Le concept émergence renvoie à l’image d’un noyé qui sort la tête de l’eau. La dimension miracle est évidente. Un pays émergent est celui qui, après avoir maîtrisé les services basiques minimaux (eau, électricité, assainissement, autosuffisance alimentaire, éducation pour tous, couverture santé) réalisé un saut qualitatif en montant dans la chaîne de valeur agricole (transformation des produits de base), des industries et services ( intégration des entreprises locales au secteur extractif en amont et en aval, migration de l’assemblage des horlogeries à celui de la technologie de pointe), arrive à augmenter suffisamment son PIB pour créer la rupture nécessaire au bien être.
C’est une transformation d’ensemble qui réduit les inégalités dans sa marche en avant et élargit les classes moyennes, qui sont à la démocratie libérale ce qu’autrefois les prolétaires étaient au socialisme. Avec les pauvres, on fait la démocratie de la politique du ventre, l’on achète l’adhésion contre espèces sonnantes et trébuchantes. Bref, l’on se fait élire. Avec des populations éduquées et au dessus du seuil minimal à l’exercice de la dignité humaine, la démocratie prend son sens. Ainsi, la transformation économique entraîne la transformation sociale et politique. L’infrastructure entraîne la superstructure.
Aussi, l’importation automatique du concept « émergence » ne doit pas distraire les pays africains sur la dure condition de vie de leurs citoyens privés des services de base.
Vu sous cet angle, que vaut l’émergence sénégalaise au delà d’un plan bien conçu et séduisant sur le plan communicationnel? Au delà de sa facture et de la prestation intellectuellement jouissive du cabinet Mckinsey?
Force est de le dire, l’émergence sénégalaise a du chemin à faire pour trouver son point d’eau. Cinquante ans après l’indépendance, Dakar, la capitale qui abrite plus de 3 millions d’habitants, manque cruellement d’eau.
Les coupables sont connu, dira-t-on. Seulement, ni la SDE (Société sénégalaise des Eaux, filiale du fonds d’investissement ECP), encore moins sa consœur de la SONES(société nationale des eaux du Sénégal) chargée de gérer le patrimoine hydraulique urbain et d’en contrôler l’exploitation ne veulent endosser la responsabilité du calvaire des habitants de la capitale depuis mars dernier.
Le premier accuse son alter ego d’avoir failli dans son programme d’urgence mis en œuvre en 2013 et qui prévoyait la mise à disposition de 17 500 mètres cube par jour. Seuls 8 360 m3 étaient disponibles au 31 décembre 2013, tance la SDE dont le robinet argumentaire fonctionne à haut débit: «le déficit théorique de 14 000 m3/jour estimé en 2010 par la Sones n’a fait l’objet d’aucune réactualisation en 2014 pour tenir compte de l’évolution de la demande », fulmine son communiqué dans une colère ramadanesque.
Et, pour finir, la SDE se lave à grande eau:«la situation actuelle que vit la capitale est consécutive uniquement à un déficit de production d’eau et cette mission incombe à la Sones».Vive la précision.
Des informations que réfutent la SONES avec des arguments tranchants mais qui n’étanchent pas la soif des habitants. Les 32 camions citernes mis en œuvre pour parer au plus pressé sont-ils destinés aux populations ou à reluire l’image des vaillants dirigeants de ces deux sociétés qui ont failli à leur mission d’assurer l’approvisionnement normale de la première ville du Sénégal? Dans cette guerre de communiqués, gageons que la SDE et la SONES ne trouveront plus d’eau à mettre dans leurs moulins.