Par Hicham El Moussaoui
Déjà évoqué en mars 2013 au sommet de Durban, en Afrique du Sud, les pays du BRICS ont fini par créer leur propre banque de développement et leur fonds commun de réserves, dotés respectivement de 50 et de 100 milliards de dollars. Le but affiché étant de s’émanciper de la tutelle du dollar et des institutions de Bretton Woods (FMI et BM). Les BRICS ont-ils les moyens de redéfinir l’ordre financier mondial? L’Afrique pourrait-elle profiter de cette initiative?
De prime abord, l’idée de création de ces deux institutions est légitime au regard, d’une part, des besoins de financement de ces pays, et d’autre part, de la légitimité de se protéger contre les manipulations de la politique monétaire américaine et la tutelle contraignante du dollar. Mais de là à croire que ces deux institutions pourraient remettre en cause l’ordre financier actuel, il n’y a qu’un pas à franchir.
Tout d’abord, parce que même si les 50 et les 100 milliards peuvent sembler des sommes importantes, elle demeurent faibles par rapport à la force de frappe du FMI qui est de 370 milliards de dollars et les 500 milliards de dollars de la Banque mondiale. Il est clair qu’avec un tel capital, les deux institutions du BRICS ne pourront pas rivaliser avec les institutions de Bretton Woods, à moins qu’elles ne reçoivent du renfort financier plus tard. D’ailleurs, la capitalisation de 100 milliards de dollars du fonds de réserves n’est que symbolique pour assurer une stabilité en cas de tempête monétaire. Par ailleurs, les marchés financiers internationaux n’ont encore d’yeux que pour la politique monétaire de la Fed qui continue à souffler le chaud et le froid. Et n’oublions pas les européens qui sont en train de remobiliser leurs forces à l’image de l’annonce de Juncker, nouveau président de la commission européenne d’un plan de relance de 300 milliards d’euros sur 3 ans. Autant dire, que le chemin s’annonce très long avant qu’une réelle concurrence s’installe sur le marché.
Une concurrence que les BRICS actuellement auront du mal à soutenir pour plusieurs raisons. D’abord, en raison de l’hétérogénéité de leurs visées stratégiques. En effet, l’Inde et le Brésil voient dans la banque de développement une vraie opportunité pour relancer leurs croissances atones en finançant leurs besoins gigantesques en infrastructures. Dans le même temps, la Chine lorgne les marchés de l’Amérique latine et entend instrumentaliser le Brésil comme tête de pont. Alors, que Poutine mise sur ces institutions pour sortir de son isolement depuis son éviction du G8 des pays les plus industrialisés, en raison de la crise ukrainienne.
Ces différentes visées sont exacerbées par les divergences des politiques économiques suivies par ces différents pays et surtout leurs poids économiques. À ce titre, le PIB de la Chine (9200 milliards $) représente un peu plus de 4 fois ceux de l’inde, du Brésil et de la Russie et 24 fois celui de l’Afrique du Sud. Cela donne plus de marge à la Chine pour contribuer financièrement. Ainsi, sur les 100 milliards de dollars du fonds commun des réserves, 41 milliards ont été versées par la Chine, soit 40%. Il est clair que cette domination économique et financière, se transformera petit à petite en tutelle officieuse de la Chine, ce qui risque de créer des conflits et des divergences lors de la prise de décisions stratégiques. D’ailleurs, si la création des deux institutions a mis aussi longtemps, c’est en raison des divergences des BRICS au sujet du financement et de la structure de direction. La fluidité de la gouvernance de ces deux institutions, dont dépendra leur succès, est tributaire de la cohésion des BRICS et leur capacité à aplanir leurs divergences en cherchant des compromis, mais aussi de la vitalité de leurs économies et leur capacité à entretenir une croissance forte et inclusive durant les années à venir. Dès lors, à court terme, cette initiative ne peut qu’être symbolique, mais elle a le mérite d’enclencher une nouvelle dynamique qui pourrait aboutir si les BRICS et les autres pays, notamment africains arrivent à s’entraider mutuellement dans le cadre de la coopération sud-sud.
Si la nouvelle banque de développement est destinée en premier à financer les besoins de financement des BRICS, il sera ouvert à terme aux autres pays, notamment sous-développés. À ce titre, la nouvelle banque de développement, dont le capital sera porté à 100 milliards de dollars présente un intérêt réel pour le développement de l’Afrique.
En effet, la nouvelle banque de développement n’assortira pas ses prêts de conditionnalités contraignantes. En cela, elle apporte une grande nouveauté aux pays africains habitués aux diktats et aux lenteurs bureaucratiques du FMI. Les traumatismes de l’expérience des programmes d’ajustement structurels, dans les années 80, sont indélébiles dans la mémoire collective africaine. En échange de la sortie de la crise de l’endettement, le FMI a imposé aux pays africains une austérité brutale, purement comptable, sacrifiant les volets économiques et sociaux du développement. Cela a fait rater à l’Afrique le train de la mondialisation. Dès lors, avoir l’accès au financement sans avoir à subir les conditionnalités du FMI, séduira à coup sur plusieurs pays africains et leur permettra de profiter de la liquidité tout en gardant leur souveraineté économique. L’émancipation par rapport à l’ingérence du FMI et de la Banque Mondiale, qui ont acquis un pouvoir d’ingérence croissant, est un argument de poids.
Par ailleurs, le fait que cette banque de développement soit financée par des pays émergents, constituera un avantage pour les pays africains car ils pourront bénéficier de conditions de prêt plus favorables, notamment dans le cadre de la coopération sud-sud. La concurrence qui sera mise en place, à terme, dans ce domaine de financement ne pourra qu’être bénéfique pour les pays africains dont les conditions d’emprunt pourraient devenir plus avantageuses.
Mais pour pouvoir profité pleinement de cette opportunité, les pays africains doivent continuer à assainir leurs cadres macroéconomiques, améliorer la gouvernance budgétaire, limiter le poids de l’État dans l’économie et diversifier leur économie pour qu’elles ne soient plus dépendante uniquement de la rente des ressources naturelles. C’est la seule voie pour s’affranchir réellement de la tutelle et de l’ingérence des autres.
Hicham El Moussaoui, maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc)
Article publié en collaboration avec Libre Afrique