Propos recueillis par Léopold Mutarambirwa à Nairobi
Tenue à Nairobi du 14 au 18 juillet et organisée conjointement par le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) et l’Association africaine du crédit rural et agricole (AFRACA), la conférence internationale Fin4Ag sur le financement des chaînes de valeur agricoles aura connu une fréquentation record avec près de 900 participants (ONG, financiers des secteurs privé et public, représentants d’institutions internationales, entrepreneurs actifs dans les TIC) issus de plus de 80 pays et un aréopage de décideurs politiques -entre autres, le vice-président kényan, William Ruto, et la Commissaire pour l’économie rurale et l’agriculture de l’Union africaine, Rhoda Peace Tumusiime- venus se succéder à la tribune. De quoi parler selon ses organisateurs de « la plus importante conférence jamais tenue sur la question de l’accès au financement de la filière agricole dans les pays en voie de développement ». Reste à voir ce qu’il en ressortira, notamment pour l’Afrique et ses immenses défis à relever (explosion démographique, urbanisation, insécurité alimentaire). Après le temps des discours, surviendra tôt ou tard l’heure du bilan.
En marge de la conférence, Saleh Usman Gashua, le Secrétaire général de l’AFRACA, a accordé un entretien à Financial Afrik. Il veut pour sa part croire que « l’heure d’agir est enfin arrivée ». Extraits choisis.
Financial Afrik : En tant que co-organisateur de la conférence avec le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA), qu’attendez-vous de cet événement en particulier ?
Saleh Usman Gashua : Cette conférence n’a qu’un seul but : réunir des acteurs qui ne se seraient jamais rencontrés en dehors de cette opportunité. En mettant autour d’une table l’ensemble des parties prenantes (organisations paysannes, banquiers centraux et commerciaux, partenaires internationaux, entreprises des nouvelles technologies) aux enjeux agricoles africains et en les incitant à partager leurs vues et à trouver ensemble des solutions communes, vous créez un effet de levier considérable qui doit être mis au service d’une seule et même cause : repenser de fond en comble le financement de l’agriculture du monde en voie de développement, et notamment ici en Afrique. Je suis pour ma part certain que cette conférence marquera le point de départ de nouvelles politiques de financement répondant mieux aux spécificités du secteur agricole et rural sur le continent.
Justement, quels types de nouveaux financements voyez-vous se développer au bénéfice de l’agriculture africaine ?
Ils sont multiples. A côté des méthodes traditionnelles de financement qui se sont souvent révélées chères et peu efficaces (subventions étatiques et programmes d’aide internationaux), se mettent en place aujourd’hui d’autres voies possibles telles que l’utilisation des services de paiement mobile ou l’accès aux plateformes de financement communautaire qui permettent aux producteurs ruraux de lever des fonds en se connectant de manière sécurisée aux bailleurs de fonds, via leur mobile. Les applications existent déjà et sont effectives. De même, le développement des services de gestion de garanties et le financement sur récépissé d’entrepôt (prêt consenti par une banque, une institution de micro-finance ou un fournisseur et garanti sur une récolte déposée dans un entrepôt agréé) sont des alternatives intéressantes pour les exploitants agricoles qui souhaitent emprunter tout en offrant aux établissements de crédit une protection renforcée. Enfin, on ne saurait passer sous silence l’importance des bourses des matières premières –nationales ou régionales- qui, équipées des instruments financiers adéquats et des capacités d’entreposage correspondantes, permettent de mieux monétiser la production agricole et d’offrir une meilleure couverture des risques. Les solutions existent donc et l’AFRACA constate avec satisfaction que l’accès à ces nouveaux financements progresse d’ores et déjà sur le continent, notamment grâce à l’intervention des nouvelles technologies, aux actions multilatérales et à des investissements plus conséquents dans le secteur.
Quand même, ces quelques avancées ne sont-elles pas l’arbre qui cache la forêt ? Pensez-vous vraiment que cette conférence puisse faire la différence face aux importants défis que doit encore lever l’Afrique ?
Que le continent ait encore du pain sur la planche en matière de défis à relever, c’est bien entendu une évidence : croissance démographique, exode rural et urbanisation, faible productivité agricole, insécurité alimentaire, poids du secteur informel, frilosité des banques à financer l’agriculture. Les challenges à surmonter sont connus et il faudra bien évidemment plus qu’une conférence –si ambitieuse soit-elle- pour changer de paradigme et révolutionner le financement agricole. Encore une fois, il s’agit d’un point de départ, non d’une fin en soi. En réunissant l’ensemble des acteurs du changement et en les mettant au défi de réussir cette nouvelle révolution agricole, le pari est d’agglomérer toutes ces forces pour agir et prendre en main son destin. Un processus long forcément, mais qui avec l’appui de tout un chacun peut être réalisé. Car au final, c’est bien de cela dont il s’agit : réaliser cette transformation tant attendue de l’agriculture. J’en suis pour ma part convaincu : l’heure d’agir et de prendre ses responsabilités est enfin arrivée.