueye. « Je ne suis pas opposé au pouvoir, je suis opposé au système » a-t-il coutume de dire.
Poète et journaliste, le leader de l’AJDMR, qui avait réalisé un score honorable de 7% lors des présidentielles de 2007 devra, tout comme Birame Ould Abeid, obtenir ses meilleurs résultats à Nouakchott, Nouadhibou et Zoueratt, trois villes où les activités économiques modernes ont modifié les rapports de classe, constituant de ce fait les laboratoires de la nouvelle identité mauritanienne, métissée et multiculturelle.
La vallée du fleuve Sénégal sera aussi à coup sûr un haut lieu d’affrontement électoral d’autant qu’elle aura à se déterminer entre ses barons ( généralement du côté du pouvoir) et sa jeunesse largement acquise aux idées nouvelles. Tout comme les deux Hodh, grenier électoral qui a toujours voté pour le président sortant, l’arrière pays mauritanien, qui vit de l’élevage et de l’agriculture, se positionnera en fonction des orientations données par les chefferies traditionnelles peu favorables aux thèses de Biram et d’Ibrahima Sarr.
En parlant ouvertement de l’esclavage et en abordant la sensible question de cohabitation nationale, irrésolue depuis l’indépendance, ces deux leaders portent sur la place publique un problème que l’opposition classique avait tendance à réduire à la lutte des classes ( UFP, aile historique) ou encore à ignorer (RFD).
L’analyse des discours entre ces deux oppositions souligne des positions irréconciliables: nous avons d’une part une opposition consensuelle qui ne propose pas d’alternative dans son discours et qui est issu des classes technocratico-bourgeoises au pouvoir depuis 1960.
De l’autre côté, il y a parmi les quatre candidats qui affrontent le président Aziz, deux hommes aux parcours différents, qui ont eu tous les deux à goûter à la prison et qui aujourd’hui appellent à une véritable alternance inclusive de toutes les Mauritanies. Certes, ces deux candidats n’ont arithmétiquement, aucune chance de retarder la réélection du président sortant, mais ils incarnent de par leurs engagements, souvent qualifiés de sectaire par les classes politiques dominantes, l’espoir d’une nouvelle Mauritanie. Aussi, le vrai enjeu de ce scrutin n’est pas le taux de participation mais surtout le score de ces deux candidats et leur capacité à emmener le président réélu à poursuivre sa politique d’ouverture et de réformes pour une Mauritanie inclusive.
Les idées défendues par Ibrahima Sarr et Biram Ould Abeid seront-elles matures en 2019? La constitution mauritanienne qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels et à 75 l’âge limite pour briguer la fonction présidentielle crée en tout cas les conditions d’une alternance au moins juridique en attendant la vraie alternance intellectuelle et sociale.